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3Il RUSSIE. LE DÉBAT SLR LA FORME DE L’EUCHARISTIE 312

paroles de l’institution qu’après l’épiclèse Jusqu’aux innovations empruntées par Joseph et Nikon à Mogila. Le P. Skarga témoigne que telle était aussi la pratique des Ruthènes prés d’un siècle auparavant. En tous cas, à pari ces quelques rares exceptions que nous avons indiquées, à peu prés tous les.Moscovites lettrés s’étaient. après 1 651, plus ou moins ralliés à la doctrine catholique. La métanie, après les paroles de l’institution, s’était acclimatée en Moscovie, et remplaçai ! avantageusement les prostrations de la grande entrée. Siméon de Polock lit formellement approuver la doctrine elle-même au concile de 1666-1667, quoiqu’avec une courte réserve sur l’utilité théorique de l’épiclèse. Euthyme, le fameux hiéromoine des Miracles qui devait plus tard condamner cette doctrine hérétique et latine » dans les termes les plus outrés, le patriarche Joachim lui-même, qui devait faire dégrader, torturer et exécuter Silvestre Medvêdev pour la même raison, partageaient, avant 1685, l’opinion de tout le monde.

Les choses commencèrent à changer avec la venue à Moscou d’un certain Jean Bielobodski (1081). Originaire du grand-duché de Lithuanie, Jean étudia d’abord chez un pasteur calviniste, puis à l’académie protestante de Torun en Pologne. Il eut ensuite (d’après son propre témoignage) maille à partir avec les jésuites qui l’appelèrent hérétique. C’est du moins ce qu’il racontait à Moscou, peut-être pour poser en martyr et se gagner des sympathies. Il semble plutôt être venu pour enseigner à l’académie que le tsar se proposait de fonder, mais on fut épouvanté à Moscou de l’hétérodoxie de sa doctrine. Il choqua davantage les âmes pieuses en proposant de se faire moine afin d’obtenir plus aisément le poste convoité de professeur à l’académie.

A peine arrivé, il se mit en rapports avec le moine Paul Negrcbedskij, qui semble avoir partagé les vues favorables à l’Occident qui couraient alors en Moscovie. Bielobodski lui expliqua que la foi grecque i était dans une position intermédiaire entre les calvinistes et la foi romaine ». Il accusait les Romains de tromperies au sujet de reliques (deux corps de saint Jacques, deux têtes de saint Jean-Baptiste) ; leurs prêtres, disait-il, prient pour les morts afin d’acquérir des biens fonciers. Devant l’archimandrite de Simonov, Gabriel Domeckij, qui, lui aussi, était d’origine ukrainienne et favorable aux doctrines occidentales, il nia l’eucharistie sous prétexte que les animaux pouvaient la manger et les vers en naître. Il rejetait explicitement la transsubstantiation, mais acceptait le Filioque. Negrcbedskij put lui dire que les grecs étaient d’accord avec les latins sur l’eucharistie sauf pour la question des azymes. On lui demanda alors pourquoi les jésuites lui avaient cherché querelle - tous, a Moscou, ne partageaient pas l’épouvante qu’aux illettrés causait le seul nom de jésuites I -C’est qu’ils prétendent que l’homme est libre. Negrebctskij. sans s’effrayer du nom de jésuites reconnut à son tour la liberté humaine, la prévision divine et la nécessité des bonnes œuvres.

D’après toutes ces conversations, il semble bien que Bielobodski ait été un protestant opportuniste, également prêt à défendre des opinions contradictoires et même à se faire moine dans le but de se faire une carrière. Negrebedskij et son ami Gabriel Dometski] dénoncèrent donc le Polonais suspect au patriarche. On réunit un concile (1681) et Bielobodski ne se lira pas avec honneur d’une discussion sur la nécessité de l’Église. Il récita le symbole en latin et en polonais, bredouilla quand il arriva au Filioque, promit alors d’écrire une abjuration et une profession de foi qui ne Semble pas avoir satisfail tout le monde, car Silvestre Medvêdev se crut obligé ilvn écrire une réfutation, P. Negrcbedskij, Supplique adressée au tsar Théodore Alexeévit contre.l<m Belobodxklj (Celobttnaja…), dans D. Tsvêtaôv, Le protestantisme et les protestants… (supra, col. 282), t. ii, Documents, n. 1888, p. 196 sq. ; Le concile du 18 mai 1681, ibid., p. 215 ; N.-I. Subbotin, Jan Belobodskij et Paul Neqrebedskij, Pribavlenija k izd. tvor. s. Ot., t. xxi, 1862, p. 569-614.

La venue en Russie des deux frères Likhudi (voir leur art., t. ix, col. 757), Joannicc et Sophrone, troubla profondément les esprits et causa une véritable révolul ion. Neuf jours après leur arrivée ((S mars 1C85), donc le 15 mars, ils eurent une dispute retentissante avec Jean Bielobodski sur la forme de l’eucharistie. L’ancien calviniste polonais avait accepté maintenant la doctrine catholique qui était alors universellement reconnue à Moscou, tandis que les Likhudi venaient de Constantinople d’où ils apportaient la doctrine de la transsubstantiation par l’épiclèse. À la première question, Bielobodski sombra. On avait beau le presser, disent les Likhudi, !  ! ne répondait rien. Il finit par avouer son impuissance en théologie, tout en se donnant comme un spécialiste en philosophie. On lui posa alors une quest ion sur la création de l’âme humaine et le même sort lui arriva.

Est-il exagéré de dire que cette dispute fut une manœuvre combinée par les Likhudi afin d’attirer sur eux l’attention’? On ne parlait plus à Moscou de Bielobodski, écarté depuis cpiatre ans. Les Likhudi, en tous cas, réussirent admirablement à jeter le trouble dans les esprits et à se mettre en évidence. Peu après leur arrivée et leur dispute, parut à Moscou le premier travail sur la question de la forme de l’eucharistie. C’était le Pain vivant de Silvestre Medvêdev.

Après une introduction et une préface, Silvestre développe son sujet par questions et réponses. Le pain vivant, c’est le Christ lui-même, Dieu éternel, mystérieusement donné à son Église et aux chrétiens fidèles pour que, en le recevant, ils sanctifient leurs âmes et leurs corps. Les autres questions de ce petit traité ont pour objet le sacrement de l’eucharistie, où et quand il s’opèie ; la liturgie et où celle-ci doit être célébrée. Il y est beaucoup question de la prosphora. Medvêdev réprouve l’habitude de se prosterner devant les dons lors de la grande entrée à l’offertoire, afin de ne pas se rendre coupable d’adoration du pain. Le mot devait faire fortune, mais, par un singulier retour des choses, il devait servir précisément à condamner la doctrine que défendait Medvêdev : que la transsubstantiation avait lieu avant l’épiclèse. La transsubstantiation, disait-il, s’opère par les paroles de l’institution, sinon les paroles du prêtre ne seraient pas vraies. Saint Jean Chrysoslome est cité à l’appui. Puis Medvêdev se pose la difficulté classique. Mais, alors, pourquoi l’invocation a l’Esprit-Saint ? Les paroles de l’épiclèse, répond-il, ’. n’ont pas pour objet de changer le pain et le vin au corps et au sang du Christ, mais elles ont trait à notre communion pour notre salut », car on lit immédiatement après elles dans le missel : « afin de fortifier les âmes et remettre les péchés à ceux qui communient ». Prozorovskij, Silvestre Medvêdev. p. 415-430.

L’écrit de Medvêdev, simple, clair, concis, ne nommait personne. Il provoqua pourtant une violente réplique de la part du moine Kulhyme, l’ancien adversaire de Siméon de Polock. Nous n’avons pas de monographie sur ce fougueux polémiste, aussi nous est-il impossible de dire quelque chose sur ses origines et sur sa formation théologique, sinon qu’il fut ami et disciple d’Épiphane Slavineckij. Son caractère présente encore plus d’un côté énigmat ique. L’évolution de sa’pensée théologique est intéressante et aurait besoin d’être éclaircie. Quand Siméon de Polock vivait encore, Euthyme, jaloux de lu laveur dont il jouissait à la cour et irrité au suprême degré par ses » syllogismes latins », n’en défendait pas moins la doctrine catholique sur l’eucharistie. Si nous osions hasarder une hypothèse,