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SACREMENTS. EFFETS, LA GRACE SANCTIFIANTE
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I. LA grâce.

Il n’est pas question de revenir ici sur le dogme de la production de la grâce par les sacrements. Cette thèse fondamentale a fait l’objet au point de vue traditionnel de la seconde partie de cette étude et l’on a dit comment le concile de Trente l’avait promulguée. Col. 470. Voir aussi l’art. Opus operatum, t. xr, col. 1084-1087.

Les questions ici abordées sont proprement théologiques et se rapportent aux modalités de la collation de la grâce dans la réception des sacrements. Ces modalités concernent : 1° la collation de la grâce première ; 2° celle de la grâce seconde ; 3° la mesure en laquelle est conférée la grâce par les sacrements ; 4° la reviviscence de la grâce. Cette dernière question a déjà été étudiée, voir t. xiii, col. 2629 sq.

Collation de la grâce première.

On appelle

a grâce première » celle qui est donnée ou rendue au pécheur que justifie le sacrement. Cette collation sacramentelle peut être envisagée au double point de vue des sacrements des morts et des sacrements des vivants :

1. Les sacrements des morts. — Le Christ a institué spécialement deux sacrements pour donner la vie de la grâce à l'âme morte par le péché : d’où leur nom de sacrements des morts. Ce sont : le baptême, institué pour conférer la première justification, en remettant le péché originel et les autres qui s’y sont ajoutés ; la pénitence, dont l’objet est la rémission des péchés mortels commis après le baptême. Ces sacrements confèrent la grâce première normalement, en vertu même du but que leur assigne l’institution du Christ : per se, disent les théologiens.

2. Les sacrements des vivants.

Les autres sacrements sont institués en soi et de par la volonté du Christ pour accroître la grâce dans l'âme qui la possède déjà : de là leur nom de sacrements des vivants. Relativement à l’infusion de la grâce première, les théologiens considèrent qu’en certains cas, en raison d’une situation ou d’une disposition particulière, en soi anormale, du sujet, ces sacrements peuvent accidentellement, per accidens, donner la grâce première au pécheur.

La chose est certaine en ce qui concerne l’extrêmeonction qui, de sa nature, complète la pénitence et, d’après les paroles mêmes de saint Jacques, est destinée à remettre les péchés. Au cas où le sujet gravement malade ne pourrait normalement recourir au sacrement de pénitence, l’extrême-onction lui remettrait ses péchés. Cet effet semble indiqué par la formule conditionnelle de saint Jacques : si in peccatis sil, remittentur ei, et se déduit de l’enseignement du concile de Trente : delicta, si quæ sint adhuc expianda, ac peccali reliquias abstergit. Sess. xiv, c. ii, Denz.Bannw., n. 909. Toutefois, on ne saurait dire qu’ici l’effet est accidentel ; il résulte de la nature même du sacrement qui, achevant la purification de toute une vie chrétienne, doit par lui-même enlever de l'âme tout obstacle à la grâce. Le sacrement d’extrêmeonction participe ainsi de la nature des sacrements des morts et des sacrements des vivants. Voir Extrêmeonction, t. v, col. 1 994 et 2020.

La chose est très probable en ce qui concerne les autres sacrements des vivants, lorsque le pécheur y accède de bonne foi et avec la contrition imparfaite. C’est là l’enseignement explicite de saint Thomas, Sum. theol., III », q. lxxii, a. 7, ad 2 ura ; q. lxxix, a. 3 ; Suppl., q. xxx, a. 1. Et l’on peut déduire la vérité de cette opinion : 1. de la doctrine du concile de Trente. D’après l’enseignement du concile, sess. vii, De sacramentis in génère, can. 6, Denz.-Bannw., n. 849, les sacrements de la Loi nouvelle confèrent infailliblement la grâce à tous ceux qui n’y apportent pas d’obstacle. Or le pécheur qui accède de bonne foi aux sacrements

des vivants, avec l’attrition, n’apporte pas d’obstacle à la grâce. — 2. De la miséricorde et de la bonté du Christ qui, dans de telles conjonctures, ne voudrait certainement pas priver des effets du sacrement le pécheur qui, surtout à l’article de la mort, accéderait ainsi à la sainte communion. Notons ici, en passant, cette indication du cardinal Jorio, dans son récent ouvrage La communion des malades, Louvain, 1933, n. 99, concernant le viatique administré à un mourant par un laïque, en l’absence de tout prêtre : « Quant au cas de nécessité particulière ou individuelle, certains théologiens admettent — surtout s’il s’agit d’un mourant qui, n’ayant que l’attrition, a besoin de l’eucharistie pour devenir contrit — qu’un pieux laïque puisse porter (privément, cela va sans dire, afin de prévenir tout scandale) le saint viatique à un malade, étant donné par ailleurs que ce malade se trouve dans les conditions voulues pour le recevoir. »

Certains théologiens, tout en admettant l’opinion de la justification accidentelle du pécheur par les sacrements des vivants, l’expliquent en ce sens qu'à l’occasion de ces sacrements, reçus de bonne foi et dans des conditions anormales, Dieu donne au pécheur une grâce de contrition parfaite qui le justifie. Ce serait une justification ex opère operanlis. Il semble plus simple d’accueillir l’opinion commune de la justification par le sacrement, ex opère operato. Voir Hervé, Manuale, t. iii, n. 440.

Collation de la grâce seconde.

On appelle « grâce seconde » celle qui est un accroissement de la

grâce déjà possédée : la grâce seconde ne justifie pas ; elle augmente la justification.

1. Les sacrements des vivants.

Par leur institution même, ils sont destinés à accroître dans l'âme la grâce sanctifiante. Leur réception licite et fructueuse, en effet, suppose déjà l'état de grâce : ils sont donc ordonnés à un accroissement de la vie spirituelle conformément à la fin particulière de chacun d’eux. Notons en passant l’opinion de Nuno et de Jean de SaintThomas, qui estiment que tous les sacrements sans exception sont, en tant que sacrements, ordonnés à la production île la grâce première et que les sacrements des vivants ne sont ordonnés à la production de la grâce seconde qu’en tant que tels sacrements (non ex ratione generica, sed ex ratione propria et specifica). Voir Jean de Saint-Thomas, Cursus theologicus, t. ix, Paris, Vives, p. 154, n. 40 sq. La remarque est assez juste, car la dénomination de grâce première et de grâce seconde est tout extrinsèque à l’essence même de la grâce. Voir Billot, op. cit., p. 103, note 1.

2. Les sacrements des morts.

Dans le sujet déjà en état de grâce, les sacrements des morts, en raison des dispositions meilleures du sujet — l'état de grâce supprime radicalement l’obstacle du péché — produisent certainement dans l'âme un accroissement de justification. C’est là une doctrine certaine, admise par tous. Cf. S. Thomas, Sum. theol., III », q. lix, a. 4, ad 2um.

Pour la pénitence, la chose est facilement concevable : tant de bons chrétiens reçoivent ce sacrement en n’y apportant qu’une matière légère et libre. Pour le baptême, on peut supposer un catéchumène adulte déjà purifié par le baptême de désir.

La mesure de la grâce conférée.

La doctrine

communément reçue tient en deux assertions :

1. Le même sacrement produit, « ex opère operato », une grâce égale en ceux qui sont également disposés : la grâce est proportionnée aux dispositions du sujet. — Cette assertion s’appuie sur l’enseignement du concile de Trente, sess. vi, c. vu : parlant de la justification, le concile déclare que la grâce est accordée secundum propriam cujusque dispositionem et cooperalionem. Denz.-Bannw., n. 799. Saint Thomas avait argumenté