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461 SACRAMENTAIRE (CONTROV.). ACCORD DE WITTENBERG 462

rencontre se produisit, entre les théologiens wittenbergeois et les sacramentaires, à Cassel, à la fin de 1534. Bucer, qui avait dû aller à Augsbourg, pour y résoudre des questions d’organisation religieuse, avait passé de là à Constance, où s’était tenue une réunion des théologiens réformés d’Augsbourg, Ulm, Memmingen, Isny, Lindau, Kempten et naturellement de Constance (les deux Blaurer). Ceux de Zurich n’étaient point venus. On avait discuté sur les formules possibles d’accord. Bucer était ensuite parti pour Cassel où le landgrave avait invité les théologiens de Wittenberg. Mélanchthon avait été chargé de représenter la doctrine luthérienne. Le 17 décembre 1534, Luther lui avait remis une « instruction » précisant son point de vue : « Mes idées sont les suivantes, disait-il : 1. Nous ne concéderons jamais que l’on dise de nous que personne n’a compris personne. Ce n’est pas par un tel remède qu’une telle plaie peut être guérie… 2. Comme jusqu’ici la discussion portait sur ce point que nos adversaires voyaient un signe où nous affirmons le corps du Christ…, il ne me semble pas utile d’avancer une nouvelle opinion selon laquelle ils concéderaient que le corps du Christ est vraiment présent et nous concéderions que l’on ne mange que le pain… Une fois cette fenêtre ouverte, il naîtrait des sources, bien plus des océans de questions et d’opinions…, qui ne profiteraient qu’à l’épicurisme (c’est-à-dire à l’incrédulité)… 3. Nous avons pour nous le texte même de l’Évangile, si clair qu’il ébranle tous les hommes…, en outre les affirmations nombreuses des Pères que l’on ne peut détourner en sûreté de conscience…, en troisième lieu ceci : qu’il serait périlleux d’admettre que l’Église, dans tout l’univers, ait manqué du vrai sens de ce sacrement, durant tant d’années, puisque nous admettons que la parole et les sacrements, bien qu’altérés par de nombreuses abominations, n’ont jamais été détruits. » Après quoi, Luther examinait certains textes de saint Augustin favorables à première vue à une manducation toute spirituelle, mais qu’il déclarait devoir être interprétés dans le sens traditionnel. Enders, t. x, p. 92 sq..Mais Bi cer ne céda pas encore tout de suite. Selon lui, on pouvait concéder un lien réel entre le pain et le corps du Christ, mais ce lien n’était pas celui d’une union naturelle et physique, mais seulement d’une union sacramentelle. Pourtant le :  ; deux camps semblaient se rapprocher, au moins en paroles. Après de nouvelles négociations qu’il serait trop long de raconter, une conférence suprême fut convoquée, au printemps de 1536, à Eisenach. Mais comme Luther, retenu par la maladie et par de nouveaux scrupules, ne pouvait y assister, elle fut transférée à Wittenberg, où elle s’ouvrit le 22 mai et aboutit, le 29, à un texte qui fut souscrit à la fois par les théologiens wittenbergeois, et ceux de Strasbourg, Augsbourg, Memmingen, Ulm, Esslingen, Reutligen, Francfort, Constance. Les Suisses n’avaient envoyé personne. C’est ce texte que l’on appelle la Concorde de Wittenberg. En voici l’analyse :

1° « Nous confessons, selon les paroles d’Irénée, que l’eucharistie est composée de deux éléments, l’un céleste, l’autre terrestre. C’est pourquoi (les soussignés) admettent et enseignent qu’avec le pain et le vin le corps et le sang du Christ sont vraiment et substantiellement présents, offerts et pris. »

2° « Et bien qu’ils nient qu’il se produise une transsubstantiation ou une inclusion locale dans le pain ou une certaine conjonction durable en dehors de l’usage du sacrement, toutefois, ils concèdent que, par une union sacramentelle, le pain est le corps du Christ, c’est-à-dire, ils croient que par la présentation du pain le corps du Christ est vraiment présenté aussi. Car, en dehors de l’usage, quand il est conservé dans une pyxide ou est montré dans les processions, comme cela se fait

chez les papistes, ils pensent que le corps du Christ n’est pas présent. »

3° Ils estiment que cette institution du sacrement est valable dans l’Église, sans dépendre ni de la dignili du ministre, ni de celle du communiant, en sorte que, selon le mot de Paul, même les indignes le mangent…, mais pour leur propre condamnation.

Au surplus, le texte annonçait qu’avant d’être définitif, il devait être proposé « à d’autres prédicateurs cl aux supérieurs ».

Comme on le voit, Luther avait concédé qu’en dehors de l’usage, le corps du Christ n’csl pas dans l’eucharistie. Et Bucer avait concédé que, dans l’usage, ce corps est mangé même par les indignes, c’est-à-dire les communiants sans foi ni pénitence.

Cet accord mit fin, au moins au dehors et pour le grand public, à la controverse sacramentaire. De part et d’autre, c’est-à-dire de Wittenberg comme de Strasbourg, on mit le plus grand zèle à faire adopter la

« Concorde » dans les Églises particulières, en la faisant

souscrire par les théologiens, les prédicateurs et les conseillers des villes. Parmi ceux qui acceptèrent l’accord, on eut la surprise de compter Karlstadt et Myconius. Le premier avait fait longtemps l’opposition que nous avons dite au sentiment île Luther. Il était maintenant à Bâle, où il exerçait une influence sérieuse. Il devait mourir de la peste en 1541 et l’on déclara qu’il était lui-même la « peste » de la cité. Le second était le successeur d’CEcolampade et, pour cette raison, on pouvait craindre qu’il fît difficulté d’admettre des formules d’origine luthérienne.

Bucer et ses amis estimèrent que l’adhésion de Karlstadt et de Myconius constituait un véritable triomphe. En réalité, rien ne prouvait mieux que cette victoire facile tout ce qu’il y avait de fallacieux dans la « Concorde ». Chacun prétendait y retrouver ses propres idées. Chacun la tirait à son sens particulier. Et Bucer, dans son désir d’entente générale entre les chefs de la Réforme, demandait encore à Luther d’atténuer les aspérités de sa doctrine, pour que les successeurs de Zwingli, à Zurich, ne pussent y voir une condamnation de leur maître vénéré. Nous n’entrerons pas dans le détail de ces négociations. Qu’il nous suffise de dire que les choses finirent par se gâter de nouveau complè temeiit entre Zurich et Wittenberg. La lettre que voici, de Bucer à Luther, en date du 9 septembre 1514, va nous dire ce qu’était devenu l’accord, huit ans après sa conclusion :

« Nous avons appris par certains rapports que Votre

Révérence est gravement échauffée contre ceux de Zurich. Et ce n’est pas nous seulement, qui enseignons l’Évangile dans les Églises du saint empire romain, qui trouvons très mal qu’une juste cause de colère ait été donnée à Notre Révérence par les Zurichois, mais aussi nos frères de Rerne et de Bâle. Car nous, qui avons embrassé la formule de Concorde rédigée par vous, nous persistons tous, jusqu’au dernier, dans la vérité reconnue, depuis que nous avons approuvé et reçu par notre consentement ces articles pieusement et diligemment examinés selon la règle de la Parole divine. Les Bernois et les Bàlois observent purement et sincèrement leur confession qui vous a été transmise, au point qu’à part un ou deux réfractaires ils soient d’accord avec nous sur tous les points. A Bâle en effet la concorde de l’Église est sincère et droite et on n’a rien omis, en communion avec nous, pour obtenir, par tous les arguments possibles, le consentement des Zurichois. Mais Satan a trouvé des suppôts pour empêcher cette concorde souverainement nécessaire de l’Église et la troubler. Il comprend en effet que cette querelle lui a toujours été et lui est encore très avantageuse tant pour accroître et confirmer la dissolution de la vie et des mœurs que pour infecter et séduire les consciences