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RUSSIE. LE DÉBAT SUR LA FORME DE L’EUCHARISTIE

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deux amis. Silvestre lut alors beaucoup et, comme son maître, chercha son inspiration dans les théologiens occidentaux. Ses adversaires diront que c’est là ce qui le perdit, car Siméon « était un disciple des jésuites, un uniate de l’Église romaine ». Il est certain que Silvestre était attiré non seulement par les théologiens catholiques, mais aussi par la sûreté de leur doctrine. Un fait se mble significat if : dans un manuscrit où Siméon de Polock expliquait la différence entre ex Filio et per Filium, Silvestre ajouta en marge que « le grec Sià veut dire aussi « de » (ex) et non pas seulement « par ». Si les deux moines étudiaient avec une ardeur toute bénédictine, ils étaient également assidus aux exercices de piété propres à leur état. Tous les jours, en plus des prières du matin et du soir et de celles qu’ils faisaient à l’église, ils récitaient trois acathistes : au très doux Jésus, à la très sainte Mère de Dieu, et celle du jour ; ils disaient aussi le " canon pour l’heure de la mort ». Le dimanche, ils récitaient en outre le c canon au Saint-Esprit » et parfois celui pour le départ de l’âme. Durant le carême, ils multipliaient les jeûnes et les mortifications

Un an après son retour à Moscou, Silvestre fut nommé correcteur à l’imprimerie, où il dut sans doute se rencontrer avec son futur adversaire, le hiéromoine Euthyme. Après la mort de Siméon de Polock, il lui succéda comme supérieur de l’école du Sauveur. En 1682, il obtint de la régente Sophie Alexeêvna le décret de fondation de l’académie gréco-latine qui devait lui causer tant de déboires. Le nombre des étudiants s’accrut si bien qu’en 1686 Silvestre avait déjà vingt-trois élèves. Ce fut l’apogée de son succès ; mais c’était déjà le déclin car, l’année suivante, sous la violente attaque des Likhudi, l’école était fermée. Jusqu’à l’arrivée des Likhudi, Silvestre jouissait de la faveur pleine et entière de la cour. Théodore Alcxeêviè d’abord, puis Sophie furent toujours les protecteurs du moine érudit.

S. Belokurov, Silvestre Medvédev sur la correction des livres liturgiques, durant le patriarcat de Xikon et de Joachim (S. M. ob ispravlenii…), dans Khr. Cten., 1885 ; N.-N. Durnovo, Le salut nuptial de Silvestre Medvédev (Privêtstvie brænoe), dans Jzv. Otd., t. IX, 1904, n. 2, p. 303-350 ; P. Zubovskij, À propos de la biogr. de S. M. (K biografii), dans Zurn. Min. Nar. l’r., sept. 1890, p. 149-157 ; Iv. Kozlovskij, Silvestr M., Kiev, 1894 ; Al. Prozorovskij, Silvestre Medvédev, dans Ctenija, 1896, n. 2, 3, 4, étude magnifique de 606 pages contenant en appendice tous les écrits théologiques de Silvestre (sauf un autre déjà édité par S. Belokurov dans Ctenija, 1885, n. 4), ayant trait à la controverse sur la transsubstantiation. Recension de S. Brajlovakij, dans lurn. Min. Nar. Pr., oct. 1897, p. 371-387 ; A. Prozorovskij, Courte revue îles événements de 7190, 7191, 7192, par S. Medvédev ( Silvrslru Mcdvêdevu…), dans Ctenija, 1894, n. 4 et dans Itv. Otd., t. vi, 1901, n. 2, p 203-209, sous le titre de Passages obscurs dans la biogr. de S. M. (Temnyja mêsta…) ; E. Smurlo, Les mémoires de S. M. (O zapiskakh), dans 2urn. Min. ur. Pr., avr. 1889, 335-369 ; S. Bravlowskij, Lettres de Silvestre Medvédev (Pisma…), Pétersbourg, 1907.

Entre temps, la Russie septentrionale s’ouvrait de plus en plus aux idées de l’Occident. Après la révolte ukrainienne de Bogdan Khmelniekij, de larges territoires se détachèrent de la république polono-lithuanienne et leurs habitants passèrent sous le sceptre du tsar Alexis. L’éternel mirage de l’Occident, plus cultivé et policé, hantait les imaginations à Moscou. Déjà sous le patriarcat de Nikon, l’illustre prélat avait vigoureusement réagi contre la tendance de certains éléments parmi la noblesse — tendance qui au début du siècle s’était déjà manifestée, surtout à l’époque du premier Dimitri — à adopter certaines pratiques polonaises ou allemandes. Son att itude, plus énergique que prudente, causa des rancunes qui influèrent sur sa disgrâce. Mais quand les Ukrainiens, soumis désormais à Alexis, commencèrent à affluer à Moscou, les influences latines qui avaient pénétré dans les milieux intellectuels de la capitale méridionale et, par là, dans certains milieux moscovites, devaient aussi, beaucoup plus énergiquement qu’auparavant, se faire sentir à Moscou. Nikon montra une grande faveur aux moines ukrainiens ou blanc-rut hènes dont il admirait la fidélité aux traditions liturgiques grecques. Son monastère de Notre-Dame dlbérie sur le lac Valdaï fui peuplé par eux, et ils y installèrent une imprimerie. Mais un peu dans tous les monastèies de Moscovie, moines et moniales ruthènes introduisirent les coutumes de leurs pays, ce qui parfois causa des difficultés avec l’élément local. Par eux, mais beaucoup plus encore par les moines qui restaient à Moscou dans l’entourage immédiat du patriarche ou du tsar, les idées latines qui avaient pénétré parmi les orthodoxes de Kiev se répandirent en Moscovie.

Car les théologiens kiéviens devaient beaucoup à la pensée catholique. Qu’il nous suffise, ici, de noter que plusieurs doctrines catholiques, notamment celle de la forme de l’eucharistie, avaient été expliquées à Kiev avec une terminologie tout occidentale qui fut ensuite acclimatée à Moscou. Prozorovskij, que nous avons déjà nommé, nous explique que l’inclination de tête du prêtre après les paroles de l’institution se trouvait déjà dans un missel grec du xv » siècle. Nous n’en doutons pas, car c’est là une expression de la doctrine catholique et universelle. Mais ces mots, dans le missel de Vilna de 1617 et dans celui du métropolite Pierre Mogila, sont appelés la forme tout comme chez les théologiens latins. Au concile de Kiev, célébré en 1640, on décida, après dispute, d’écrire au patriarche de Constant inople, à ce sujet.

Les textes liturgiques eux-mêmes, loin d’avoir cette fixité rigide qu’on a coutume de leur attribuer, connurent, surtout au xviie siècle, une évolution intéressante : a Dans tous les missels imprimés avant Nikon, il manque au texte de la liturgie de saint Basile le Grand les paroles qui parachèvent le sacrement de la liturgie, « les transformant (les éléments) par ton Saint-Esprit ». Beaucoup d’anciens livres grecs n’ont pas ces paroles qui manquent aussi dans les plus anciens parmi les manuscrits. Dans quelques missels, sans doute, on trouve la prière : « Seigneur qui par votre Saint-Esprit… », mais la formule qui consomme la transsubstantiation est une grande rareté et ne se rencontre, que je sache, que dans un seul missel de la seconde moit ié du xviie siècle. » Prozorovskij, Silvestre Medvédev, p. 232-233.

Plus importante cpie la discussion spéculative sur la forme de l’eucharistie était, pour un esprit moscovite, la rubrique qui prescrivait au prêtre (et incidemment aux fidèles) de s’incliner après les paroles : « Prenez et mangez, ceci est mon corps ; prenez et buvez, ceci est mon sang. » Nous avons remarqué, en traitant du raskol, que les signes extérieurs du culte étaient d’importance capitale dan :, cette société de demi-lettrés.

Ajoutons enfin, pour être complet, qu’avant l’arrivée des Likhudi (en exceptant toujours l’opposition plus que problématique cl’Épiphane Slavineckij), la doctrine catholique était devenue unanime en Bussie, sauf pour un petit groupe de starovières qui étaient convaincus que la transsubstantiation s’opérait non pas par les paroles de l’institution, ni par celles de l’épiclèse, mais par celles de la proscomédie. Nous avons rappelé ailleurs la dispute entre les pères de Pustozero à ce sujet (col. 299). À vrai dire, nous croyons même que cette persuasion de la valeur essentielle de la proscomédie fut assez longtemps répandue en Bussie et, ici encore, c’était surtout une question de rite extérieur. On faisait de grandes prostrations lors de la grande entrée, à l’offertoire, tandis qu’on ne rendait aucun culte au saint sacrement, pas plus après les