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SACREMENTS. INSTITUTION ET NOMBRE

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considération est bien proposée par Jean de Saint-Thomas : « Les sacrements ne sont pas des signes de notre sanctification d’une manière abstraite, mais… selon le mode concret réalise par Dieu dans le présent décret de sa providence. Ils doivent donc signifier la grâce, telle que nous l’avons, c’est-à-dire une grâce de rédemption, accordée par la médiation du rédempteur. D’où il suit que les sacrements, en tant qu’ils sont donnés à l’homme déchu, auquel est nécessaire une réparation et un réparateur, signifient plus essentiellement, s’il est permis de parler ainsi, le Rédempteur que le salut même de l’homme… parce qu’ils signifient la grâce, en tant que donnée par le Sauveur et pas autrement. » Loc. cit., n. 30.

Par rapport à la grâce apportée par le Rédempteur, les sacrements, aussi bien ceux de l’ancienne Loi que les sacrements chrétiens, sont des signes pratiques de cette grâce. Pour vérifier celle qualité de signes pratiques, il n’est pas nécessaire que les sacrements soient causes de la grâce. Cette qualité est propre aux sacrements de la Loi nouvelle ; il suffit qu’ils dirigent l’intelligence humaine vers la recherche de la sanctification. Or, les sacrements de la Loi ancienne étaient établis « pour que les hommes témoignassent leur foi dans l’avènement du Rédempteur futur ». S. Thomas, III a, q. lxi, a. 3. Cela suffit pour leur conférer le caractère de signes pratiques.

Mais, dans la Loi nouvelle, les sacrements sont signes pratiques de la grâce, parce que la production de la grâce, qui applique à l’âme le fruit de la passion, du Rédempteur, est liée essentiellement à la réception du sacrement, et que le sacrement est cause de la grâce, non pas en tant que signe sacramentel considéré comme signe sacramentel, mais en tant que sacrement chrétien. Cf. Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 131. C’est pourquoi saint Thomas, définissant le sacrement chrétien, l’appelle (en une phrase dont l’amphibologie est dissipée par une réponse) : signum rei sacræ, inquantum est sanctificans (c’est la res et non le signum qui sanctifie) Iiomines. Sum. theol., IIP, q. lx, a. 1. Les Salmanticenses corrigent quelque peu la définition : signum rei sacrée ut sanctifleanlis nos. Op. cit., disp. I, dub. m.

Toutefois une observation est ici indispensable : « être cause de la grâce » peut s’entendre en un double sens. Tout d’abord - — et c’est le sens où il faut s’arrêter ici — on peut dire que les sacrements de la Loi nouvelle ont reçu, de l’institution du Christ, la destination de produire la grâce, lorsqu’ils sont appliqués à l’homme bénéficiaire de la rédemption. Ensuite, on peut dire que les sacrements produisent effectivement la grâce, au moment même où ils sont appliqués. Ici, l’institution du Christ ne suffit plus ; il faut y ajouter une dépendance actuelle du sacrement à l’égard de la passion du Christ, dont il est fin si ru nient dans l’œuvre de la sanctification des âmes, l’.l, pour reprendre l’expression de Jean de Saint-Thomas, sous le premier aspect la réalité intentionnelle qui constitue la signification sacramentelle suffit à expliquer la destination de produire la grâce ; sous le second aspect, il faut de plus un influx réel, qui explique la production actuelle de la grâce. Cf. Jean de Saint-Thomas, loc. cit.. n. 10 et 45.

Cette précision permettra de donner leur véritable portée aux affirmations de nos grands théologiens : Sacramenta novæ Legis simul sunt causa et signa, et iiule est quod, sicut comrnunitcr dicitur, « efflciunt quod figurant ». Ex quo etium patet, quod ha lient perfecte rationem sacramenti, in quantum ordinantur ad aliquid sacrum, non sol uni prr moilum si qui. sed ctiam per modum causa, s. Thomas, [II », q. lxii, a. I, ad lum. On saisit l’importance du terme ordinantur, S. Bonaventure : Sacramentum nova Legis tlu » habet, seilicet quod est figura et causa. In 7 V™ Sent., dist. X, dub. ni. Sacramentum dicitur invisibilis gratiêe visibile causaleque signum. Denys le Chartreux, Dialog., t. IV, q. i.


III. L’institution et le nombre septénaire.

Si nous réunissons sous le même titre deux questions qui d’habitude sont traitées à part par les théologiens, c’est qu’il existe, entre les deux, un lien intime que le concile de Trente a souligné en définissant simultanément et l’institution des sacrements par le Christ et leur nombre septénaire :

Si quelqu’un dit que les sacrements de la Loi nouvelle n’ont pas été tous institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ, ou qu’il y en a plus ou moins de sept, savoir : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrëme-onction, l’ordre et le mariage ; ou que quelqu’un de ces sept n’est pas proprement et véritablement un sacrement, qu’il soit anathème. Denz.-Bannw., n. 844. Voir le texte latin, col. 603-604.

On voit par ce texte conciliaire que trois vérités sont simultanément définies, tant elles sont solidaires l’une de l’autre. 1° Tous les sacrements de la Loi nouvelle ont été institués par le Christ. 2° Il y a sept sacrements, ni plus ni moins. 3° Ces sacrements sont proprement et véritablement des sacrements. Et, ici, le mot est entendu au sens strict que la théologie catholique lui reconnaît depuis le xiiie siècle, « signe efficace de la grâce qu’il produit ». Il est impossible de traiter la question du septénaire indépendamment de celle de l’institution, car, nous l’avons vii, jusqu’au xiie siècle, le mot sacrement était appliqué indifféremment aux rites sacrés et même aux mystères de la foi. Pour discerner les rites sacrés producteurs de grâce, il est donc indispensable de recourir à l’autorité de celui-là seul qui pouvait leur communiquer une signification sacramentelle.

On voit comment la question se pose théologiquement. Il ne s’agit pas de démontrer, documents en mains, que Jésus-Christ a institué telle forme et telle matière dont tel sacrement est ou apparaît constitué dans son être sensible et matériel ; il s’agit uniquement de savoir sur quels éléments sensibles, déjà déterminés, ou déterminés par le Christ lui-même, ou encore à déterminer dans l’avenir par les apôtres ou par l’Église, est tombée l’intention du Christ, conférant ainsi à ces éléments leur signification sacramentelle et, par cette signification, leur être proprement sacramentel, comme il a clé expliqué ci-dessus. Col. 534.

Cette connaissance de l’intention du Christ peut nous être suggérée par l’étude des sacrements eux-mêmes et de leur rôle respectif dans la vie surnaturelle de l’homme ; plus précisément indiquée dans la sainte Écriture ; formellement donnée par le magistère de l’Église sous les multiples formes qu’il peut revêtir. Cette vérité primordiale une fois établie, toutes les discussions soulevées au sujet de l’institution des sacrements par le Christ apparaîtront comme de simples opinions, intéressantes à coup sûr au point de vue historique, mais sans portée dogmatique.

I. L’INTENTION DU CHRIST SUGGÉRÉE PAR L’ETUDE DES SACREMENTS EUX-MÊMES ET DE LEUR RÔLE RESPECTIF DANS LA VIE SURNATURELLE DE L’HOMME.—

Convenance de l’institution des sacrements.

Saint Thomas a abordé cet aspect du problème dans la Somme théologique, III’. q. lxi, De la nécessité des sacrements. Malgré le mot nécessité employé par saint Thomas, il ne peut être question ici que de l’extrême convenance des sacrements. Mais cette convenance est si mande que les I héologieil-S n’hésitent pas à parler de la nécessite de leur institution, nécessité non pas absolue, niais relative et hypothétique, qui porte sur l’existence des sacrements, non point en elle-même, mais relativement au but, c’est-à-dire en vue d’al teindre ce but plus facilement et plus complè-