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    1. SACRIFICE##


SACRIFICE. VALEUR

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Puisque l’offrande du sacrifice relève de la loi naturelle et que celle-ci oblige tous les hommes, tous sont donc tenus d’offrir le sacrifice à Dieu. Mais quel sacrifice ? « Il y a, remarque saint Thomas, q. i.xxxv, a. 1, deux sortes de sacrifice : le premier, le principal, est le sacrifice intérieur, à quoi tous sont tenus ; car tout le monde est tenu d’offrir à Dieu une âme dévote. L’autre est le sacrifice extérieur qui se divise en deux. Il y a, en effet, un sacrifice dont toute la valeur morale réside en l’oblation des biens extérieurs, fait à Dieu en témoignage de soumission à sa divinité. L’obligation en est diverse pour ceux qui sont sous la Loi, ancienne ou nouvelle, et pour ceux qui n’ont pas vécu sous la Loi. Sous le régime de la Loi, des sacrifices déterminés sont obligatoires conformément aux prescriptions légales. Ceux, au contraire qui n’étaient pas sous la Loi, étaient tenus à. certains sacrifices extérieurs qu’il devaient faire à l’honneur de Dieu ; en convenance avec le milieu où ils vivaient. Mais ils n’étaient point obligés de manière déterminée à tel ou tel sacrifice. » À ces considérations, l’on objecte que les sacrifices ont le rôle de signes, et que ce genre de symboles échappe à bien des gens. C’est vrai, « et tous ne connaissent point explicitement la vertu des sacrifices, mais du moins en ont-ils une connaissance implicite, tout comme ils ont une foi implicite ». Ibid., ad 2um. Ils sont tenus dans la mesure où ils savent.

V. Valeur religieuse respective des différents sacrifices. - 1° Les sacrifices anciens avant la Loi. — Les peuples anciens ont incarné leur religion dans des rites sacrificiels qui cherchaient à balbutier les sentiments do dépendance, de reconnaissance, d’imploration, d’expiation qui étaient au fond des cœurs, et qui devaient, en conséquence, les rapprocher de la divinité.

Le jugement que l’on portera sur les économies sacrificielles anciennes dépend du jugement que l’on porte sur la valeur des formes anciennes de la religion, et sur la religion tout court.

Ou bien, l’on part d’une métaphysique panthéiste, ou athée, et l’on ne voit dans les économies sacrificielles anciennes ou modernes (païens, primitifs actuels) qu’une vaste illusion, qu’erreur, sauvagerie, cruauté, magie. Tel est le jugement d’A. Loisy, Essai historique sur le sacrifice, Paris, 1920, p. 467-540 ; spécialement, p. 522 : « La plus lointaine origine du sacrifice, son premier rudiment est dans la magie primitive et naïve de l’homme inculte. » P. 523. « L’histoire du sacrifice, comme en général celle de la religion, s’est déroulée suivant une certaine logique dont on peut dire qu’elle a peu à peu… rationalisé, moralisé des pratiques en elles-mêmes dépourvues de raison et de moralité. Le point de départ est dans l’absurdité nue, évidente pour nous, de L’opération magique et du don rituel… » Ht encore p. 525 : « Que l’action sacrée poursuive un effet positif ou un effet négatif, qu’elle prétende réaliser le bien temporel et matériel, ou le bien spirituel et moral, la fortune immortelle de l’homme, ou qu’elle veuille écarter le mal, mal physique de la maladie, mal moral du péché, elle se perd dans le vide et les idées qui la supportent ou par lesquelles elle essaie de se justifier sont pareillement fragiles. Les économies de salut ne sont pas en elles-mêmes quelque chose de plus solide, de mieux éprouvé, de plus fermement garanti, que, les rites totémiques des Arunta d’Australie. > < ; ’csi l’illusion universelle, p. 53 : « L’histoire de. l’action sacrée apparaît donc comme celle de l’illusion la plus tenace dont ait été possédée, dont soit encore pénétrée l’humanité. Effort incessant, confus et incertain, coûteux certes, douloureux même, et révoltant en beaucoup d’endroits. Irrationnel au fond, et vain pour acheter le libre, usage des choses de ce monde… Action magique à son point de départ) le sacrifice

n’a jamais cessé de l’être, tout en se développant en une sorte de rançon universelle pour le salut des hommes dans le temps et dans l’éternité. »

Une fois écartée la valeur théocentrique des sacrifices anciens, A. Loisy leur reconnaît cependant une valeur pratique. « Avant de condamner sans phrases le mirage de la religion et l’appareil de l’action sacrée comme un simple gaspillage des ressources et des forces sociales, il convient donc d’observer que la religion ayant été la forme de la conscience sociale et l’action sacrée l’expression de cette conscience, la perte fut compensée par un gain… » P. 537. Quel fut ce gain ? Ce fut une certaine satisfaction, par des procédés illusoires, donnée a des besoins éternels de l’homme : le besoin religieux de la confiance en la vie, le besoin religieux de cohésion sociale, le besoin religieux de dévouement à la société. La religion, par les sacrifices, créait cette confiance, consacrait ce lien et encourageait ce dévouement. »

Ce jugement pessimiste ne s’impose ni comme unique interprétation valable des faits, ni surtout comme véritable explication métaphysique du phénomène religieux. Dieu existe, la religion est un devoir, l’homme doit à Dieu l’hommage intégral de son être, corps et âme. Les sacrifices anciens ont valu ce que valait devant Dieu la religion qu’ils exprimaient. Ils n’ont pu être que des balbutiements religieux ; mais ils traduisaient cependant un élan vers la divinité. Sous les mythes et les attitudes religieuses les plus diverses des primitifs, il faut savoir « retrouver la figure cachée du mouvement vers Dieu ». Masure, op. cit., p. 18. Voir Lemonnier, Précis de sociologie, p. 418-426. Ainsi en juge J. Grimai, Le sacerdoce et le sacrifice de Moire-Seigneur Jésus-Christ, p. 77-78. « On n’oserait dire que toutes les immolations et communions en dehors du Tabernacle et du Temple d’Israël, n’auront été que superstition, sacrilège et orgie. Même dans le culte grec, si foncièrement idolâtrique et sensuel, nous croyons saisir par instant, une ombre et plus qu’une ombre de la religion vraie. Dans les deux grands tragiques, Eschyle et Sophocle, ne percevons-nous pas, sous les formules d’invocation, l’attitude et l’accent d’une âme qui adore ? Ht pourquoi le sentiment religieux aurait-il été moins vivace que les autres nobles instincts qui survécurent au sein des ténèbres et de la corruption ? »

Mais il faut aussi constater les déviations. Hlles sont venues de l’idée insuffisante ou fausse que les anciens se sont faite de la divinité. Ils l’ont honorée selon l’idée imaginaire qu’ils s’en faisaient ; lui prêtant leurs liassions, ils l’ont traitée en conséquence. Les historiens des religions le reconnaissent. « Que le Dieu soit père, ami. ou tyran, l’âme croyante paraît avoir comme l’instinct du sacrifice. Mue par l’amour, elle veut faire hommage de ce qu’elle a de plus précieux ; inspirée par la crainte, elle veut acheter par un abandon partiel de. ses biens la possession paisible du restr. Mais cette offrande peut prendre deux formes distinctes : renoncer à ses passions pour plaire à ses dieux en devenant plus raisonnable, ou renoncer à ses prérogatives humaines, pour marquer plus d’humilité et de sujétion. Dans les deux cas, le sacrifice est réel, (.’est là sans doute ce qui a rendu possible tant d’illusions lamentables. Le fidèle croyail servir ses dieux parce qu’il leur immolait vraiment soit sa dignité d’homme, soit ses affections les plus vives, connue dans l’oblation de ses entants. Mais l’une de ces formes conduit a l’amélioration progressive de l’humanité, l’autre à sa déformation croissante. » Pinard de La Boullaye, op. cit., t. ii, p. 1 ! » ’.). Autre déformation naturelle à la religion humaine : ce fut le. formalisme qui vida des gestes qui devaient cire pleins d’un élan d’âmes et de prières, cl crut par là satisfaire à bon marché les exigences divines.