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    1. RUSSIE##


RUSSIE. CONTROVERSES AVEC LES PROTESTANTS

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Le prédicant Jean Rokita, d’origine tchèque et ancien membre de la communauté fies frères moraves de Poznan (consenior in unitate jralrum confessionis Bohemicse) vint à Moscou en 1570, nourrissant de grands espoirs d’y faire fleurir son Église fraternelle. Il fut pourtant déçu. Il obtint une audience solennelle le 10 mai 1570, juste quand Ivan le Terrible revenait des épouvantables tueries de Novgorod. Rokita n’ayant pas clairement défini à quelle dénomination religieuse il appartenait, Ivan attaqua surtout les doctrines luthériennes, au sujet desquelles, il faut le reconnaître, il avait acquis des idées assez claires dans ses discussions avec ses favoris luthériens. Il repiocha d’abord aux protestants la multiplicité de leurs sectes : « Des schismes et des confusions incessantes vous ont tellement brouillés les uns avec les autres que presque toute l’Europe se trouve bouleversée par vos dogmes. » La raison fondamentale de tant de désordres est que » Hus et Luther » enseignent sans mandat. Interpellant son adversaire, Ivan lui jette à la figure : « Toi aussi tu enseignes non suivant la vérité, tu ne peux pas faire de miracles, et tu n’as pas le droit de poser en serviteur de l’Évangile car tu n’as pas reçu de l’autorité légitime la faculté de te livrer à ce ministère. » Ivan n’admet pas la doctrine de la justification par la foi seule à l’exclusion des bonnes œuvres, « alors que le Seigneur, quand il viendra juger les vivants et les morts, rendra à chacun selon ses œuvres » ; puis il parle du jeune ; les prières des protestants, non animées de pénitence, sont « un marmottage vain et totalement inutile » ; enfin il les reprend en termes sévères de leur iconoclasme et de l’immoralité de leur clergé. Cette dernière accusât ion qui ne laisse pas de surprendre, quand on se rappelle ce qu’Ivan disait de son propre clergé au Stoglav, quelques années auparavant, n’est qu’une répétition de l’attaque classique contre le célibat du clergé latin. En somme, si le style est cru et la manière souvent inconvenante, il faut reconnaître qu’Ivan touche au fond de la question : il parle du principe du libre examen, de la justification par la foi seule, de la hiérarchie.

Il encouragea Rokita à lui répondre avec audace et avec entière liberté. On comprend que le prédicant polonais, qui savait devant qui il parlait, ait mesuré ses paroles avec une prudence consommée. Au lieu de parler de l’Église orthodoxe, il parla des latins auxquels il reprocha précisément ce qu’il désapprouvait chez les Moscovites : « Nous avons laissé l’Église romaine et nous rejetons les rites et les enseignements de ces perdus qui honorent des dieux faux et imaginaires » (l’objection classique contre le culte des images !) * Ils (les Romains, bien entendu I) nous reprochent la multiplicité de nos sectes et de nos divisions, alors qu’ils sont en état continuel de séparation avec l’Église orientale dont ils sont divisés à cause de leur orgueil. » Ayant rappelé la multiplicité des ordres religieux chez les catholiques, « ils prêchent de sévères pratiques et se couvrent du nom des saints Pères ; en réalité, ils ne sont que des loups en peaux de brebis et ils ne se soumettent à la loi divine que par avarice ». Ayant tracé un sombre tableau des vices du clergé : « Ce n’est pas des mains de telles personnes, ajoute-t-il, que nous acceptons l’ordination de prédicants, dignité reconnue par les païens eux-mêmes comme honorable et d’accès difficile, mais nous sommes députés par la communauté chrétienne elle-même. » Comme « miracle ». il avance le l’ait que lui-même, < un homme très humble », ait pu parler avec le tsar. La tin de sou discours est une attaque très vigoureuse contre le culte de Rome. Tel est le résumé du discours de Rokita ; nous ne le connaissons que par la réfutation qu’en fit Ivan le Terrible, mais nous sommes certains que le savant consenior polonais dut présenter ses thèses avec plus de profondeur. D’après ce résumé, il aurait plutôt attaqué les aspects extérieurs de l’orthodoxie et son manque de vie intérieure.

Rokita avait été habile, mais avec Ivan le Terrible, l’habileté et la finesse comptaient peu. Le tsar ne répondit rien ; il voulut avoir par écrit le discours de Rokita. Puis, il en écrivit une longue réfutation, la fit élégamment relier, orner de pienes précieuses et, peu avant le départ de l’ambassade qu’accompagnait le prédicant, la lui fit transmettre en en gardant copie. Cette Réplique du souverain est le monument le plus important de la polémique moscovite antiprotestante du xvie siècle ; disons aussi du xviie siècle. Elle fut imprimée alors en latin ; il y a une soixantaine d’années, le texte russe fut découvert et publié à Moscoi. L’ordre des chapitres varie un peu ; le « style » russe (si l’on peut se servir de cette expression pour désigner les éclats de voix d’Ivan le Tenible) est autrement nerveux que la traduction latine. Nous suivrons le texte slavon, quoique, pour la division des chapitres nous donnions les numéros de la traduction latine plus accessible.

Ivan le Terrible fait preuve de verve, de mémoire, d’abondantes lectures, d’une connaissance assez étendue de l’Écriture sainte. Il s’excite aisément et tombe alors dans l’invective et même dans l’insulte. Il ne faut pas lui demander de profondeur ni d’esprit de suite, car il était bien trop agité pour méditer longuement sur un sujet abstrait, mais son esprit est rapide et pénétrant. Il commence en interpellant son adversaire : Je te l’ai dit et je te le répète maintenant ; je ne veux pas discuter avec toi. Tu n’interroges pas pour chercher la vérité ni pour croire. Ainsi Notre-Seigneur nous a enseignés : « Ne donnez pas les choses sacrées aux < chiens, ne jetez pas les pierres précieuses aux porcs, ’c’est-à-dire ne livrez pas la parole sacrée aux chiens < infidèles. » L’exorde est ex abrupto, certes ! Pourtant, afin cpie Rokita « ne croie pas que je suis si ignorant des saintes lettres que je ne puisse le réfuter », Ivan a écrit ce traité monumental en quatorze chapitres. Tout Ivan tient dans cette phrase. Ici, comme lorsqu’il polémisait avec Kurbskij, il voulait à tout prix poser comme écrivain et comme théologien. Il était l’un et l’autre, mais en même temps d’une verdeur insupportable. Peu après ce premier paragraphe où il parlait de < chiens » et de « porcs », Ivan fait un calembour sur Luther : « Liut » en russe veut dire féroce : « C’est chose féroce que de s’insurger contre le Christ, pierre angulaire, que de mettre à néant ses préceptes divins, de découper l’enseignement de ses disciples et de ses apôtres. » Le ton varie peu. Un peu plus loin : « De même que le chef des démons s’appelle Satan, ainsi votre chef s’appelle Luther ; comme ses anges s’appellent démons, ainsi vous vous appelez prédicants. » Telle est la manière d’Ivan.

Il reproche volontiers aux protestants d’enseigner sans mandat ; ils ne sont donc pas des pasteurs. « N’étant pas entrés par la porte, vous vous êtes insclemment arrogé l’office de prêcher, aussi vous êtes des voleurs et des brigands. » (’, . n. Immédiatement avant cette apostrophe, sans se douter, bien sûr, de la portée de ses paroles, il avait écrit : « Il (le Christ, Bon pasteur ) a dit au suprême apôtre Pierre : « Je te donnerai i les clefs du royaume du ciel ; ce que tu lieras sur la i terre sera lié dans le ciel ; ce que tu délieras sur la « terre sera délié dans le ciel. » Plus tard, le divin apôtre Pierre reçut le pouvoir du suprême Seigneur de l mit es choses, le Christ : il l’a transmis à ses disciples et il a constitué par les villes des évêques, c’est-à-dire des visiteurs, qui parvinrent jusqu’à nous. » C. II, Il fallait que ce fût Ivan qui nous rappelât que les évêques d’aujourd’hui reçoivent leur autorité de Pierre I Plus loin, il affirme la nécessité de la tradition :