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RUSSIE. L’ÉCOLE PROKOPOVIENNE

Javorskij et, avec elle, la théologie de l’école de Moghila, turent de plus en plus abandonnées parmi les écrivains russes, il ne faut pas en chercher la rauon dans les attaques des partisans déclarés de la doctrine luthérienne, mais bien plutôt dans le succès de la nouvelle école qui s’était formée autour de Théophane Prokopoviè.


V. L’École prokopoviexiie.

L’attitude de Prokopovic, principalement dans son cours de théologie, lequel, encore manuscrit, captiva si fortement les théologiens russes de la première moitié du XVIIIe siècle, était ouvertement favorable aux idées luthériennes et opposée aux vues catholiques.

On en trouve une preuve assez éloquente dans la bibliothèque de Théophane, léguée après sa mort au séminaire de sa ville épiscopale de Novgorod. Cf. P.-V. Verkhovskij, Ucreidenie dukhovnoi kollegii i dukhoonyi rcglament, t. ii, 5e part., La bibliothèque de Théophane l’rokopovic, Hostov, lOlfi. Prokopovic n’épargna ni roubles, ni travail, ni influence auprès de l’empereur pour acquérir, dans les principaux centres de l’Europe, ses 3 192 volumes. Sa bibliothèque est sa gloire et dans ses lettres à ses amis il en parle, les invitant même à la visiter. Epistolse illmi. ac revmi. Th. Prokopovitsch, Moscou, 1770, p. 31 sq. ; cf. Trudg, 1865, t. i, 1>. 293. Cette bibliothèque est bien fournie en livres théologiques, mais les trois quarts sont des œuvres d’auteurs protestants : M. Chemnitz, I.-I3. Carpzov, I.-F. Buddeus, etc. ; au contraire, les auteurs catholiques sont plutôt rares ; œuvres d’Arcudius, de S. Robert Bellarmin, de L. Carboni, de G. Cassandcr. Cf. P.-V. Verkhovskij, op. cit., t. i, p. 120.

Prokopoviè commenta sa bibliothèque certainement vers 1720, son enseignement théologique étant déjà terminé ; elle nous indique cependant quels étaient ses goûts, et comment il pratiquait le conseil que, dans son Règlement ecclésiastique, il donne aux professeurs de théologie : Quamquam theologiæ doctori a recenlioribus etiam helerodoxis doctoribus lieebil interdum mutuari subsidia, non iamen oporlet illum placilis eorum adhærere, nec narraliunrulis eorum acquiescere. Hoc non obstante, eorum manuduclioni, quibusdam illi ex Scriplura et ex antiquis Patribus desumplis documentis, prœsertim ad dogmala nobis et heterodoxis communia propugnanda ulantur, potest insistere, caute tamen fidem eorum allegationibus adhibebit… Fréquenter etenim hi domini hallucinantur, testimonia quic nusquam reperiuntur adducentes. Non raro etiam lextum sincerum delorquent. Habe vel unicum pro exemplo hoc Domini verbum ad Petrum : Ego oravi pro te ut non deliciat fides tua. Dictum est Pelro, quoad solam ipsius personam in individuo ; Romanenses vero ad suum pontificem detorquent, colligenles inde papam non posse, quamvis velil, in fidei articulis errare. Mansi, Concil., t. xxxvii, col. 58.

Comme on le voit, l’exemple vise la théologie catholique, presque totalement absente de la bibliothèque de Prokopovic, si riche par ailleurs en traités luthériens, calvinistes, anglicans.

Il est certain qu’à Kiev les auteurs catholiques ne manquaient pas. Quels étaient les sentiments de Prokopoviè envers eux, on peut le déduire de la manière dont il s’exprime sur leur compte : il les appelle animalia balantia, sots, Ihéologaslres, maie jerialas, semi-barbares… et encore de la violence de ses disputes avec les docteurs de la Sorbonne et avec le dominicain Bernarde Ribera. P. Plerling, l.n Russie et le Saint-Siège, t. iv, p. 262, 328 sq. ; Lu Sorbonne cl In Hussie (1714-17-17), Paris, 1882 ; Th. l’ikhomirov, Traktati Theofana Prokopoviëa o Bogi, Saint-Pétersbourg, 1884, p. 12-13 ; cf. A. Palmieri, Theologia dogmatica orthodoxa, t. i, Florence, 1913, p. PU.

Ses dispositions envers la réforme protestante lurent toutes différentes. Théophane a laissé, il est vrai, un opuscule pour la défense de l’orthodoxie contre les luthériens : Apologia jidei, in qua respondetur ad litteras doctissimorum quorumdam Lutheranorum, quas ad Palrem Michælem Schi monachum Pieczariensem Regiomonte dederunt, respondentes ad ejus litteras compellalorias quas ipse prius ad eos misit de vera fide orienlalis grseco-rutheniese aposlolicse Ecclesise, dans Miseellanea sacra Theophanis Prokopovitsch, Bratislava, 17 1°), p. 1-64. Mais la lecture de ces pages nous fait comprendre que, si Prokopovic maintient, contre les protestants, la doctrine « orthodoxe » sur la procession du Saint-Lsprit et le culte des images, il ne s’oppose pas à eux dans les autres questions qui forment le noyau de la doctrine protestante et ne s’élève pas contre leur manière de traiter la théologie. De fait, son cours de théologie reflète cette influence, soit dans la méthode et la division qu’il suit, soit dans l’esprit de son enseignement, soit dans les propositions qu’il défend. Prokopovic adopte la division de la théologie en deux parties : de eredendis et de agendis. Dans la première, il développe toute la partie dogmatique, considérant Dieu en lui-même, c’est-à-dire dans son essence, ses attributs, sa personne ; puis dans ses actions ad extra : il commence par l’étude des décrets divins, traite ensuite de la création du monde visible et invisible, de la providence divine envers les anges, les hommes et le monde. Dans ce traité sur la providence, il s’arrête sur les questions spéciales de la chute de l’homme, du péché originel, de l’incarnation, de la rédemption et de la médiation divine. Mais la grâce divine, dit-il, fruit de la rédemption, n’est pas, en fait, communiquée à tous ; et là se posent les problèmes de la prédestination et de la réprobation. Les moyens pour obtenir la grâce sont : la foi et les sacrements ; ses fruits : la justification, l’adoption divine, la glorification. Le dernier sujet traité est l’Église de Jésus-Christ, que Prokopovic considère dans ses quatre différents stades : avant la Loi, sous la Loi, dans le régime de la grâce, dans le royaume de la gloire.

A première vue ce système eût pu être trouvé original. Ce ne fut pas ainsi cependant qu’en jugèrent, non seulement les catholiques, mais même plusieurs écrivains russes, comme Platon A. Cervjakovskij, qui a consacré de nombreux articles à l’étude de la théologie prokopovienne et à sa comparaison avec les œuvres des auteurs catholiques et protestants. Ces derniers, principalement J.-E. Gerhard, auteur du Melhodus studii theologici (Iéna. 1654), ont déjà les grandes divisions de la théologie de Prokopoviè, que le P. Jugie regarde avec raison comme un essai russe de la scolastique de la Réforme. Cf. P. Cervjakovskij, Vvedenie v bogoslovie Theofana Prokopoviëa, dans Khrist. Cten., 1870, t. i, p. 32-86 ; le même, Islocniki « vvedenija v bogoslovie » Theofana Prokoviëa, ibid., 1878, t. i, p. 18-32 ; le même, O metode Vvedenija v bogoslovie Theojuna Prokopoviëa, ibid., 1878, t. i, p. 321-351 ; Th.’l’ikhomirov, Ideja absoljulizma Boga i protestantskii skholasticizm v bogoslovie Theophana Prokopoviëa, ibid., 1884, t. ii, p. 315-326 ; A. Arkhangelski.j, Dukhovnoe obrazovanie i dulthovnaja literalura v Rossii pri Pelrè Velikom, Kazan, 1883, p. 67-74 ; A. l’ai mieri, Theologia dogmatica orthodoxa, t.&nbsp ; i, p.&nbsp ; 162 ; H. Koch, Die russische Orthodoxie im petrinischen Zeitalter, Brestau, 1929.

Et en réalité Prokopoviě entreprit l’étude de la théologie avec le même esprit que les protestants. Mans l’oratio ad studentes theologiœ, qui sert de prologue à son ouvrage, il insiste exclusivement sur l’Écriture dont il exalte la clarté : Hæc ita esse docet vel ipsa experientia, quod scilicet ea vis verbi divini sit, ut omnes sibi adversantes cogitationes convincat, suamque veritatem palam demonstret, et conscientiæ adversario-