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SAC H A MENT AI RE (CONTROVERSE). LIT II ER

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tique, tandis que Zwingli était un pur rationaliste. Ces nuances furent mal saisies par les contemporains. On ne retint qu’une chose, c’esi que, pour Œcolampade, comme pour Zwingli, la phrase Ceci est mon corps » ne pouvait être traduite littéralement, mais qu’elle n’était qu’un Irope, c’est-à-dire une figure.

Riposte de Luther.

Les deux ouvrages causèrent

un émoi énorme dans le monde de la Réforme. Tout de suite, les amis de Luther se tournèrent vers lui. A Nicolas Haussmann, ministre à Zwickau, qui l’invoquait, il répondit d’abord : « Pendant que je suis dans Erasme, je ne puis rien faire d’autre. Zwingli et Œcolampade nous attaquent, mais je laisserai cela à d’autres ou plutôt on le méprisera. Satan est partout en démence, mais le Christ est sage et fort. » Enders, t. v, p. 249, début d’octobre 1525. On voit ce qui l’arrêtait. Il avait sur les bras la réfutation fies critiques d’Érasme, au sujet du serf-arbitre. Il n’en était pas moins sensible aux attaques venues de Suisse. Son premier mouvement fut « l’englober Zwingli et Œcolampade dans le même discrédit que Karlstadt, aux yeux de ses amis. Pour lui, c’était bien le même esprit, la même doctrine, les mêmes arguments, sous une forme différente. Les luthériens n’en voulurent plus démordre. Mais Luther fut amené à réfuter ses adversaires, au moins sommairement, sans pouvoir attendre d’en avoir fini avec Érasme. Les Strasbourgeois lui envoyèrent un message pressant. Ils lui vantaient la

« sainteté et l’œuvre ecclésiastique de Zwingli et d’Œcolampade ». Enders, t. v, p. 262, lettre de Luther aux

prédicateurs de Strasbourg, 5 novembre 1525. Luther remit donc à leur envoyé, Grégoire Casel, une lettre vigoureuse, où il donnait en abrégé la réfutation de ses adversaires. Il se montrait catégorique.

« Rien de plus désirable que la paix, écrivait-il… Ce

n’est pas nous qui avons soulevé cette tragédie, mais nous répondons par force. On ne peut plus se taire, depuis que les libelles publiés (par Zwingli et Œcolampade, je crois) ont troublé les esprits, à moins que l’on ne veuille que nous abandonnions le ministère de la parole et le soin des âmes… Il est juste de s’abstenir de toute injure… Mais n’est-ce pas une injure quand ces écrivains très modérés nous appellent « carnivores » et nous reprochent d’adorer un dieu qui se mange et qui est « impané », de nier aussi la rédemption faite sur la croix ?… En somme, il faut que les uns ou les autres soient des ministres de Satan : eux ou nous ! Il n’y a pas place pour un avis intermédiaire ou pour un milieu. Il faut que chaque partie confesse ce qu’elle croit. Et, du moment qu’ils sont si assurés, nous leur demandons de ne pas dissimuler qu’ici ils sont en dissentiment formel avec nous… Que si eux persistent à dissimuler, il nous incombera de proclamer que nous sommes étrangers les uns aux autres et que nos esprits sont opposés. Quel rapport peut-il y avoir en effet entre le Christ et Bélial ? Nous embrassons volontiers la paix, mais à condition que notre paix avec Dieu par le Christ soit sauve. »

Après ces (ières paroles, Lut lier abordait les arguments adverses :

« Leurs raisons sont nulles, disait-il. Nous n’admettons

jias le trope et ils ne le prouvent pas. Il fallait démontrer qu’en ce passage, le verbe est doit être pris pour signifteat. Ils prouvent bien qu’il en est ainsi en d’autres passages de [’Écriture. Qui donc l’ignorait ? Mais ils devraient craindre d’autanl plus de se tromper ici que, manifestement, ils sont aveugles dans plus d’un exemple qu’ils donnent. Ainsi, dans petra end Christus, ils ne voient pas clair. Paul ne parle pas d’une pierre corporelle, mais spirituelle… Bibebant, écrit-il, de spirituali conséquente rus petra… Or, le Christ était bien réellement cette pierre spirituelle. Pourquoi donc

« lire— que end est pris là pour siipii/iralxd. N’est ce pas

un lapsus manifeste ? De même, dans A anus est transitas Domini, leur erreur est évidente… Moïse dit en effet : « Mangez rapidement, car c’est le passage du Seigneur. Ce qui veut dire : « Vous ferez ainsi toutes i choses, parce que c’est la Pâque, c’est-à-dire le passage du Seigneur », comme si je disais : « Mangez du rôti, car c’est dimanche. » Le mot est se rapporte ici au jour, non à l’agneau… »

Ht Luther de conclure : « On peut bien prouver que le mot est est pris pour signifteat en certains endroits, mais on ne peut prouver que ce soit le cas dans l’eucharistie. Or, faire violence aux paroles de l’Écriture, sans raison suffisante, est un sacrilège… Il y a là un péril pour le salut. S’ils ne peuvent ou ne veulent se taire, nous comparerons leur erreur aux violences du siècle d’Arius…, mais ils ne nous convaincront pas : non pervincent ! » Et il terminait en repoussant l’argument final que ses adversaires prétendaient tirer des expérimenta fidei, c’est-à-dire du témoignage intérieur de leurs esprits et de leurs consciences. « A quoi sert ce grand mot, fastuosissima illa vox, d’expérience de la foi et de témoignage de l’esprit, si nous pouvons l’invoquer pour nous et le repousser pour les autres ?… Nous sommes certains de ne pas nous tromper, à eux de voir jusqu’à quel point ils sont certains de ne pas se tromper. Que Dieu leur accorde de ne vraiment pas se tromper, c’est-à-dire de revenir à la vérité. » Enders, t. v, p. 264-267, lettre à Casel, 5 novembre 1525.

Dans une autre lettre, Luther tournait contre ses adversaires cet argument des « variations » que Bossuel devait si puissamment mettre en batterie contre la Réforme tout entière. « Il y a trois sectes dans cette erreur sur le sacrement, écrivait-il… Leurs dissensions prouvent que ce qu’ils enseignent vient de Satan, car l’Esprit de Dieu n’est pas un Dieu de dissension mais de paix. » Enders, t. v, p. 294, 31 décembre 1525.

Ouvrages principaux de l’un et l’autre camp.

La

bataille était dès lors engagée, et les positions prises. Nous nous bornerons à signaler les incidents les plus marquants, c’est-à-dire les ouvrages principaux dans un camp comme dans l’autre.

1. L’ouvrage d’Œcolampade fut d’abord réfuté par un ami de Luther, Brenz, dont l’œuvre fut signée de quatorze théologiens luthériens, réunis à Schwàbisch-Hall, le 21 octobre 1525, et poliment envoyée sous pli privé à l’intéressé lui-même. Mais bientôt cette œuvre fut publiée, à l’insu des signataires et de l’auteur, sous le titre de Syngramma (Augsbourg, fin 1525). Puis Luther en fit faire une nouvelle édition à Wittenberg, au début de 1526. Voir Enders, t. v, p. 321, 18 février 1526. Œcolampade, piqué au vif par la réception de ce document, avait répliqué par un Antisyngramma, achevé en manuscrit, dès le 21 novembre 1525, et livré lui aussi à la publicité en 1526.

Ce qu’il y avait de plus remarquable dans cette réfutation de Brenz et des autres théologiens souabes, c’était, en dehors de l’étalage d’érudition, l’assimilation volontaire et complète des doctrines de Zwingli et d’Œcolampade à celle de Karlstadt. dont le nom seul, depuis la terrible Guerre des paysans, était devenu un épouvantai] dans les milieux bourgeois et aristocratiques. Nous axions à peine échappe à la pernicieuse hypocrisie de Karlstadt, disait le Syngramma et voilà que tu fouilles dans le même marécage, beaucoup plus savamment du reste ! »

A partir de ce moment, il fut acquis, dans le monde luthérien que Zwingli et Œcolampade devaient être rangés parmi les fanatiques », tantôt à côté, tantôt même au-dessous de Karlstadt lui-même. Luther les appelait sacramentomastigas (les flagelleurs du.sacrement ) ou Sakramentslâsterer (les blasphémateurs du sacrement) ou. le plus souvent, sacramentarii, les sacramentaires.