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457 SACRAMENTAIRE (CONTROV.). ARTICLES DE SCHWARACH 458

cun soutiendra son opinion, sans invective, mais non sans se défendre et sans réfuter l’adversaire. Nous nous sommes quittés là-dessus… » Enders, t. vii, p. 168-169.

Le résultat était maigre. Bucer, de Strasbourg, écrivait, dépité, le 18 octobre : « Le pieux prince n’a rien négligé pour rétablir la concorde entre nous… Mais il a plu à Dieu que, mus par je ne sais quel esprit, Luther et les siens n’aient pas voulu conclure d’autre concorde avec nous que celle qu’ils ont avec les Turcs et les Juifs. » Enders, ibid., p. 171, note 9.

Strasbourg était donc pour Zwingli. Par contre, les luthériens félicitaient Luther de n’avoir pas consenti à traiter les sacrament aires de « frères ».

En réalité, maintenant que nous connaissons le dessous des cartes, le colloque de Marbourg ne peut nous apparaître que comme une solennelle comédie et un jeu truqué d’avance. Il était voué à un échec certain. De part et d’autre, on était lié. Philippe de Hesse avait, à l’insu de la Saxe, et avant l’arrivée des docteurs de Wittenberg, tendu les fils d’une ligue politique avec Zurich et Bâle. Il était donc décidé à traiter, quoi qu’il arrivât, Zwingli et Œcolampade en « réformateurs » authentiques. Dans sa haine des Habsbourg et son impatience d’agir, il entendait forcer la main à la maison de Suxe, qui avait des raisons d’éviter toute cause de conflit avec la maison impériale d’Autriche.

De leur côté, Luther et ses compagnons étaient bien décidés à venir à Marbourg en examinateurs de la foi des autres et non en hommes qui cherchent à s’instruire par une libre discussion. De plus, entre la Saxe, la ville de Nuremberg et le margraviat de Brandebourg-Ansbach, un accord avait été conclu, à l’insu de Philippe de Hesse. Entre les théologiens franconiens et ceux de Wittenberg, une confrontation des doctrines avait eu lieu. A Nuremberg et à Ansbach, on s’était préoccupé de mettre au point une confession de foi, depuis l’époque où la diète de Nuremberg, le 18 avril 1524, avait laissé entrevoir la perspective d’une assemblée germanique nationale dans laquelle chaque université et chaque État auraient à rendre compte de sa foi. Cette assemblée avait été interdite par Charles-Quint et n’avait pu avoir lieu. Mais des ébauches d’accord avaient été faites et le travail de rédaction confessionnelle, sans être poussé jusqu’au bout, avait donné de premiers résultats. Il existait, depuis 1525, une Confession de Nuremberg, prélude de la fameuse Confession d’Augsbourg de 1530. Il y avait eu aussi des échanges de confessions entre le margrave de Brandebourg-Ansbach et l’électeur de Saxe (sur tout cela, H. von Schubert, Die An/ange der cvangelischen Bekenntnissbildung bis 1529-1530, Leipzig, 1928, p. 14 sq.). Bref, entre décembre 1528 et l’été 1529, les théologiens de Wittenberg avaient mis sur pied un projet de confession, sur lequel la Saxe, le margraviat de Brandebourg-Ansbach et la cité de Nuremberg s’étaient entendus, dès le mois de juillet, mais qui ne fut communiqué aux conseillers de Philippe de Hesse, qu’après le colloque de Marbourg, en octobre. Or, ce projet contenait l’affirmation catégorique de la doctrine de Luther sur l’eucharistie. Luther et ses amis avaient donc leur Credo en poche, en se rendant au colloque. Ils s’étaient interdit la moindre concession.

Les articles de Schwabach.

Ce fut ce projet

wittenbergeois, consacré par l’accord de deux princes et d’une ville et érigé par eux en confession de foi, qui fut proposé, le 16 octobre, à Schwabach, aux délégués de Strasbourg et d’Ulm. C’est ce que les historiens ont appelé les Articles de Schwabach. De part et d’autre donc, les positions avaient été prises trop publiquement pour qu’un accord fût possible.

Quant aux arguments, ils ne changeaient pas plus que les positions doctrinales. On ne faisait que piétiner sur place. La seule idée nouvelle que l’on vit appa raître, au cours du long déroulement de la querelle — mais elle est d’importance — fut celle de Luther en vue d’expliquer la multilocation du corps du Christ. A l’entendre, c’était une conséquence logique de la

« communication des idiomes ». Et il croyait réfuter

ainsi l’objection non moins bizarre que Zwingli ramenait sans cesse sur le tapis : à savoir que le Christ ressuscité siège, selon le Symbole des apôtres et les évangiles,

« à la droite du Père », dans les cieux, ce qui rend,

selon lui, impossible sa présence dans le pain eucharistique.

A cela Luther avait répondu, dans son traité’de 1527 intitulé : Que ces paroles du Christ : « Ceci est mon corps >. tiennent toujours ferme : « Crois-tu que personne ne doit s’apercevoir que tu apportes quantité de textes bibliques sur des points inutiles et que, sur ceux où ils seraient nécessaires, tu n’en cites pas une ligne et ne rapportes que tes songes ? Mais l’Écriture nous enseigne que la « droite de Dieu » n’est pas un lieu déterminé, comme si elle était ou pouvait être un corps, par exemple, un trône doré, mais qu’elle est la toute-puissance de Dieu, qui ne peut être enfermée en aucun lieu et doit pourtant être en tout lieu… Or, la foi nous dit du Christ non seulement que Dieu est en lui, mais qu’il est Dieu même… Cela ne prouve-t-il pas assez que la

« droite de Dieu » n’est pas un lieu déterminé, comme

le prétendent les fanatiques, où se trouverait le corps du Christ, mais la toute-puissance de Dieu en personne. .. Et maintenant, discutons ensemble. Tu avoues que le Christ siège à la droite de Dieu et de là tu prétends conclure qu’il n’est donc pas dans l’eucharistie. C’est là, pour toi, l’épée du géant Goliath. Que dirais-tu si nous prenions cette épée, pour t’en couper la tête, en prouvant que le Christ doit être dans la cène, au moyen même de l’argument que tu avances pour démontrer qu’il n’y est pas ? Ne serait-ce pas là un exploit digne de David ? Eh bien ! écoute-nous : le corps du Christ est à la droite de Dieu. Or, la droite de Dieu est partout, comme tu dois le reconnaître et comme nous l’avons démontré. 1)onc, elle est aussi dans le pain et le vin sur l’autel. Mais partout où se trouve la droite de Dieu, la chair et le sang du Christ doivent s’y trouver également, car on ne peut pas diviser la droite de Dieu en petits morceaux et l’article du Symbole ne dit pas que le Christ siège en un doigt ou un ongle de la droite de Dieu, mais tout simplement qu’il est à la droite de Dieu, en sorte que, partout où se trouve la droite de Dieu, là se trouve également le Christ, le Fils de l’Homme… Et que doit-on conclure de là ? Nous en concluons ceci : que, même si le Christ n’avait jamais dit ces mots, à la Cène : « Ceci est mon corps », nous serions contraints par ces seules paroles : le Christ siège à la droite de Dieu, de déclarer que son corps et son sang sont là, comme dans tous les autres lieux. » Lutherswerke, éd. Schwetschke, Berlin, t. IV, p. 386 sq. Cette théorie de l’ubiquité fut plus tard érigée en dogme dans l’Église luthérienne.

Cette fois, Luther, cédant à son tempérament

« hyperbolique » — selon le mot de ses adversaires —

triomphait trop ! Car, si le Christ n’est pas davantage dans l’eucharistie que « dans tous les autres lieux », quel intérêt particulier peut présenter pour nous la cène ? Et comment regarder cette présence du Christ dérivée de la communication de la toute-puissance divine comme autre chose qu’une présence spirituelle, que ni Zwingli, ni Q^colampade, ni surtout Bucer ne rejetaient ? Poussée ainsi à l’extrême, l’opinion de Luther rejoignait donc celle de ses adversaires ? On ne pouvait discuter plus faiblement !

On aura encore une idée de la façon dont la discussion avait été poursuivie, par ce passage d’une lettre de Luther à Jacques Probst, de Brème, en date du 1 er juin 1530. Luther avait appris que Zwingli s’attri-