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    1. RUSSIE##


RUSSIE. LE SCHISME DES STAROVIÈRES

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tous les missels futurs : « Et si un ange vient après nous dire autre chose, ne le croyez pas » (n. 24). On verra ce que le patriarche Joachim fera de cette interdiction. On approuva le Skrizal et on ordonna de l’avoir « en grand honneur à cause des nombreux raisonnements théologiques et mystères ecclésiastiques qu’il cou tient ». Cependant sa lecture n’est pas recommandée à tous, car les ignorants comme Nikita, Avvacum et Lazare s’y perdraient. On approuva de même la lettre de Païsc de Constanlinoplo à Nikon, imprimée dans le SkriZal et la Verge de direction (n. 27). Pour donner plus de force à ses décrets, le concile lit d’autres références encore à cet ouvrage, en sorte qu’on peut le considérer comme l’expression du grand concile de 16661667. On renouvela de même les prescriptions sur le signe de la croix, sur le nom de Jésus (Jisus et non Isus), le triple Alléluia, le nombre et la forme des prosphoræ. On approuva encore la correction (izpravlenie) du symbole, toutes les autres réformes, enfin, que le patriarche Nikon avait introduites. On condamna les écrits qui justifiaient l’attitude starovière : la légende du klobuk blanc (voir col. 218) dont ils se prévalaient pour mettre en doute l’orthodoxie des Grecs, le Sloglav (voir col. 264), la Vie de saint Euphrosyne de Pskov où il était question du triple Alléluia.

Parmi les décrets disciplinaires, le plus important était celui qui supprimait le Bureau des monastères (Monaslyrskij prikaz), établi en 1649 en dépit des saints canons. On supprima aussi la rebaptisation des latins. On fit comparaître encore les principaux dissidents devant le concile, et il y eut des scènes orageuses quand Avvacum, par exemple, se mit à maudire les patriarches orientaux et les évêques russes. Les principaux des réluctants furent envoyés en captivité au monastère de Pustozero, sur l’Océan arctique.

L’opposition à la réforme s’accentuait. Fameuse surtout fut la résistance du monastère de Solovki. Dès le 30 août 1657, les nouveaux livres avaient été introduits dans l’antique monastère, mais les moines, fidèles aux anciennes traditions, refusèrent de les accepter. Les pourparlers traînèrent jusqu’en 1066. En 1667, le tsar envoya une terrible lettre au monastère, le dépouillant de tous ses domaines et de tous ses privilèges et annonçant l’arrivée d’une compagnie de soldats (slrellsi). Les moines se proclamèrent confesseurs et martyrs, s’armèrent et, durant huit ans, jusqu’en 1676, opposèrent une résistance héroïque aux troupes de plus en plus nombreuses qui les assiégeaient. Les milliers de pèlerins qui venaient, durant ces huit ans, de toute la Russie pour faire leurs dévotions au sépulcre des fondateurs du monastère virent de leurs yeux les exploits formidables de ces moines incorruptibles qui voulaient conserver l’héritage de leurs aïeux sans se laisser corrompre par les « suppôts de l’Antéchrist » comme ils appelaient les nikoniens. Des réchappes du monastère parcouraient les rives de la mer Blanche, prêchaient leur évangile avec une ardeur de martyrs cl jetaient les fondements de ces nombreuses chrétientés starovières qui devaient se développer sur la triste Pomorie, sur les rives de la mer I Manche et de l’Océan arctique. Le monastère tomba enfin par trahison et les moines furent massacrés.

Les doctrines des starovières : Moscou, troisième Rome. — Ces dissidents tiraient les conclusions logiques de ce qu’on leur avait appris. Les Crées, leur avait-on répété, depuis la chute de Constant inople, avaient perdu la fleur de l’orthodoxie qui s’élail réfugiée dans l’empire moscovite. Avvacum s’écriait en parlant au tsar : « Laisse donc ce Kyrie eleison ; c’est ainsi que parlent les Grecs, crache sur euxl Toi, MikhailoviC, lu n’es pas grec, lu es russe ; parle ta langue natale. Comme Dieu nous a enseigné, ainsi il faut parler. Dieu ne nous aime pas moins que les Grecs. Par sain ! Cyrille et son frère, il nous a donné les livres saints dans notre langue. » Œuvres d’Awacum, dans Monuments…, col. 475. Les Russes, autocéphales depuis longtemps, méprisaient les prélats grecs qui scandalisaient la Moscovie avec leur trafic d’indulgences, de reliques, de fourrures aussi, par le désordre de leur vie privée et leur insatiable soif d’argent. Il était intolérable d’abandonner la glorieuse orthodoxie des thaumaturges de la terre russe pour se mettre à telle école. Au concile de 1667, Avvacum avait été vivement offensé d’entendre un évêque russe s’écrier : « Nos saints étaient des sots et ne savaient ni lire ni écrire, comment les croire ? »

On avait, de même, appris aux Russes que tout est immuable dans l’orthodoxie et que l’on ne peut en aucune façon introduire des nouveautés dans la forme extérieure des cérémonies. Le grand grief des grecs contre les latins avait été l’addition du Filioque au symbole, malgré les prescriptions du IIIe concile oecuménique (la question dogmatique ne venait qu’en second lieu). Or, ici, on avait bel et bien corrigé le symbole de l’aveu même des nikoniens. Les catalogues d’erreurs latines que chaque prêtre russe pouvait lire dans son Trebnik ne contenaient ordinairement que des pratiques externes sans grande importance ; ici, on touchait au nom de Dieu, au signe de la croix, à la croix elle-même, au sacrifice liturgique… Manifestement la foi venait de défaillir en Moscovie. Mais alors ? D’épouvantables conséquences se tiraient logiquement de ces prémisses. La troisième et dernière Rome est tombée. C’est maintenant le règne de l’Antéchrist.

L’eschatologie starovière. —

Malgré les brillantes études de Scapov et de ses disciples qui voient dans le raskol de 1666 un phénomène d’ordre social, nous sommes convaincus que, jusqu’à l’avènement de Pierre le Grand, ce fut un événement exclusivement religieux. La doctrine centrale était une croyance absolue à la venue prochaine de l’Antéchrist. Vers 1669, alors que les esprits à Moscou étaient surexcités par les rumeurs de plus en plus inquiétantes sur la fin du monde, le diacre Théodore, au nom de tous les prisonniers de Pustozero (Avvacum et les autres) écrivit une longue lettre à la communauté moscovite starovière pour préciser l’état de la question : il est prédit, disait-il en substance, que l’orthodoxie restera à Moscou jusqu’à la fin dos temps ; ainsi le veulent les éloges des patriarches grecs (Jérémie de Constantinople et Théophane de Jérusalem) et la légende du klobuk blanc. Aujourd’hui, ce n’est certes pas encore le dernier jour, mais c’est bien l’apostasie générale qui doit précéder la lin du monde. Mille ans après l’incarnation, le diable fut déchaîné, le dragon fut jeté du ciel en Occident et par sa queue (le pape) il entraîna dans sa chute le tiers des croyants (Apoc, xx, 2, 7 ; cf.xii, 4). Six cents ans après, la Petite-Russie laissa la foi. C’était l’union de lires ! (1596) et 1’ « hérésie n des « uniates ». Encore soixante ans, et Satan par son suppôt Nikon détruisit la foi en ( Irande -Kussio. Cette exégèse du chiffre de la bête apparaît dans fous les premiers théoriciens du raskol. Avvakum eut une vision de l’Antéchrist.

De là à préciser la personne de l’Antéchrist, la distance n’était pas grande. Nikon fut désigné par beaucoup comme remplissant ce rôle. On trouva dès lors un nombre infini de racontars à son sujet. Un Tartare lui avait prédit sa future destinée ; des saints moines avaient vu (1rs serpents rôder autour du palais patriarcal. Quand Nikon étail moine à Anzer, saint Éléazar avail eu de terribles visions a sou sujet. Nikon, on le racontait à voix basse, sortait tous les soirs avec le diable sur le lac de Thérapontov, près du monastère où il était enfermé captif, et causait avec lui. Même avant le concile de 1666, le moine Éphrem Potemkin avait annoncé que l’Antéchrist était déjà né », que le sceau sur les prosphoræ était le sceau de l’Antéchrist » et