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SAGESSE. UNITE


première et la seconde : le personnage de Salomon n’est pas introduit, chose étrange, dans la première partie. Les « souverains » auxquels s’adresserait l’auteur sont envisages d’un point de vue différent de la première à la seconde partie du livre : là, ce sont de vrais rois, ou tyrans ; ici (vi, 21 sq.), ces souverains, ou plutôt la « royauté » elle-même, doit s’entendre du règne de Dieu dans le ciel. La première partie recommande non la sagesse, aoepîa, qui est l’objet de la deuxième partie, mais la justice, Sixocioctûvy], et la piété, eÙCTsêeta. L’influence de la philosophie platonicienne, qui se trahirait souvent dans la deuxième partie, n’offre aucune trace dans la première. L’exposé, le style de la deuxième partie contraste vivement, lui aussi, avec celui de la première, simple et sans art, esclave du parallélisme hébreu, par plus de recherche, de poésie, de vie. Nachtigal, Das Buch der Weisheit, Halle, 1799, p. 1 sq., conclut que soixante-dix-neuf sages au moins avaient contribué à la rédaction de l’ouvrage.

Tout le xix c siècle durant, l’unité du livre ne fut, au contraire, nullement mise en doute ; et les objections, faibles, imprécises et sans portée réelle, formulées auparavant contre cette unité, trouvèrent même réfutation péremptoire. Dans l’ordre littéraire, il fut justement observé que la diversité de style dans les diverses parties d’un livre s’explique aussi bien par la différence des sujets traités ; que, dans le cas du livre de la Sagesse, le parallélisme, qui donnerait à la première partie (i-vi, 8) son caractère plutôt palestinien, se retrouve assez souvent et tout aussi prononcé en maint et maint passage de toute autre partie et même dans des morceaux d’une certaine longueur, tels que vi, 10-17 (22, 24) ; vii, 7-16 ; viii, 9-18 ; ix, 1-18 ; x, 16-21 ; xii, 12-18 ; xiii, 1-18 ; xiv, 2-12 ; qu’enfin dans toute partie supposée se remarque la même couleur, la même facture de la phrase alexandrine qui faisait dire à saint Jérôme que « le livre de la Sagesse fleurait l'éloquence hellénique ». Pour ce qui est du personnage fictif de Salomon auteur du livre de la Sagesse, il est abusif de vouloir exiger que la personnalité d’un écrivain soit partout, et expressément, mise au premier plan. Du reste, le rôle historique de Salomon n’est pas toujours maintenu strictement, dans ce livre, dans le cadre tracé par le troisième livre des Rois, c. xi, puisque dans la partie même qui lui serait attribuée (m, 12 sq.), le roi incontinent et adultère plaiderait aussi bien contre lui-même. Quant à la manière ou la proportion dans laquelle se trouverait utilisée l’histoire, de l’une à l’autre partie d’un livre, elle ne pourrait suffire à établir la diversité d’auteurs qu’autant qu’elle impliquerait contradiction, ou même seulement opposition marquée, dans le but que l’on se serait proposé en composant ce livre ; ce qui n’est point assurément, sous ce rapport, le cas du livre de la Sagesse, lequel d’un bout à l’autre poursuit le même but : louer et recommander la sagesse, bien que d’abord par le moyen d’un exposé discursif (i-x) et seulement ensuite par voie d’illustration tirée de faits et d’exemples historiques (xi-xix) ; la prépondérance accordée aux données de l’histoire ancienne israélite dans la seconde partie s’explique ainsi d’elle-même. Par ailleurs, les conceptions différentes des causes de l’immoralité, mises d’un côté dans l’athéisme, c. ii, de l’autre dans l’idolâtrie, xiv, 12, ou des sources de l’immortalité, émanant d’une part de la vertu, i, 12, d’autre part de la connaissance du vrai Dieu, xv, 3, ne peuvent créer une opposition radicale commandant la diversité d’auteurs ; et il doit être jugé de même des soi-disant mentalités divergentes relativement à l'étroitesse d’esprit et de coeur à l'égard des étrangers ou des ennemis du peuple juif, qui remplirait de ses assertions désobligeantes toute la seconde moitié du

livre : en tant qu’ils sont la négation du vrai Dieu, l’athéisme et le culte des idoles sont dans une mesure égale sources de tous les vices ; et la sagesse, tant spéculative, qui consiste dans la connaissance de Dieu, que pratique, qui ne diffère de la piété et de la justice que par son nom seul, reste — science ou vertu — la véritable racine de l’immortalité bienheureuse : c’est la sagesse pratique, jamais séparée de la spéculative, qui est à la base de l’argumentation de tout le livre ; cf. i, 4, 6 ; iii, 11, etc., et xiv, 2, 5. L’amour de Dieu pour toutes ses créatures n’est pas mis en un moins haut relief dans la deuxième moitié du livre que dans la première (xi, 23-xii, 1) ; la dignité humaine y est également reconnue (xii, 8), comme s’y trouve enjoint l’amour du prochain (xii, 19, 22). Il est indéniable, enfin, que certaines idées grecques trouvent leurs parallèles dans les premiers chapitres du livre, i-vi, 8, aussi bien que dans les suivants, vi, 9-x : l’immortalité de l'âme, i, 13-14 ; ii, 23 ; iii, 4 ; iv, 1-2 ; v. 15-16 = vi, 19 ; la providence divine, vi, 7 = x, 15 sq.

Les hypothèses de Houbigant, Eichhorn, Bertholdt, Bretschneider ont été combattues et réfutées par Heydenreich, Uebersetzung des Buciis der Weisheit, dans les Memorabilien de Tzschimer, t. v, p. 29 sq. ; t. vii, p. 71 sq. ; et Bauermeister, Commentar. in Sap. Salomonis, Gœttingue, 18128, p. 2, 3 sq. et sq. ; celle de Nachtigal, par Bolide, De velerum poetarum sapientia gnomica, p. 240 sq. Exposé d’ensemble et réfutation dans Herbst-Welte, H istorischkritische Einleitung in das Alte Testament, Tubingue, 1840-1844, t. iv, p. 172-180 ; Grimm, Das Buch der Weisheit, Leipzig, 1860, p. 9-15 ; Cornely, Historien et critica introductio in iitriusiine Testamenti libros sacros, Paris, t. ii, 2° part., p. 217-210.

La pluralité des auteurs dans le livre de la Sagesse a été recherchée de nouveau, au commencement du siècle présent, par Lincke, Samaria und seine Propheten, Tubingue, 1903, p. 119-144, qui voit dans une première section, i, 1-xii, 18, l'œuvre d’un Samaritain accusant les juifs, particulièrement les pharisiens et les « hiérocrates » de Jérusalem, de n’avoir pas pris au sérieux les commandements de Dieu, et, dans une deuxième section, xii, 19-xix, 22, l’ouvrage d’un juif alexandrin. En même temps W. Weber, Die Komposition der Weisheit Salomos, dans Zeilschrifl fur wissenschaftliche Théologie, 1904, p. 145-169 (aussi Heimat und Zeitalter des esehatologischen Bûches der Weisheit, ibid., 1911, p. 322-345) partageait le livre en quatre morceaux : un livre eschatologique, i-v ; un livre de la sagesse, vi-xi, 1 ; un livre des châtiments divins, xi, 2-xii, 27 et xv, 18-xix, 22 ; un livre des idoles, xiii, 1-xv, 17, ce dernier, œuvre d’un rédacteur qui aurait fait un tout des autres morceaux. Les passages i, 4-6 a ; iii, 11-12 ; xi. 15-10 ; xiv, 2-7 auraient été insérés plus tard. Gartner, Komposition und Wortwahl des Bûches der Weisheit, Berlin, 1912, fait sienne cette division, sauf qu’il tient aussi pour des gloses les passages iii, 9 et iii, 11-iv, 19 dans le premier « livre » : xii, 2-21 dans le troisième ; et xix, 10-12, 18-21 dans le quatrième, reconnaissant toutefois au petit morceau, xiv, 2-7, contre Weber, qualité de première main. Presque en même temps, F. Focke, Die Enlstehung der Weisheit Salomos, Gœttingue, 1913, revenant à la plus ancienne tentative de discerner deux auteurs seulement dans le livre de la Sagesse, distinguait dans ce livre deux parties formant chacune un tout bien complet : l’une, i-v, écrite en hébreu, en Palestine, sous le règne d’Alexandre Jannée ; l’autre, vi-xix, écrite en grec, en Egypte, peu de temps après, par un juif alexandrin, traducteur de la première partie.

Comme au xviiie siècle, les raisons de ce dépeçage sont trouvées dans de prétendues différences de style et de conceptions historico-religieuses. Pour ce qui est du style (parallélisme poétique et phraséologie hébraï-