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    1. RUSSIE##


RUSSIE. LE MOUVEMENT SLAVOPHILE

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(Javorskij) et la liberté (Prokopovic), qui intègrent le sentiment religieux de l’Eglise russe. Ch. Quénet, Tchaadæv, p. 320 sq. C’était la thèse fondamentale de Khomjakov, elle se trouve développée dans les lettres qui forment le volume L’Eglise latine et le protestantisme au point de vue de l’Église d’Orient, Paris, 1853 ; Leipzig, 1855, 1858 ; Lausanne, 1872. À cette œuvre fondamentale s’ajoutent d’autres traités réunis dans le second volume des Socinenija de Khomjakov, 4e éd., Moscou, 1900.

La théologie de Khomjakov est construite sur la philosophie de Schelling, complétée d’éléments pris à l’école de Victor Cousin. V. Soloviev, L’idée russe, Paris, 1888, p. 35, signale en particulier Bordas-Demoulin ; et certes, s’il n’est pas aisé de préciser la dépendance à l’égard d’un auteur, on ne peut cependant nier que la philosophie religieuse de Khomjakov ne réponde assez exactement aux idées des philosophes qui sont à la fois disciples de Cousin et de Schelling comme F. Ravaisson-Mollien et Charles Secrétan. Secrétan, par exemple, enseigne que les individus vivent étroitement unis en un organisme social, dans lequel la liberté et la solidarité sont unies par le lien de l’amour. Ce sont les mêmes expressions que Khomjakov emploie continuellement dans son système théologique et dans ce qui fait la question centrale de ce système : la nature de l’Église. Cf. M. Krasnjuk, Religiozno-filosojskoe ucenie preznikh slavjanofllov, dans Vêra i razum, 1900, t. ii, p. 93-121, 174-186 ; V.-Z. Zavitnevic, lz sistemi filosofsko-bogoslovskago A. S. Khomjakova, dans Trudy, 1906, t. i. p. 17-50 ; ci. ibid., 1913, t. i. p. 256-277, 382423 ; A. Gracieux, L’élément moral dans la théologie de Khomiakov, dans Bessarione, série III, t. vu (19091910), p. 358 sq.

Khomjakov est persuadé que sa conception de l’Église est totalement différente du concept catholique : « Une différence essentielle sépare l’idée de l’Église qui se considère comme une unité organique, dont le principe vivant est la grâce divine de l’amour mutuel, de l’idée des communions occidentales, dont l’unité toute conventionnelle n’est…, chez les Romains, que l’action collective d’un état semi-spirituel. » L’Église latine et le protestantisme, Lausanne, 1872, p. 118..Mais quelle est exactement l’idée de Khomjakov sur l’Église ? Jules Samarin, dans l’introduction aux œuvres de ce théologien, N. Berdjaêv, .V. S. Khomfakou, p. 88-93 ; A.-P. Kharsavin, A..S. Khomjakov : C.erkvi, Berlin, 1926, p. 45, recueillent diverses expressions qui traitent de la nature de l’Église, mais sont loin d’en être une définition : « L’Église est un organisme de vérité et d’amour, ou plutôt, elle est la vérité et l’amour comme organisme ; l’Église, au sens complet du mot, n’est pas un être collectif ou abstrait ; elle est l’Esprit de Dieu qui se connaît lui-même ; l’Église, c’est l’unité dans l’amour et dans la liberté, etc. »

Toutes ces phrases sont obscures et imprécises ; si nous voulons trouver plus de clarté, nous devons recourir aux explications que donne notre théologien de la sobornost, traduction — ni très ancienne ni très parfaite — du mot « catholicité » dans le symbole slave. Cf. La traduction du mol xaôoÀixï) dans le texte slave du symbole de Nicée-Constantinople, dans Orientalia christiana, n. 55 (1929), p. 54-56. Khomjakov prend la sobornost, ou catholicité, au sens intensif, la faisant dériver du grec xaO’ôXov. Voir par exemple, A. -S. Khomjakov, L’Église latine et le protestantisme, p. 397 sq., c’est-à-dire que dans la société de l’Église, les fidèles sont libres, sans nulle contrainte de liens juridiques qui seraient opposés à l’esprit de l’Évangile ; mais en même temps ils sont étroitement unis entre eux par l’amour mutuel, qui est la vie même, l’essence de l’Église, se communiquant dans sa plénitude, également et sans restriction d’aucune sorte, à tous les fidèles, qui, pour cette raison, sont non des serviteurs mais de vrais membres de l’Église. Ibid., p. 36. Le protestantisme possède la liberté sans l’unité ; le catholicisme a l’unité sans la liberté ; dans l’orthodoxie seulement ces deux extrêmes (la thèse et l’antithèse du système idéaliste khomjakovien) se réduisent à une synthèse merveilleuse qui rend l’Église toute spirituelle et sainte, et lui confère, en même temps que la sainteté, l’infaillibilité et toutes les autres prérogatives dérivant de la sainteté. Cf. N. von Arseniew, Die Lehre der russischen Slavophilen von der Kirche, dans Intern. kirchl. Zeitschr., t. xxxv, 1927, p. 156 sq.

L’ecclésiologie de Khomjakov suscita le plus vif intérêt et recueillit dès le début de nombreuses adhésions ; mais elle eut aussi à lutter contre une forte opposition. La censure défendit l’impression en Russie de ses ouvrages, dont les premières éditions furent publiées à Prague ; et, quand elle permit l’édition de 1879, elle ordonna d’y placer en tête une admonitio ad lectorem, ainsi rédigée : « Nous devons avertir le lecteur que l’imprécision et l’inexactitude qui se trouvent en certaines phrases doivent être attribuées à l’incomplète formation de l’auteur dans les sciences théologiques. » Polnoe sobranie socinenii A. S. Khomjakova, t. ii, 4e éd., Moscou, 1900. Il ne manqua pas de théologiens qui cherchèrent à corriger les excès de la doctrine slavophile, tels Katanskij et A.-V. Gorskij de l’académie de Moscou. Leur attitude envers les slavophiles se trouve décrite dans un érudit article de Th. Andreêv, Moskovskaja dukhoonaja akademija i Slavjanofili, dans Bog. Visl., 1915, t. iii, p. 563-644. A Saint-Pétersbourg, N. Barsov relevait les lacunes de la nouvelle méthode théologique, dans son livre Nooyi metod v bogoslovie, Saint-Pétersbourg, 1870 ; cf. Khr. Cten., 1869, t. i ; 1870, t. i ; znacenie Khomjakova v istorii otecestvennago bogoslovija, dans ibid., 1878, t. i, p, 303-320 ; Istoriceskie, kritiëeskie i polemiôeskie opijli, Saint-Pétersbourg. 1879.

Les théologiens opposés au courant slavophile, s’alarment principalement du fait que ces auteurs, trop confiants dans les principes de la philosophie idéaliste, négligent les documents positifs de l’Écriture et de la Tradition, uniques sources des vérités dogmatiques, et compromettent la position antique de l’Église orthodoxe concernant la hiérarchie et la visibilité de l’Église. Plus désagréable peut-être aux slavophiles fut l’attaque déchaînée contre eux au nom et avec les armes de la philosophie religieuse.

Le plus illustre des penseurs russes modernes, Vladimir Sergèvic Solovèv (v 1900), appelé par Alexandre Nikolskij VOrigène russe (cf. Vêra i razum, 1902, t. i, p. 407 sq.), s’était d’abord laissé captiver par les idées de Khomjakov ; mais plus tard il devint son adversaire le plus convaincu. Toute la vie de Solovêv est une ascension continuelle vers la vérité. Cf. M. d’IIerbigny, L’n Newman russe, Vladimir Soloviev, Paris, 1911. Sur le terrain purement philosophique comme sur celui de la dogmatique et spécialement dans l’ecclésiologie, il ne resta pas fixé à son point de départ. Durantles dix années 1881 à 1891, Solovêv s’éloigne de plus en plus de la thèse fondamentale de Khomjakov, et, intimement persuadé de la nécessité de l’autorité, il arrive finalement à reconnaître de manière explicite la primauté de Rome dans son livre La Russie et V Eglise universelle, Paris, 1889, et cela d’une manière si claire et si manifeste, que ses admirateurs orthodoxes se virent contraints à constater le fait. Cf. I.-A.. Y. S. Solovêv, kak zaicilnik papslva po kn. « La Russie et l’Église universelle », dans Yéra i razum, 1904, t. i. p. 614-638 ; t. ii, p. 13-35 : N. I. N., Yozzrènie V. S. Solovêua nu Katoliëestoo, dans ibid., 1914, t. ii, p. 49-71, 193-217, 483-525, 571-590, 720-746. Cette position