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    1. RUSSIE##


RUSSIE. LE RETOUR A LA TRADITION

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Les manuels de Platon et de Théophylacte curent des imitateurs. En 1799 paraissait à Saint-Pétersbourg l’œuvre du premier recteur de l’académie de Kazan, Silvestre Lebedinskij, Compendium theologiae clussiciim didactico-polemicum, doctrines orthodoxie christianæ maxime consonum et trois ans plus tard, en 1802, le recteur de Kiev, Irénée Falkovskij, faisait imprimer à Moscou son livre : Christianæ orthodoxse dogmatico-polemicæ theologiee, olim a clarissimo viro Theophane Procopovilch ejusque ùontinuatoribus adornatæ compendium, in usum russicie studiosee juventutis concinnatum, etc. Ce livre reçut les plus grands éloges des théologiens et les plus hautes recommandations du Saint-Synode.

Les manuels prokopoviens, adoptés comme livres de texte pour la théologie, propagèrent efficacement parmi les élèves des académies et des séminaires les idées de Theophane, dont l’œuvre était trop volumineuse pour être abordable aux jeunes gens. La tendance vers le protestantisme s’accentue de plus en plus en ces manuels ; presque tous complètent Prokopovic’par quelques autres auteurs protestants : Platon LevSin se sert de la théologie de Quenstedt ; Théophylacte Gorskij emploie de préférence les Institutiones theologiæ dogmaticæ de Jean-François Buddée ; Silvestre Lebedinskij utilise l’Examen theologicum acromaticum de D. Hollace et ses successeurs dans la chaire de Kazan, Épiphane, Athanase et Theophane, recourent à Buddée qui est l’auteur classique parmi les théologiens russes protestantisants depuis le temps de Prokopovic.

Certains dogmes plus traditionnels sont respectés : ceux notamment qui concernent le Saint-Esprit, l’eucharistie et les autres sacrements, etc. ; mais, quand ils traitent de la doctrine de l’Église, de la justification, de la sainte Écriture comme unique règle de foi, les disciples de Prokopovic ne se croient pas obligés de garder la même réserve que leur maître. Théophylacte Gorskij, par exemple, définit l’Église : Cœtus seu societas ex his conflala qui fide vera cum Christo ceu capile suo conjuncti sunt, nomenque adeo sanctorum promerentur ; il est évident pour lui que la justification se fait par la loi seule, laquelle n’est rien d’autre que la confiance avec laquelle nous faisons nôtres les mérites de Jésus-Christ ; cette foi suffit ut justitia et obedientia Christi nobis impulari queat, sans qu’il se produise, en fait, une vraie rémission des péchés. Cf. son œuvre Orthodoxse orientalis Ecclesiw dogmata, éd. de Moscou, 1831, p. 270, 191-197.

Ces quelques phrases suffisent pour faire connaître le caractère de la doctrine théologique enseignée par les disciples de Prokopovic. Cette doctrine n’était pas seulement dans les textes, elle se manifestait aussi dans les disputes scolastiques et obtenait, chose infiniment grave, l’appui de l’autorité ecclésiastique.


VI. Le retour a la tradition. La théologie de Macaire.

Les trente premières années du xixe siècle favorisèrent le développement et l’hégémonie incontestée du système prokopovien, qui trouva deux puissants alliés : la Société biblique pétropolitaine qui venait de se constituer, et la philosophie idéaliste d’Allemagne, qui se répandit très vite en Russie. Mais ce fut justement ce qui donna l’alarme et provoqua la réaction de 1836 ; réaction incomplète cependant, laquelle à son tour favorisa la naissance de plusieurs courants simultanés au sein de la théologie russe.

Tout ce drame se trouve résumé dans un nom illustre : Philarète Drozdov, d’abord professeur et recteur de l’académie théologique de Saint-Pétersbourg, puis archevêque de Tver et métropolite de Moscou ; à son sujet, le R. P. Jugie a écril ici même un long et érudit article, t. xii, col. 137° ; 1395. Au début, Philarète fut partisan décidé des idées prokopoviennes, dont son enseignement académique et sa prédication, spécialement à Saint-Pétersbourg et dans l’archevêché de Tver, sont inspirés. Cf. Prot. A. Smirnov, Godi ucenja i uëitelstoa Y. M. Drozdova (vposlêdstvii Philareta milrop. Moskovskago), dans Vèra i razurn, 1892, t. ii, p. 359-402 ; I. Korsunskij, Peterburgskii perioi propovêdniëeskoi dêjatelnosti Philaret, mèim recueil, 1885, t. i, ii, et aussi 1886, t. ii, p. 18 sq. Comma disciple, de Prokopovic, Philarète écrivit aussi un petit opuscule sur les différences existant entre les deux Églises orientale et occidentale, Izlozenie raznosli mezdu voslocnoju i zapadnoju Ccrkovju v ucenii vêri, dans Ctenija, 1870, t. i, fasc. 1, p. 31 sq., et plus tard son célèbre Catéchisme, publié pour la première fois à Saint-Pétersbourg en 1823 sous le titre : Khristianskii katikhizis pravoslavnija katholiceskija grekorossiiskija Cerkvi. Le Saint-Synode lui-même avait ordonné la publication de ce catéchisme ; mais le scandale qu’il provoqua le contraignit, l’année suivante, à le prohiber. Ce scandale fut suscité, non pas précisément par les opinions de l’auteur, mais par la traduction du Symbole et du Pater en langue russe. Pour la seconde édition, qui parut en 1827, on corrigea cet abus, et on ajouta quelques déclarations et de nouveaux textes qui augmentèrent le volume du catéchisme, appelé pour cette raison Prostrannii katikhizis (le caléchism’. développé). Mais le courant de retour aux traditions théologiques de Moghil i qui avait pénétré dans les hautes sphères ecclésiastiques, obligea l’auteur, à la prière du comte Nicolas Protasov, à corriger aussi le fond doctrinal du catéchisme dans la troisième et dernière édition, imprimée en 1839. Cf. M. Jugie, art. cit. ; I. Korsunskij, Sudbi katikhizisov Filareta, mitropolita Moskovskago, Moscou, 1883.

Cette troisième édition du catéchisme russe, traduite dans les diverses langues slaves et en langue roumaine, devint le manuel de religion employé dans les écoles russes, et trouva même des commentateurs, comme A. Gorodkov, dans sa théologie : Dogmiticeskoe bogoslovie po socinenjam Filareta mitr. Moskovskago, Kazan, 1883 ; Th. Titov, dans ses leçons sur le catéchisme : Uroki po Prostrannomu khristianskomu katikhizu, Moscou, 1901 et A. Tsarevskij, dans son traité Uroki po zakomj boziju sposobstvujuScie usvoeniju Prostr. Khrist. Katikh., Jurev, 1901. Dans les Églises slaves, le livre de Philarète est ordinairement considéré comme faisant partie des livres symboliques ; les grecs cependant ne le mettent pas de ce nombre, ni certains écrivains russes, comme N. Barsov, Kritika socinenii Filareta mitropolita Moskovskago, dans Khrist. <’: ten., 1887, t. i, p. 791, et Philarète (Gumilevskij), qui se plaint de la manière ambigui dont certains points de grande importance sont exposés dan-, le catéchisme.

Ce manque apparent de précision ne révèle pas une idée confuse ; elle provient plutôt de ce fait que, tout en se soumettant à la réforme, Philarète chercha à sauver tout ce qu’il pouvait du système prokopovien : le canon de l’Ancien Testament, duquel il rejette les livres deutéro-canoniques ; la doctrine de l’Église, corps mystique du Christ, qu’il explique en diminuant l’importance des liens extrinsèques, bien qu’il n’ose plus insister sur la définition prokopovienne que l’on a signalée plus haut, etc.

Mais a côté du Philarète du Catéchisme, il y a un autre Philarète qui saisit l’occasion pour dévoiler le fond de sa pensée dans ses prédications et dans ses lettres : là il se montre beaucoup plus libéral, surtout en ee qui regarde la constitution intime de l’Église et l’interprétation des saintes Écritures. Cf. I. Korsunskij, Opredêlenie ponjatija o Cerkvi v socinenijakh Filareta, mitropolita Moskovskago, dans Khrist. Clen., 1895 f