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SACRIFICE. NOTION THÉOLOGIQUE

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d’une victime offerte à Dieu par un prêtre légitime. Voir de Lugo, De eucharistia, disput. XIX, De cucharistia ut est sacrificium, sect. i, De sacrificio in communi, éd. "Vives, t. iv, p. 181 sq. ; H. Lamiroy, De essentia SS. missæ sacrificii, Louvain, 1919, p. 79 sq. ; et ici A. Michel, art. Messe, t. x, col. 1143-1289. Sur la discussion et critique de cette notion récente, voir M. de La Taille, Mysterium fldei, 3e éd., 1931, elucid. i, p. 1-17 et Esquisse du mystère de la foi, p. 7-G5 ; M. Lepin, L’idée du sacrifice de la messe d’après les théologiens, 1926, et La messe et nous, 1937.

Les théologiens, partisans de l’idée du sacrificedestruction, sont particulièrement frappés par ce qui se passe dans les sacrifices sanglants : les victimes sont mises à mort et immolées. Et dans les sacrifices non sanglants ils remarquent que les rites de la combustion ou de l’effusion des substances offertes aboutissent eux aussi à une destruction. « Cet acte de destruction, a-t-on justement pensé, ne peut avoir qu’une raison d'être symbolique : il doit exprimer sensiblement cette vérité que l’homme ne mérite pas de paraître devant Dieu, à raison, soit de son néant de créature, soit de son caractère de pécheur. Lu égorgeant la victime, en consumant le pain ou l’encens, en répandant le viii, le fidèle proclamerait donc son intention de s’anéantir lui-même devant la souveraineté de Dieu ou sa justice. Mais à cette façon de concevoir les choses, il y a un ensemble de difficultés fort graves. » Lepin, La messe et nous, p. 53. En effet, ni l'étude de l’histoire des religions, ni celle de l’Ancien Testament, ni celle du sacrifice eucharistique ne lui est favorable.

Longtemps, d’après certains ethnologues, l’humanité n’a connu que le sacrifice des prémices ; on offrait alors les aliments que l’on cueillait ou récoltait. En renonçant ainsi à une partie de la nourriture, on avait la pensée moins de détruire que d’offrir, de faire passer au domaine et en la jouissance de Dieu, une petite partie des choses de la nature dans l’intention de reconnaître que Dieu était le maître de tout. Ethnologues et théologiens s’entendent à reconnaître à ces offrandes de prémices le caractère sacrificiel. En partant de ce fait, on conclura que le sacrifice consiste essentiellement dans une offrande d’un objet usuel, inspiré par le sentiment de dépendance de l’homme à l'égard de la divinité. Dans ce geste de l’offrande sensible, publique et sociale, l'âme religieuse traduit ses sentiments de reconnaissance, d’attente confiante de nouveaux bienfaits et, si elle a conscience du péché, de désir sincère d’expier ses fautes ; voir V. Schmidt, Der Urspruny des Gotlesidee, passim ; Notions générales sur le sacrifice dans les cycles culturels, dans Semaine d’ethnologie religieuse, in c session, Tilbourg, 1922, p. 229-231.

Le jour où l’humanité n’utilisera plus seulement comme aliments des végétaux, mais la chair des animaux soit tués à la chasse, soit égorgés après avoir été domestiqués, elle fera de cette chair un présent de choix à son créateur : « Les animaux sont ainsi offerts dans l'état même où ils viennent à l’usage de l’homme, témoignant par là que nous tenons cet usage de Dieu. » S. Thomas, Sum., Iheol., I a -II ! E, q. en, a. 2, ad 5um.

Bien vite aussi on en arrivera à attacher une importance symbolique à la vie et au sang. Chez beaucoup de peuples primitifs et spécialement chez les Sémites un sens religieux, expiatoire, est spontanément reconnu à l’offrande de la vie et du sang. Ci-dessus, col. 664. Il ne s’ensuit pas que l’immolation ou la destruction soit pour autant l’essence du sacrifice.

L'étude des sacrifices Iévitiques, même sanglants, « invite à voir dans l’immolation une condition nécessaire du sacrifice sanglant, beaucoup plus qu’un acte partageant avec l’oblation le rôle de partie essentielle

DICT. DE TIlf.OL. CATHOI, .

et proprement constitutive ». M. Lepin, L’idée du sacrifice de la messe, p. 679.

L’immolation n’est pas, dans les textes anciens, considérée comme un acte réservé au prêtre, donc proprement sacerdotal. Le rôle essentiel de celui-ci commence avec l’oblation du sang et la combustion des chairs. Offrir le sang, faire passer les chairs par le feu en la jouissance de Dieu, voilà son acte principal. Que peut-il offrir de plus précieux au Créateur : « Le sang, c’est l'âme. » Deut., xii, 23 ; « L'âme de la chair est dans le sang, et je vous l’ai donné pour l’autel, afin qu’il serve d’expiation pour vos âmes. » Lev., xvii, 11. Principe de la vie qui vient de Dieu, il lui appartient ; il faut le lui rendre ; c’est tout indiqué pour l’expiation, car, de par la volonté divine, il est constitué le substitut de l’homme pécheur. L’offrir, c’est offrir non seulement une vie animale, mais d’une certaine façon une vie humaine. Même dans le Lévitique, cependant, il n’est dit nulle part, que le pécheur doit être anéanti, et que le sang tiré des animaux immolés représente cet anéantissement. Tout comme le rite de l’oblation du sang, celui de la combustion dans l’holocauste signifie un hommage d’adoration ; il en est de même dans les sacrifices qui ne comportent point d’immolation, c’est-à-dire les sacrifices dont la matière est un aliment végétal minehâh. « Dans ces sacrifices, il n’y a qu’un seul rite fondamental : la combustion sur l’autel des holocaustes, s’il s’agit de substances solides, l’effusion autour de l’autel, s’il s’agit de libations de vin. Or, ce rite correspond non à l’acte de destruction qu’est l’immolation de la victime dans le sacrifice sanglant, mais à l’acte de donation qu’est la combustion do ses chairs ou de ses graisses choisies, sur l’autel. Le froment ni le vin ne subissent une destruction voulue pour elle-même ; ce froment n’est brûlé, ce vin n’est répandu que pour être donnés symboliquement à Dieu, représenté par l’autel et le feu sacré et passer en sa jouissance. » M. Lepin, L’idée du sacrifice de la messe, p. 678.

D’ailleurs, le développement de la Révélation le montrera, le sacrifice que Dieu demande surtout, selon les prophètes et les psalmistes, et qu’il agrée en hommage d’adoration et d’expiation, ce n’est point la mort du pécheur, la destruction de l'œuvre divine, c’est le sacrifiée du cœur, la réparation morale : « Les sacrifices de Dieu, c’est un esprit brisé. » Ps., li, 19. « Dieu n’a pas fait la mort, dit l’auteur de la Sagesse, et il n'éprouve pas de joie do la perte des vivants. Il a créé toutes choses pour la vie… » Sap., i, 13. L’oblation du Christ sur la croix, en tant qu’elle est un sacrifice agréable à Dieu, est à distinguer de l’immolation criminelle accomplie par les juifs. C’est l’oblation volontaire et aimante de la passion et de la mort en croix.

Les Pères l’ont compris et ont dit que le sacrifice parfait ne consiste pas dans la mort comme telle, mais dans les sentiments de la victime qui s’offre à la mort : Christus Deo se dicitur obtulisse, dum occidi se passus est, in Dei Patris sui voluntate perdurons. Ambrosiaster, In Eph., v, 2, P. L., t. xvii (18 15), col. 394 ; et encore : Immeritus gui occiditur placet Deo, non quia occiditur, sed quia usque ad mortem justitiam conservavit. Saint Thomas reconnaîtra le caractère sacrificiel de l’eucharistie, tout en renonçant à y voir une destruction et en y affirmant seulement une certaine image représentative de la vraie immolation réalisée au Calvaire. Sum. Iheol., III 1°, q. lxxxiii, a. 1. Ainsi donc, peut-on conclure avec M. Lepin, faire consister essentiellement le sacrifice en un acte de destruction et de mort, comme si l’homme n’avait pas de meilleur moyen d’honorer Dieu ou de reconnaître la souveraine justice que de se détruire, « cela ne paraît point répondre à l’essence profonde de la religion

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