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SAINT-SÉVERIN (DOMINIQUE DE) — SAINT-SIMON

Sixte IV (1471-1484) : rien ne permet de le dater avec plus de précisions.

Aux trois membres de ce titre analytique correspondent, en effet, trois parties ou tractatus : toutepuissance de Dieu, fol. 1-23 ; puissance du Christ, fol. 23-33 ; pouvoir du vicaire du Christ, fol. 33-67. Les deux premières n’ont pour but que de poser le fondement théologique de la troisième, dont l’auteur lui-même déclare qu’elle forme la suscepti opusculi potissima inlentio. Tout en reconnaissant, avec Jacques de Viterbe dont il s’inspire, que l’État est d’origine naturelle, Dominique requiert néanmoins une specialis Dei ordinatio ad id regimen instituendum, fol. 31 v°. Voilà pourquoi il accorde au Christ d’abord, puis au pape son vicaire, la suprême intendance de tout l’ordre temporel. Au service de la métaphysique dionysienne qui exige l’unité du monde sous peine de tomber dans le dualisme, le texte évangélique des deux glaives et la donation de Constantin lui servent d’arguments.

La conclusion donne un parfait résumé, fol. 66-67, des principes sur lesquels s’appuie la conception médiévale qui fait de l’Église la source de tout pouvoir : Quod est spiritualium rerum causa et principium etiam corporalium et temporalium rerum causa et principium esse débet, ut de angelis paiet… Cum itaque Christi vicarius, Pétri successor, pontifex summus, causa sit et principium spiritualium rerum, exil et corporalium et temporalium rerum principium… À quo Christi vicario omnis alia potestas, sive spirilualis sive temporalis, débet in alios derivari, ne duo principia, quorum unum sub allero non reducatur, inordinala ponamus… Dicamus ergo in Christi vicario esse nedum spiritualem potestatem, sed etiam lemporalem lamquam in uno principio spiritualium et corporalium et tamquam in uno capite Ecclesiæ mililanlis.

En conséquence, l’auteur attribue à l’Église et au pape son chef ce qu’on est convenu de nommer le « pouvoir direct » sur l’État : À quo… in eo quod est Christi vicarius, temporalis débet derivari potestas, necnon eorum leges et stalula debent per summum pontificem conflrmari… Hubct itaque Christi vicarius utramque potestatem…, spiritualem quidem secundum auctoritatem et secundum immedialam execulionem, temporalem vero secundum instilutionem et auctorilatem primariam, execulionem vero in temporalibus, nisi spirituulibus causis emergenlibus… Cujus etiam tanta auctoritas est ut nedum clericos spirituali potestate jurisdictionis, sed etiam principes sarculares potest, causa émergente, privare.

Ainsi Dominique de Saint-Séverin a l’avantage de refléter encore, à la fin du xve siècle, la « thèse » classique dans toute sa rigueur : Dictis et sententiis majorum doctorum sum secutus vestigia. Quant aux adversaires, ils ont le tort de raisonner non de jure…, sed de jacto. Et il va sans dire que le « fait » aux yeux de l’auteur, n’est pas admis à prescrire contre le « droit ».

Bibliotheca Valicana : Codices Vaticani latini, t. n « , par A.Pelzer, Rome, 1931, sous le n. 1007, p. 489-490 ; M. Grabmann, Studien iiber den Einfluss der aristolelischen Philosophie auf die mitlelalterlichen Theorien iiber dus Verhàllnis von Kirche und Staat, Munich, 1934, p. 72-76, qui fait conraitre le traité par une analyse et d’assez larges extraits.

J. RlVIÈRK.

SAINT-SIMON ET SAINT-SIMONISME.I. Saint-Simon. II. La famille Saint-Simonienne (col. 786). — I. Saint-Simon. — 1° L’énigme de Saint-Simon. — Presque inconnu de son vivant, Saint-Simon dut sa célébrité posthume aux saint-simoniens. De ce fait, l’histoire de sa vie et de sa pensée se heurte à une difficulté spéciale.

Ce n’est pas que la documentation fasse défaut : le maître avait laissé trois récits autobiographiques : 1. Histoire de ma vie, en tête des Lettres au Bureau des longitudes (1808), que l’on trouvera au t. xv des Œuvres de Saint-Simon et d’Enfantin, publiées en quarante-sept volumes chez Dentu, de 1865 à 1867 ; 2. un morceau sans titre, écrit en 1809 et imprimé dans le même volume des Œuvres ; 3. Ma vie, fragment du Mémoire introductif de M. de Saint-Simon sur sa contestation avec M. de Redern, Alençon, 1812, dont M. Gouhier a publié les passages les plus importants dans la Jeunesse d’Auguste Comte et la formation du positivisme. II. Saint-Simon jusqu’à la Restauration, Vrin, 1936, Notes et documents, t. ii, p. 352-355. Du reste Saint-Simon n’avait pas dédaigné de semer dans ses ouvrages les plus divers de nombreuses allusions autobiographiques.

Mais ces récits et ces allusions obéissaient chez lui, consciemment ou non, à l’instinct constructeur de son imagination et de sa mémoire. Les événements passés s’enrôlaient sous sa plume au service des tâches et des luttes présentes ; ils se chargeaient d’intentions rétrospectives, ils s’organisaient logiquement, créant après coup à l’auteur une figure et une carrière éclairées et unifiées par un grand et constant dessein.

Il faut aussi apporter quelque circonspection à la lecture des biographies de Saint-Simon dues aux saint-simoniens : la plus sûre, Saint-Simon, sa vie et ses travaux, Guillaumin, 1857, écrite par G. Hubbard sous les yeux d’Olinde Rodrigues, tourne volontiers au panégyrique. Pour une raison inverse mais non moins forte, on doit se méfier des écrits émanant d’adversaires comme l’Auguste Comte de la maturité, comme Fourier, de Lépine ou Louis Reybaud.

Les difficultés ne sont pas moindres en ce qui concerne les doctrines propres de Saint-Simon. Ses écrits nombreux agitent beaucoup d’idées, souvent attirantes et profondes ; mais il n’a jamais su composer un livre, développer sa pensée avec ordre ; il fut un merveilleux excitateur mais jamais il ne réussit à s’entourer de véritables disciples. À l’heure où il les rencontrait enfin, il disparut et c’est sur sa tombe qu’un groupe de jeunes gens se réunit, le reconnut pour maître : l’Exposition de la doctrine de Saint-Simon est leur œuvre propre et originale. Dans leur ferveur et dans leur sincère désintéressement, les saint-simoniens ne songèrent pas un instant à se glorifier de leurs travaux ; ils en attribuèrent le mérite à Saint-Simon, « ils lui firent hommage de toute leur raison et de toute leur folie ». S. Charléty, Histoire du saint-simonisme, 1931. p. 1.

Il faut noter enfin que Saint-Simon se trouva mêlé, non seulement au saint-simonisme, mais à plusieurs courants de pensée qui traversèrent le xixe siècle et dont certains persistent aujourd’hui. Il y a donc plusieurs images de Saint-Simon cultivées dans différentes familles d’esprit : le Saint-Simon prophète de la science positive, le Saint-Simon précurseur du pacifisme international, le Saint-Simon héraut de l’industrialisme, le Saint-Simon fondateur du socialisme, voire le Saint-Simon apôtre d’un évangile nouveau, d’une religion humanitaire et laïque.

Célébré en 1925, le centenaire de la mort de Saint-Simon fut l’occasion de plusieurs travaux qui montrent bien l’intérêt persistant suscité par cette figure énigmatique et complexe. Depuis cette date, les ouvrages de M. Gouhier et de M. S. Charléty ont pu tenir compte de toutes ces recherches et méritent d’être considérés dès maintenant comme classiques et indispensables : le premier en ce qui concerne la vie et la pensée de Saint-Simon jusqu’en 1814 ; le second en ce qui concerne le saint-simonisme (1825-1864). L’intervalle de 1814-1825 est, pour l’historien, la période la plus confuse, celle des « secrétaires » de Saint-Simon : Augustin Thierry (1814-1817) et surtout Auguste Comte (1817-1824). On compte beaucoup