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SACRIFICE. VALEUR


Quoi qu’il en soit de ces déviations, il reste que selon l’exigence des besoins éternels de l’homme, il y avait dans le mouvement profond qui entraînait celui-ci à reconnaître par les sacrifices Dieu comme principe de la création et fin dernière à laquelle il faut tout rapporter, quelque chose de noble et de grand moralement : la reconnaissance individuelle et sociale de la maîtrise divine, l’effort vers la réparation du péché, la tendance plus ou moins efficace à une communion autour de la table du dieu considérée comme une table de famille qui reliait la divinité aux hommes et ceux-ci entre eux. Sur cette valeur relative de l’institution sacrificielle dans l’antiquité, voir M. de La Taille, dans Eucharislia, p. 153 à 158.

Les sacrifices de la Loi.

1. Par rapport aux

sacrifices des gentils. — Ils ont la valeur d’une discipline et d’une épuration de l’institution sacrificielle de la loi de nature ; ils sont une réaction contre les corruptions du paganisme, et un redressement des conceptions formalistes et intéressées, une aide au peuple choisi pour s'élever à une intelligence plus spiritualiste du culte. Cf. M. de La Taille, Esquisse du mystère de la foi, p. 64.

2. Par rapport au sacrifice parfait de la plénitude des temps. — Les sacrifices de la Loi apparaissent comme des ombres, des figures, des choses imparfaites, egena elemenla : « Il est impossible que le sang des taureaux et des boucs enlève les péchés. » Heb., x, 4. « Les sacrifices et les oblations offerts ne peuvent amener à la perfection, au point de vue de la conscience, celui qui rend ce culte. » Heb., ix, 9. Aussi l'Église enseigne-t-elle que ni les gentils, par la puissance de la nature, ni les juifs, par la lettre des lois de Moïse, n’ont été délivrés du péché et n’ont pu s’en relever. Conc. Trident., sess. vi, c. vi, Denz.-Bannw., n. 793. Les sacrifices de la loi figuraient le seul vrai sacrifice agréable à Dieu, celui de la Croix.

En eux-mêmes, cependant, ils n'étaient pas dénués de toute valeur morale et religieuse : ils valaient ce que valait la religion intérieure de ceux qui les olTraient ; ils ne réalisaient donc toute cette valeur qu’autant qu’ils étaient l’expression véridique des sentiments d’adoration, de reconnaissance, de contrition, de soumission de la part de l’offrant. Saint Thomas marque bien cette valeur relative. IIa-IIæ, q. ciii, a. 2. Après avoir affirmé que ces rites de la Loi ne pouvaient par eux-même purifier du péché, il ajoute : « Mais au temps de la Loi, l'âme des fidèles pouvait s’unir par la foi (implicite) au Christ incarné et souffrant, et ainsi être justifiée par la foi du Christ. L’observation de ces rites était une sorte de profession de cette foi. C’est pourquoi, dans la Loi ancienne, on offrait des sacrifices pour le péché, non que ces sacrifices purifiassent (directement et par eux-mêmes) du péché, mais parce qu’ils étaient comme une profession de la foi qui purifiait du péché… Celui-ci était remis non par la vertu des sacrifices, mais grâce à la foi et à la dévotion de ceux qui les offraient. Lev., iv, 26, 31 ; v, 10. » Sur cette valeur réelle, morale et religieuse, mais imparfaite et relative des sacrifices de la Loi, art. Sacrifice, dans Dictionn. de la Bible, t. v, col. 1333 ; ici, l’art. Lévitique, col. 496 ; et A. Médebielle, L’expiation dans le Nouveau et l’Ancien Testament, t. i, Rome, 1924, p. 165.

3° Valeur du sacrifice parfait de la nouvelle Alliance. — 1. Le sacrifice absolu de la passion et de la mort du Christ. — a) C’est un sacrifice proprement dit, transcendant à tous les sacrifices. — Ce sacrifice réalise d’une façon éminente la notion du sacrifice parfait : témoignage extérieur le plus saisissant, rendu, sous l’inspiration d’obéissance et d’amour le plus pur, aux droits souverains de la sainteté, de la justice de Dieu.

Voir un très beau développement de Mgr Hedley,

La sainte eucharistie, trad. Roudière, Paris, 1908, p. 195-196 ; cité dans J. Rivière, Le dogme de la rédemption. Étude théologique, 3e éd., Paris, 1931, p. 210 ; et cf. ici, art. Rédemption, t. xiii, col. 1976 sq.

Ajoutons qu’avec la passion et la mort du Christ, nous sommes en face du plus vrai des sacrifices, Verissimum sacrificium (S. Augustin) ; nous avons là, réalisés au maximum tous les éléments extérieurs et intérieurs du sacrifice proprement dit. S. Thomas, IIP, q. xlviii, a. 3 : Sacrificium proprie dieitur aliquid factura in honorem proprie Geo debitum ad eum placandum.

Et ce n’est que là, entre la Cène et le Calvaire, que se consomme suivant l’institution divine, suivant la volonté du Père, le sacrifice véritable et parfait de la rédemption. Les autres actes du Christ étaient infiniment méritoires et offraient au Père l’hommage de la religion parfaite ; c’est uniquement dans l’oblation sensible, extériorisée à la Cène et au Calvaire, que s’exerçait la force propitiatoire de la donation sacrificielle du corps et du sang du Sauveur.

b) Valeur unique et définitive du sacrifice absolu de la croix. — Cette valeur tient à deux choses : d’une part à ce que c’est l’acte de donation totale le plus pénétré de renoncement qui soit sorti d’un cœur humain sous l’inspiration de la charité et de l’obéissance la plus parfaite ; d’autre part à ce que cet acte humain était approprié par une personne divine ayant assumé la nature humaine, et qui dès lors participait à la dignité divine. Ainsi ce sacrifice de l’HommeDieu se trouvait posséder une valeur d’adoration et de réparation surabondante, compensant et au delà toute désobéissance humaine. C’est la doctrine de saint Thomas : « Le Christ en souffrant par amour et obéissance, a offert à Dieu beaucoup plus que ne l’exigeait la compensation de toutes les fautes du genre humain et cela : 1° à cause du grand amour qui l’a porté à souffrir ; 2° à cause de la dignité de la vie, la vie d’un Homme-Dieu ; 3° à cause de l'étendue et de la grandeur de la souffrance endurée. » III 1, q. xlviii, a. 2 et 3. On trouvera le même langage chez les mystiques : voir P. de Cendren, L’idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ, chez les théologiens modernes : C. Pell, Das Dogma von der Siïnde und Erlosung. p. 69 et 90-91 ; Franzelin, Tractatus de Verbo incarnato, 3° éd., p. 504 ; J. Rivière, op. cit.. p. 262 à 295.

'1. L’oblation rituelle non sanglante de la Cène. L’oblation non sanglante de la Cène, où le Christ s’offre directement et se voue en quelque sorte à l’immolation du Calvaire sous le si^ne rituel de cette immolation, quoiqu’elle ne soit point en soi nécessaire au sacrifice de la Croix (dont elle constituerait seule l’oblation unique et nécessaire) est en rapport très étroit avec lui ; elle en est la préfiguration, en quelque sorte les arrhes. Cette oblation non sanglante, en tant que donation totale du corps et du sang du Christ, constitue déjà une oblation sacrificielle qui participe à la valeur unique du sacrifice de la Croix.

Cette oblation en tant qu’elle se revêt d’une forme rituelle précise regarde surtout l’avenir. « Le rite accompli à la Cène a sa raison d'être en ce qu’il inaugure le sacrifice rituel de l’eucharistie, que le Christ veut laisser à son Église. Son rapport avec la Croix est celui du symbole avec la chose à représenter, parce que le sacrifice eucharistique étant, l’application du sacrifice rédempteur, doit lui être relatif. Et c’est bien à raison de cette relation étroite que Jésus accomplit le rite sous le coup de la mort, et autant que possible dans l’actualité de sa passion. » M. Lepin, L’idée du sacrifice de la messe, p. 697.

3. L’oblation non sanglante de la messe. - Llle est tout entière suspendue à la valeur absolue du sacrifice