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SAINTETÉ. NOTE DE L'ÉGLISE


bien vite dépisté. Qu’on se souvienne de la fable de l'âne revêtu de la peau du lion ! Que ne doit-on pas en conclure pour l’ordre de la sainteté ! La sainteté résulte de la pratique intégrale des vertus, pratique difficile, requérant constance et persévérance. La simulation serait ici très rapidement découverte, à la première occasion se présentant à l’improviste. Et quand il s’agit de sainteté, non plus seulement commune ou moyenne, mais héroïque, on peut être assuré que l’hypocrisie est plus radicalement impossible encore.

Rien ne servirait non plus d’objecter que la sainteté propre à l'Église du Christ est surnaturelle et donc échappe à l’expérience. Il ne s’agit pas de faire ici la théologie de la sainteté dans l'Église et d’en analyser tous les éléments essentiels qui, par leur nature même, échappent en réalité à l’expérience. Il s’agit simplement d’en saisir sur le vif certaines manifestations humainement inexplicables, comme par exemple la pratique de certaines vertus dépassant les vertus purement humaines et dans laquelle il apparaît bien que celui qui s’y exerce oriente sa vie vers une fin supérieure aux fins plus ou moins égoïstes des actions dictées par des vues humaines. Et cette constatation est non seulement possible ; elle est facile, d’autant qu’en nombre de cas Dieu sanctionne la sainteté des hommes de manifestations charismatiques, miracles ou autres faits surnaturels, qui sont autant de signes de l’approbation divine.

D’ailleurs, l’affirmation du Christ et des apôtres, l’enseignement de la tradition sont là pour attester la valeur apologétique de la sainteté de l'Église.

1. L’affirmation du Christ et des apôtres.

a) D’une manière générale, le Christ annonce que les faux prophètes seront connus par leurs fruits (leurs actions). Matth., vii, 16, 20. Les paroles ne comptent pas ; ce qui compte, ce sont les actes. Ibid., 21-23. C’est par son fruit qu’on connaît l’arbre. Ibid., xii, 33-37. Saint Paul oppose pareillement les œuvres manifestes de la chair qui n’auront pas le royaume de Dieu et les fruits de l’esprit qui se manifestent en ceux qui appartiennent au Christ et ont su mortifier leur chair. Gal., v, 1924. Conformément à l’enseignement de Jésus, les apôtres rappellent que la bonté, la justice, la charité manifesteront les vrais disciples du Sauveur. Cf., Ioa., xin, 35 ; I Joa., iii, 10-18 ; Eph., v, 9 ; cf. iv, 23 ; v, 2 et, à vrai dire, tout ce chapitre en entier.

Il n’est pas d’ailleurs dans l’intention du Christ et des apôtres d’affirmer que la sainteté doit être réalisée et visible dans chacun des membres de l'Église. Ce serait demander chose absolument impossible. Nous avons déjà rappelé que Jésus-Christ avait prévu et prédit dans son Église le mélange de bons et de méchants. Dans l'Église véritable les scandales se produiront, Matth., xviii, 7 ; xxiv, 12 ; xxvi, 31 ; Luc. xvii, 1, et même dureront jusqu'à ce que les anges, àla consommation des siècles, enlèvent du royaume tous les scandales et ceux qui pratiquent l’iniquité. Cf. Matth., xiii, 4L La sainteté des membres exige donc simplement que, dans l'Église véritable, il y ait des saints, en quelque nombre que ce soit, dont la sainteté, humainement inexplicable, apparaisse comme l’effet propre des principes de sainteté confiés par le Christ à son Église.

b) D’une manière plus spéciale, il semble que le Christ et les apôtres aient prévu dans l'Église comme une triple manifestation de sainteté : sainteté commune, sainteté plus parfaite, sainteté héroïque.

a. La sainteté commune se confond essentiellement avec l'état de grâce possédé parles membres de ['Église. Ce minimum doit être réalisé dans un certain nombre de fidèles, la prière du Christ ne pouvant pas ne pas être exaucée, Joa, XVII, 19 ; x, ! < ; xv, 16, et le sang versé dans sa passion ne pouvant rester inefficace.

Eph.. v, 25 : 'lit., ii, 14 ; cf. I Tim., ii, 4, 6 ; iv, 10 ; I Petr., ii, 5, 9. Une telle sainteté peut-elle être une marque de la véritable Église ? Certains auteurs, tel Billot, op. cit.. p. 177, ne le pensent pas. Il semble cependant qu’on doive se garder d’une solution aussi absolue. Car cette sainteté commune constitue déjà, dans l’ensemble du moins, un progrès très réel sur la moralité accessible à l’humanité déchue. La civilisation qui en résulte s’affirme bien supérieure à la civilisation issue du paganisme. On ne saurait trop méditer les paroles de Taine : « On a vu (plusieurs fois) l’homme se faire païen comme au premier siècle ; du même coup, il se retrouvait tel qu’au temps d’Auguste, c’est-à-dire voluptueux et dur ; il abusait des autres et de luimême. L'égoïsme brutal et calculateur avait repris l’ascendant, la cruauté et la sensualité s'étalaient, la société devenait un coupe-gorge et un mauvais lieu. Quand on s’est donné ce spectacle, et de près, on peut évaluer l’apport du christianisme dans nos sociétés modernes, ce qu’il y introduit de pudeur, de douceur et d’humanité, ce qu’il y maintient d’honnêteté, de bonne foi et de justice. Ni la raison philosophique, ni la culture artistique et littéraire, ni même l’honneur féodal, militaire et chevaleresque, aucun code ne suffit à le suppléer dans ce service. Il n’y a que lui pour nous retenir sur notre pente natale, pour enrayer le glissement insensible par lequel, incessamment et de tout son poids originel, notre race rétrograde vers ses basfonds. » Les origines de la France contemporaine. Le régime moderne, t. ii, 1894, p. 118 sq. Il y a donc déjà, dans la sainteté commune des membres de la véritable Église, une réelle transcendance que l’apologiste aurait tort de négliger. Il faut reconnaître toutefois que la valeur apologétique de la sainteté commune est singulièrement diminuée quand il s’agit de comparer entre elles les Églises chrétiennes. Sans doute un travail de comparaison impartiale et tenant compte de toutes les conditions dans lesquelles se présente la « sainteté » des chrétiens de différentes confessions, pourrait aboutir à une suggestion favorable à telle confession chrétienne plutôt qu'à telle autre. Mais nous ne serions plus en face d’un argument simple, facile à saisir, et plus accessible à l’expérience que la légitimité de la société religieuse elle-même. Sous cet aspect, on peut donc souscrire à la conclusion finale de Billot : Non ibi est genus argumenti quod ad rem prsesentem faciat.

b. La sainteté plus parfaite est celle qui, dans l'Église du Christ, doit résulter de la pratique des conseils évangéliques ou des règles de perfection plus haute proposées par le Christ. En formulant l’appel à la perfection des conseils, Jésus-Christ entend bien qu’au moins quelques-uns y répondront. Cf. Matth., xix. 10 sq., 21 sq. Renoncement aux biens terrestres, Luc, xiv, 33, séparation d’avec la famille, Matth., x, 35-37, humiliation volontaire des supérieurs se faisant les serviteurs des autres à l’exemple du Christ, Matth.. xx, 28 ; cf. Luc, xxii, 26-27 ; Joa., xiii. 13-17 ; cf. Phil., ii, 1-6, voilà ce cpie le Christ réclame de ceux qui veulent « le suivre ». Bien plus, il leur demande de pratiquer à l'égard les uns des autres une charité comparable à celle que lui-même a pratiquée. I Joa., iv. 7-12, 20 ; cf. ii, 4, 9-11 ; v, 2-8. On pourrait multiplier les indications du Christ en faveur de cette sainteté plus parfaite qu’il désire voir s’affirmer parmi ceux qui veulent être ses meilleurs disciples. Or, une telle sainteté dépasse déjà tellement les inclinations naturelles à l’homme que, sans un secours vraiment extraordinaire de l’Esprit-Saint, il serait difficile à la plupart des hommes d’y persévérer. Comment, en effet, expliquer qu’un homme se détermine librement à choisir pareille vie, se propose un pareil programme de perfection dans l’amour de Dieu et de souci constant du