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    1. RUSSIE##


RUSSIE. CONTROVERSES AVEC LES PROTESTANTS

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Le Christ, en effet, sera avec ses apôtres jusqu’à la consommation des siècles. Matth., xxviii, 18-20. Il a prié non seulement pour eux, mais pour tous ceux qui croiront à la suite de leur apostolat, Joa.. xvii, 20 ; cet apostolat est confirmé par des miracles. Marc, xvi. 17. Or, les saints Pères, successeurs des apôtres dans l’apostolat, firent de nombreux miracles. Cette idée que la véritable Église doit être confirmée par des miracles revient souvent dans la polémique moscovite antiprotestante. Ni les voyageurs catholiques (comme Possevino), ni les protestants, comme Massa, Olearius, ne font grand crédit aux merveilleux récits de miracles moscovites.

Puis Ivan, et ce n’est pas sans mérite pour un laïque, aborde les grands problèmes de la médiation du Christ, de la justification par la foi et de la nécessité des bonnes œuvres. Le fond de sa pensée se trouve surtout aux chapitres vi et xii de sa Réplique. Il proclame lui aussi sa foi dans la médiation du Christ que Rokita rappelait incessamment. Puis Ivan décrit la création de nos premiers parents, leur chute et la domination de la mort et du péché jusqu’au Christ, domination si absolue que même les justes de l’Ancien Testament (ces justes qui par la foi conquirent des royaumes !) moururent et descendirent en enfer. Vinrent alors l’incarnation et la rédemption. Les hommes furent délivrés par la grâce du Christ de la mort du péché et de la puissance du diable… Jésus-Christ, par son incarnation, sa mort sur la croix et sa résurrection, devenu pour nous malédiction (Gal., m. 13), détruisit la malédiction ; ayant détruit l’antique colère causée par Adam, il anéantit l’empire du démon, rendit à l’homme la liberté de faire le bien et le mal, comme avant le péché d’Adam ». En montant au ciel, il envoya ses apôtres et leur commanda de transmettre son message aux autres. C’est en ceci que consiste la médiation du Christ. C. xii.

Ivan trouve des expressions touchantes pour affirmer sa foi dans la médiation de la très sainte vierge Marie : « Sur la très sainte et très pure et toujours vierge Marie : ayant été trouvée digne de servir à l’accomplissement d’un tel mystère, elle retint dans ses entrailles, sans en être consumée, le feu de la divinité ; elle a contenu l’immensité divine ; par elle, nous avons été réconciliés avec Dieu ; elle a apaisé la colère de Dieu contre Adam. Mère, reine de toutes choses, et mère de Dieu, jouissant d’une confiance maternelle auprès de Lui, elle remplit notre insuffisance avec la grâce du Christ (comme dit le divin apôtre Paul : « la puissance du Christ se parfait dans l’infirmité », II Cor., xii, 9). « À elle, donc, protectrice et médiatrice de tout le peuple chrétien, nous adressons nos prières et nous implorons son aide, afin qu’elle supplie son Créateur et Fils, notre Dieu, pour nos péchés, pour que le Christ notre Dieu, par son intercession, nous concède de faire notre salut et de recevoir la récompense des biens éternels. » C. vi.

Les apôtres, les saints martyrs, les saints Pères intercèdent pour nous et c’est là la raison fondamentale de leur culte. Vers la fin de ce même chapitre vi, Ivan revient à la nécessité des bonnes œuvres et fait ce commentaire de Matth., x, 37, qui, dans sa bouche, ne manque pas de saveur :. La croix, c’est être crucifié au monde et aux choses de ce monde ; le crucifiement, c’est abandonner tous les désirs de ce monde : les bourgs (c.-à-d. les grands domaines peuplés de serfs), les propriétés et les richesses, la nourriture et la boisson, ne rien demander et ne rien choisir, mais se contenter de ce qui arrive avec une grande continence, avec force et prière ininterrompue ; c’est aimer ses ennemis et tous ceux qui nous ont fait du mal, prier pour ceux qui nous offensent et ne pas nous soucier à leur sujet. » Ici, comme dans sa fameuse lettre aux moines de Belozero, quand Ivan se piquait de prêcher la vertu, il arrivait à des hauteurs inattendues.

Mais il ne reste pas dans l’abstrait en parlant des bonnes œuvres. Les réformateurs attaquaient surtout la pratique du jeûne. Ivan en démontre la nécessité et décrit à cette occasion les jeûnes de son pays. Les protestants citaient volontiers les textes de l’Ancien Testament où Dieu réprouve les jeûnes hypocrites des juifs, par ex. Is., lviii, 3 sq. Ivan lui aussi réprouve les vaines pratiques des pharisiens.

Les raisons du culte de Notre-Seigneur et de la Vierge ont été indiquées. Ivan parle aussi du culte des images au c. xiii. Ayant rappelé les anciennes luttes iconoclastes il pose ensuite la difficulté classique : la prohibition de l’Ancien Testament, Ex., xx, 3-4. Il avait déjà longuement établi que l’Ancienne Loi était abrogée. S’impatientant maintenant, il envoie Rokita se faire circoncire. Puis il décrit l’idolâtrie, réprouvée dans l’Ancien Testament, et proteste contre la comparaison que l’on ose faire entre Notre-Seigneur et Apollon, entre la vierge Marie et Diane. Viennent ensuite les textes classiques et, ici encore, Ivan s’inspire manifestement de la tradition moscovite : Volokolamsk et Otenskij. Il y a les chérubins, l’arche d’alliance, la verge d’Aaron, les tables de la loi. Il y a encore l’image du Christ envoyée à Abgar d’Édesse. « L’hémoroïsse guérie de la blessure, elle coula en bronze une image (une statue évidemment !) du Christ à la mesure de sa taille ; cette image opéra beaucoup de miracles. » D’autres exemples encore. Il distingue ensuite entre idoles et images : « On érigeait des idoles en l’honneur d’impudiques, d’adultères, d’ivrognes, de brigands, de voleurs et d’autres ; les images chrétiennes représentent au contraire Jésus-Christ, la Vierge et les saints. Ivan avait déjà indiqué au cours de ce même chapitre que le culte se rend non pas à l’icône, mais à la personne représentée. Ici, pourtant, comme ailleurs, Ivan est loin de montrer la profondeur d’un Zénobe Otenskij par exemple ; il est trop nerveux, trop inquiet pour approfondir son sujet ; mais quelle verve et quel entrain ; quelle passion, même ! En recevant le riche manuscrit, Rokita devait se dire que toute dispute avec un pareil homme était inutile.

Au dernier chapitre de cette Réplique, il est question de chasteté, de vœux et de moines : « Ni le Christ, ni les apôtres ne furent mariés. Pierre eut une belle-mère, mais ce fut avant de suivre le Christ. À partir du moment où ils suivirent le Christ, les apôtres vécurent dans la chasteté. » La vie monastique tire aussi son origine des apôtres, Matth., x, 37-38 ; Marc, viii, 34 : Luc, xiv, 25-28, 33. Ivan cite encore Rom., vi, 3-14 et I Cor., vi, 12-20.

Le tsar avait permis à Rokita de parler en toute liberté. Il s en souvient maintenant et annonce solennellement au consentir qu’il ne le punira pas, mais, comme ses enseignements sont contraires à ceux du Christ, il lui est interdit de les propager en Moscovie. Nous laisserons de côté la Lettre à un inconnu contre Luther, éditée par l’archimandrite Léonide (Pamjatniki drevnej pis’mennosli, t. lx, 1886), et attribuée par lui à Parthène le fou, moine de Spaso-Evthimiev à Suzdal, vers le milieu du xvi » siècle. Le savant archimandrite n’a pas soupçonné que cette Lettre n’était qu’une rédaction de l’épître d’Ivan à Rokita. Nous laissons à d’autres le soin de comparer les deux écrits et de tirer les conclusions, peut-être intéressantes, d’une étude qui dépasse de beaucoup le cadre de cet article.

.1. Lasicki, De Russorum Moscovitarum et Tcirlurorum reliç ione. Spire, 1382 ; P. Oderborn, Joannis Basilidis magni Moscovite ducis vita, YVittenberg, 1585 (nouv. édit. de cet ouvrage dans Starczewski, Hist. ruthen. script, exleri sæc. XVI, Berlin et Pétersbourg, 1811) ; And. Popov, Réplique tin tsar Ivan Vasilevic le Terrible ù Jan Rokita (en russe : Otvêt), dans Clenija, 1878, n. 2.