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lurent faites, puis, comme ils persistaient dans leur refus, les autres maîtres les déclarèrent exclus. Ibid., n. 230. Après des tentatives de conciliation où intervinrent les évêques d'Évreux et de Senlis, l’affaire fut portée à Rome. Guillaume de Saint-Amour était le chef de la députation des séculiers qui, au printemps de 1254, se présenta à Anagni devant le pape Innocent IV. Celui-ci, dans les mois précédents, s'était montré bien disposé pour les réguliers ; il change alors d’attitude. La bulle Qaociens pro commuai, du 4 juillet 1254, reconnaissait officiellement les statuts universitaires de 1252. Chartul., n. 237. Mais la mort d’Innocent IV (7 décembre 1254) et son remplacement par Alexandre IV (12 décembre 1254-2 mai 1261) allaient tout remettre en question ; dans cette affaire de la reconnaissance des droits des ordres mendiants, le pape engagera toute son autorité, tandis que la ténacité de Guillaume de Saint-Amour semblera mettre en échec, à plusieurs reprises, le pouvoir pontifical.

Le docteur parisien, d’ailleurs, n’avait pas hésité à élargir le débat et à en faire juge l’opinion publique. Dès 1254 peut-être, mais certainement avant la fin de 1255, il avait publié un ouvrage considérable : Liber de Antichristo et ejusdem ministris. Ce traité a été imprimé par Martène et Durand, Vcterum scriptorum et monuinenlorum… amplissima collectiu, t. ix, Paris, 1733, col. 1213-1446, sous le nom de Nicolas Oresme. Mais l’attribution à l'évoque de Lisieux est absolument invraisemblable et V. Le Clerc, dans l’Histoire littéraire de la France, t. xxi, p. 470 sq., a donné de bonnes raisons pour restituer cet ouvrage à Guillaume. Le livre en effet nous transporte, dès l’introduction, dans les violentes controverses entre séculiers et réguliers ; contre ces derniers il fait état de la publication qui vient d’avoir lieu du fameux Introductorius in Evangelium œternum, vulgarisant les opinions de Joachim de Flore. Voir ici, t. viii, col. 14-13 sq. L'œuvre était d’un frère mineur, Gérard de Borgo San-Donnino, mais, dans les milieux universitaires parisiens, avec plus d’habileté que de probité, on s’en faisait une machine de guerre contre les frères prêcheurs. Sans jamais le dire ouvertement, le De Antichristo tendait à montrer que les fils de Dominique n'étaient pas autres que les précurseurs, les prédicateurs de l’Antéchrist ; c'étaient eux qu’il visait, quand il parlait des pharisiens, des hypocrites, des faux-prophètes, des faux-frères, de ceux qui, pour reprendre le mot de Paul à Timothée, savent s’insinuer dans les maisons et entraîner les femmes. II Tim., iii, 6. Le roi de France, dont tous connaissaient l’affection à l’endroit des mineurs et des prêcheurs, n'était guère plus épargné. Il est difficile de ne pas le reconnaître dans ces rois que les faux prédicateurs séduisent par une sainteté feinte, de prétendus miracles, l’ostentation d’une divine sagesse. Et quant aux prélats de France, ce n'était pas sur eux qu’il fallait compter pour écarter les loups dévorants rôdant autour de leurs ouailles. Pour être fort méchant, tout ceci ne laissait pas de faire impression sur l’opinion publique. Bien vite, dans les milieux religieux on sentit le besoin de répondre. Saint Bonaventure fit aussitôt cause commune avec les prêcheurs. Il était pour lors a Paris. Dans des leçons publiques, en se gardant bien d’ailleurs de nommer Guillaume, il entreprit de faire connaître au monde universitaire la perfection évangélique dont les religieux se piquaient de faire profession, et s’efforça de réfuter les objections courantes. Des copies de son cours circulèrent, plus ou moins exactes, d’ailleurs. Guillaume de Saint-Amour en eut connaissance et se mit à y répondre. Il s’est conservé un ms., Cambridge, Corpus Christi Collège, n. 103, où se trouve un traité de saint Bonaventure qui reprend en sous-œuvre la question il De paupertate et qui s’in titule Replicatio adversus objectiones poslea fadas, ces observations de Guillaume de Saint-Amour (le texte écrit par une visible erreur : G. de Saint-Victor) sont signalées par le signe Mag. Guill., inscrit en marge. Voir S. Bonavenluræ opéra, éd. Quaracchi, t..

p. VII-XII.

C’est sans doute au même moment qu’il convient d’attribuer d’autres quæsliones de Guillaume roulant autour de la pauvreté et du droit de mendier : Quæslio dispuiala de quantitate eleemosyn.ee, dans Opéra, p. 7380 ; Quæslio disputata de valido mendicante. Ibid., p. 80-87.

Encore que la lutte fût menée par d’autres docteurs séculiers, les religieux mendiants se rendaient bien compte que Guillaume de Saint-Amour était l’animateur de toute cette agitation. Bientôt ils l’accusèrent ouvertement. Un personnage de la cour pontificale nommé Grégoire se trouvait de passage à Paris, à l’automne de 1253 ; on lui parla de l’affaire, lui demandant d’agir auprès du roi et de l'évêque de Paris et de les faire intervenir. Cité devant l'évêque, Guillaume n’eut pas de peine à se disculper, car le nunlius du pape avait finalement reculé devant une accusation en règle. Voir le mémoire adressé sur l’affaire au pape Alexandre IV par les maîtres et écoliers parisiens, Chartul., n. 256, 2 octobre 1255. Cette sorte de non-lieu ne pouvait qu’encourager Guillaume. Aux derniers mois de eetle même année, ou au début de 1256, il reprenait sous forme plus condensée l’argumentation trop lâche de son Liber de Antichristo et la publiait en un Libellas de periculis novissimorum temporurn. Texte imprimé dans les Opéra, p. 17-72, très insuffisant au point de vue critique, car, au témoignage même de Guillaume, le livre a eu dès avant la fin de 1256 plusieurs éditions successives dont il importerait de marquer les variantes ; voir une énumération de. manuscrits dans P. Glorieux, op. cit., p. 345. Quelle que soit la part de Guillaume dans la rédaction, il est certain que le libelle a pris tournure dans des réunions où se rencontraient les divers maîtres séculiers.

Aussi bien, pendant que se développaient à Paris ces joutes littéraires, l’autorité pontificale avait pris position dans le débat. Le 14 avril 1255, Alexandre IV expédiait aux maîtres et écoliers de Paris la bulle Quasi lignum uitiv, Chartul., n. 247. Sous peine d’excommunication, elle ordonnait aux séculiers de recevoir les religieux « dans leur collège », nonobstant les décisions antérieures d’Innocent IV. Le droit pour les maîtres de cesser leur cours par manière de protestation leur était sans doute reconnu, mais l’application en était rendue fort difficile ; la grève ne pourrait être décidée qu'à la majorité des deux tiers dans chaque faculté.

L’Université répliqua à la mesure pontificale en prononçant sa propre dissolution ; c'était assez habile ; il n’y avait plus de « maîtres de l’Université parisienne » : qui pouvait-on frapper ? Les sentences d’excommunication tombaient dans le vide. C’est ce qu’annonçait au pape un mémoire rédigé en octobre 1255 par ceux qui se nommaient les survivants de la dispersion, reliquiæ dispersionis. Si d’ailleurs on voulait les contraindre à entretenir des relations avec les prêcheurs, les maîtres en question préféraient s’exiler de Paris. Chartul., n. 256. Au fait cette prétendue dispersion était tout simplement destinée à masquer la reconstitution de l’Université dissoute. Il n’est pas douteux que Guillaume ait été l’un des plus chauds partisans de cette fiction juridique. Rome le savait et, parmi les mesures prises à la fin de l’automne 1255 pour contraindre à l’obéissance les récalcitrants, Chartul., n. 259-262, la dernière, du 10 décembre, vise explicitement Guillaume de Saint-Amour. Les évêques d’Orléans et d’Auxerre devraient, après enquête et si l’agi-