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617 SACREMENTS. CAUSALITÉ, EXPLICATIONS THÉOLOGIQUES 618

sorte qu’en bonne logique on devrait conclure que, dans le système de la causalité morale, les sacrements sont de pures occasions de la grâce et non des causes véritables : « Pour ceux qui n’accordent à nos sacrements qu’une efficacité exclusivement morale, Dieu n’est pas seulement la cause efficiente principale ; il est l’unique cause efficiente de la grâce sacramentelle. Les sacrements concourent médiatement à la sanctification de l’homme, en tant qu’ils sont pour Dieu l’occasion de répandre sa grâce dans les âmes. » N. Gihr, Les sacrements de l'Église catholique, trad. franc., t. i, p. 96.

On pourrait ajouter un argument subsidiaire tiré de la nature même du sacrement de l’eucharistie. Comment peut-on appliquer au corps réel de JésusChrist la théorie d’une simple dignité morale incitant Dieu à donner la grâce au communiant ? Il semble que ce soit singulièrement énerver l’enseignement traditionnel concernant l’efficacité de la chair vivifiante du Christ. On trouvera dans Franzelin, op. cit., th. x, coroll. 1, un essai de réponse à cette objection : caro enim Christi vivifica est et sanctificans non quidem per se et quatenus natura est carnis, sed quia ejus est caro, qui omnia vivificat. P. 123.

La causalité physique.

1. Exposé. — Le mot « physique » ne doit pas ici faire illusion ; il est employé

dans un sens analogique pour indiquer simplement que les sacrements reçoivent de Dieu, cause principale de la grâce, une vertu réelle, quoique spirituelle, lui permettant d’atteindre comme causes efficientes immédiates, quoique simplement instrumentales, la grâce elle-même. Cette opinion « attribue à l’acte sacramentel dûment accompli une véritable efficacité (vera efficientia) ou causalité dans le don de la grâce… On reconnaît dans les sacrements de véritables instruments divins qui, par une certaine vertu et activité surnaturelles, opèrent quelque chose dans la communication de la grâce et, par conséquent, exercent une influence immédiate sur la sanctification de l’homme. Sacramenta N. L. aliquid ad gratiam haben lam operantur. S. Thomas, De veritate, q. xxvii, a. 4. Par opposition à l’efficacité morale, cette vertu des sacrements est nommée efficacité physique ; ce mot, toutefois, ne doit pas être pris comme un synonyme de mécanique. » N. Gihr, op. cit., p. 96-97.

Les partisans de la causalité efficiente instrumentale, dite causalité physique perfective, sont en général tous les thomistes. On l’appelle « perfective » pour la distinguer de l’ancienne théorie « dispositive », qui plaçait l’effet immédiat du sacrement extérieur dans le res et sacramentum, caractère ou ornalus animée, disposition à la grâce. Mais nous avons déjà dit combien ce mot était équivoque, puisqu’il est entendu qu' instrumentaliter operari ou dispositive operari sont synonymes, cette dernière expression n’ayant aucunement le sens de disposilionem operari. Voir col. 585.

Parmi les plus célèbres représentants de l'école thomiste jusqu’au xixe siècle, citons, depuis Cajétan (voir ci-dessus, col. 588) : Jean de Saint-Thomas, op. cit., In III* m part. Sum. S. Thomæ, q. lxii, a. 1, n. 264 (édit. Vives, t. ix, p. 200) ; Salmanticenses, De sacram. in communi, disp. IV, dub. iv, § 1 (édit. Palmé, Paris, t. xvii, p. 319), qui citent en faveur de l’opinion de la causalité physique tous les anciens tenants de la causalité efficiente dispositive : Capréolus, Hervé. Déza, Pierre de La Palu, Gilles de Rome, Soto, etc. ; Silvius, In 7// am part. Sum. S. Thomæ, q. lxii, a. 1 ; Gonet, Clypeus théologies thomisticæ, De sacram. in communi, disp. III, a. 2, § 1, n. 33 ; § 3-5, n. 40-66 ; Billuart, De sacram. in communi, dissert. III, a. 2. Il leur faut adjoindre d’illustres représentants de la Compagnie de Jésus : Suarez, De sacram. in génère, disp. IX, sect. n ; Grégoire de Valencia, ibid., disp. III, q. iii, punct. i ;

Bellarmin, De sacram. in génère, l. II, c. xi et le sorbonniste Ysambert. Gonet nous affirme que le P. Hyacinthe Choquet, O. P. († 1646), comptait déjà à son époque cinquante-trois théologiens remarquables en faveur de cette opinion. De origine gratiee, t. i, Douai, 1628, t. II, disp. VI, c. i. Il n’est donc pas tout à fait exact d’affirmer, avec P. Pourrat, op. cit., p. 173, qu' « un grand nombre d’esprits, et des meilleurs, s'éloignant de l'école thomiste, adoptèrent l’opinion de Melchior Cano, dont le succès grandissait de jour en jour ». D’ailleurs la longue liste de partisans de cette opinion, relevée par les Salmanticenses, op. cit., p. 319, devrait s’allonger, de nos jours, d’une quantité d’autres noms faisant autorité dans le monde théologique : les dominicains Hugon, Tract, dogmatici, t. iii, De sacram. in communi, q. iii, a. 2, et La causalité instrumentale, p. 118 sq. ; Pègues, Si les sacrements sont causes perfectives de la grâce, dans la Revue thomiste, t.xii, p. 339-356, Commentaire littéral de la Somme théologique, t. xvii, p. 62-79 et Dictionnaire de la Somme théologique, t. ii, p. 1173-1188 ; B. Lavaud, Revue thomiste, 1927, p. 292 sq. ; 450 ; P. Synave, Vie de Jésus, édit. de la Revue des jeunes, t. ii, p. 415 cq. ; Marin-Sola, Divus Thomas, janvier 1925 ; Sertillanges, Les sept sacrements de l'Église, Paris, 1911, p. 8 ; Haynal, Angelicum, 1927, etc. lui dehors de l'école dominicaine, les partisans de la causalité physique sont légion : Bucceroni, S. J., De causalitate sacramentorum commentarius ; card. Lépicier, De sacramentis in communi (III* part. Sum. S. Thomæ, q. lxii, a. 4), p. 102, n. 3-17, avec une note sévère (n. 17) pour la causalité morale qui « déroge à la perfection de l’univers » ; Oswald, Die dogmatische Lehre von den heiligen Sacramenten der katholischen Kirche. Munster, 1877 (4e édit.), p. 55 sq. ; N. Gihr, op. cit., trad. franc., p. 96-99 ; Casajoana, Disquisitiones scholastico-dogmaticæ, t. iii, Barcelone, 1890, n. 65-74 ; Hermann, C. SS. R., Institutiones theol. dogm. (7e édit., 1937), n. 1483 (excellent exposé des raisons qui rendent plus probable la causalité physique) ; Heinrich-Gutberlet, Dogmatische Théologie, t. ix, Mayence, 1901, p. 136150 ; Del Val, Sacra Iheologia dogmatica, t. iii, Madrid, 1908, n. 53-58 ; Diekamp-Hoflmann, Manuale theol. dogm., t. iv, p. 42 sq. ; Mattiussi, S. J., De sacramentis animadversiones, Rome, 1913, p. 26 sq. (excellente mise au point de la doctrine de saint Thomas) ; J. O’Connell, De sacramentis Ecclesiæ, t. i, Bruges, 1933, p. 75-78. Nous passons sous silence les articles de revues.

2. Discussion.

a) Les arguments favorables. — a. Cette doctrine est plus conforme à la sainte Écriture. — Elle enseigne que nous renaissons de l’eau (ex aqua), par le bain de la régénération, que la grâce et l’EspritSaint sont donnés par l’imposition des mains, que nous sommes purifiés par le bain du baptême (mundari lavacro). Or les particules ex, per, l’ablatif lavacro, par leur sens propre et obvie, dénotent la causalité physique.

b. Cette doctrine est plus conforme aux assertions îles saints Pères. — Cf. S. Thomas, q. lxii, a. 4. On a vu plus haut, col. 498-527, comment les Pères enseignent l’efficacité du rite sacramentel. Leurs expressions supportent difficilement l’interprétation de la causalité morale. Voir Hugon, La causalité instrumentale, p. 122-125 : « Oratoires, si l’on veut, ces expressions, mais à la condition qu’on ne leur prête pas un sens entièrement étranger à celui qu’elles signifient si naturellement. Tout en recourant aux artifices littéraires et aux métaphores hardies, les Pères entendent bien choisir les images exactes l ; s plus propres à expliquer, à éclaircir le dogme. F’ourquoi donc n’emploient-ils que les exemples de la causalité physique ? Qu’ils n’aient pas songé à toutes les subtilités de la