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    1. RUSSIE##


RUSSIE. L’HERESIE JUDAISANTE

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Gennade avail été consacre avec « l’appui des puissants tic ce monde ». Il s’attira une verte réplique du nouvel archevêque qui lui rappela ses devoirs de soumission à l’autorité ecclésiastique. Entre temps les choses s’aggravaient a Novgorod. Ivan III y avait envoyé comme lieutenant un certain Jacob Zakhariô dont les exactions réduisirent les Novgorodiens à l’exaltation du désespoir. On voulut le tuer, mais il fut assez habile pour écarter le danger et se livra alors à d’épouvantables représailles. Ivan III, las de tant de résistances, transplanta une partie considérable de la population de Novgorod en Moscovie : à Moscou, Vladimir, Murom, Niznij-Novgorod, Perejaslavl, Jur’ev, Rostov, Kostroma, etc., dispersant ainsi les derniers survivants de l’ancienne aristocratie et de la bourgeoisie de l’antique république. En même temps il envoyait ses soldats, qu’il n’avait pas payés depuis longtemps, hériter des terres des exilés. Or, Jacob Zakhariô, le Cromwell moscovite à Novgorod, fut l’intime collaborateur de Gennade dans toute cette affaire de l’hérésie judaïsante.

Il était nécessaire de rappeler l’état de surexcitation des esprits de Novgorod ; toutes les condamnations de l’hérésie novgorodienne nous viennent de Moscou ou de personnes absolument dévouées à l’idée moscovite. Sans vouloir insinuer quoi que ce soit, on ne peut que regretter qu’il n’y ait pas de documents novgorodiens sur ce pénible incident.

Gennade était par ailleurs un esprit cultivé. En collaboration avec le dominicain Benjamin, dont la présence au palais épiscopal d’un archevêque orthodoxe n’a pas encore été expliquée par les historiens, il prépara une traduction nouvelle de la Bible en slave, inspirée de la Yulgate, traduction qui, nous disent les savants modernes, fit époque. Il aimait aussi à se mettre eu contact avec les étrangers. Il envoya une ambassade à Rome. C’est vers cette époque que se propagea à Novgorod la légende sur la mitre blanche dont nous avons parlé au paragraphe précédent. En 1 48(5, il causa longuement avec l’ambassadeur de ]’(inpcreur d’Allemagne à Moscou, Nicolas Poppel, et fut émerveillé d’apprendre comment le roi d’Espagne avait « nettoyé » son pays d’hérétiques. Il en dressa même un compte rendu pour l’édification de son métropolite. Gennade, néanmoins, eut maille à partir avec tous ses supérieurs ecclésiastiques. Nous avons vu comment il avait souffert aux mains de Géronte. Il refusa de signer une nouvelle profession de foi quand Zosime fut nommé métropolite et allégua (faussement d’ailleurs) que (-’était contre la coutume. Le successeur de Zosime, Siméon, déposa et emprisonna Gennade. En somme, c’est avec Zosime que Gennade se tira le mieux d’affaire, ce métropolite que, sur la foi d’un seul témoin, passionné à l’extrême, le violent Joseph de Yolokolamsk, l’on accuse couramment d’hérésie. Mais Ivan III qui appréciait les services de Gennade à Novgorod ne voulut jamais le voir à Moscou. Deux métropolites et plusieurs évêques furent élus sans le suffrage de Genn ide et les conciles passèrent leurs décrets sans lui (il est curieux de noter l’absence si fréquente des archevêques de Novgorod aux conciles de Moscou). Gennade en fut profondément mortifié, car, on le voit bien par ses épilres, il se sentait une véritable vocation d’être le champion de foi orthodoxe dans toutes les affaires de l’Église russe.

L’hérésie. Une chance lui fut offerte en l 187, à l’époque justement OÙ les esprits eiaieid surexcités à l’extrême : un prêtre du nom de Naum apporta a son archevêque un psautier ijudaïsant », qui servait aux offices de quelques prêtres, coupables, disait-il, d’une combinaison de juiverie et de messaliauisme. En fait, on les accusait surtout d’avoir bu et mangé avant de célébrer la liturgie et d’avoir commis des malpropretés sur des icônes et des crucifix. On ouvrit une enquête, mais les accusés protestèrent si vigoureusement de leur orthodoxie qu’on n’en retint que quatre qui furent d’ailleurs laissés en liberté provisoire. Dans l’espoir de trouver aide à la cour, ils s’enfuirent à la capitale où ils furent arrêtés. Gennade envoya alors son acte d’accusation, appelé le podlinnik, et écrivit en même temps à l’évêque Niphon de Suzdal pour l’intéresser à la cause. Gennade n’avait évidemment aucune confiance dans son métropolite et il n’en avait guère plus, avec raison ce semble, dans le prince Ivan III, dont le rôle dans toute cette affaire est énigmatique. En même temps, il lui décrivait par le menu de nouvelles horreurs : « Ils attachent des croix aux corbeaux et aux corneilles ; beaucoup l’ont vu. Le corbeau vole et il porte une croix de cuivre ; le corbeau vole et il porte une croix de bois. Ou encore cette autre profanation : le corbeau et la corneille se posent sur charogne et ordures et trainent la croix là-dessus. »

A Moscou il ne semble pas qu’on se soit inquiété outre mesure. Pour le chroniqueur officiel, il s’agissait simplement de quelques popes novgorodiens qui, en état d’ivresse, auraient profané des icônes. Trois d’entre eux fuient trouvés coupables, knoutés et renvoyés à Gennade. Le quatrième, un certain Gridia, contre lequel il n’y avait que le seul témoignage de Naum, fut acquitté par le concile et renvoyé à Novgorod pour supplément d’instruction. Gennade devait réunir son clergé, convaincre les hérétiques, pardonner aux pénitents et remettre les obstinés à Jacob Zakhariô qui avait instruction de les châtier. Puis un rapport devait être fait et expédié à Moscou.

C’était beaucoup trop peu pour Gennade qui se croyait le sauveur de l’orthodoxie. Il se mit pourtant à l’œuvre avec zèle ; la torture fut libéralement appliquée par les bourreaux de Zakhariô et Gennade avait toujours parmi eux un homme de confiance, pour qu’il n’y eût pas de corruption. C’est juste vers cette époque qu’eurent lieu les terribles représailles de Zakhariô contre les Novgorodiens… L’hérésie pourtant (mais s’agissait-il vraiment d’hérésie ?) se développait. L’higoumène du monastère de Gorneôno, Zacharie, accusa à son tour l’archevêque Gennade. Mais l’archevêque eut vite raison de l’higoumène. Sur plainte des moines, dit Gennade, Zacharie fut arrêté. Il paraît qu’il avait détaché quelques nobles de la suite du prince Théodore Belskij, qu’il leur avait donné la tonsure monastique, puis qu’il leur refusait la communion. Gennade lui demanda pourquoi il refusait la communion. « Je suis un pécheur », répliqua l’higoumène. « Mais alors pourquoi as-tu détaché des nobles du service de leur seigneur et leur refuses-tu la communion ? », poursuivit l’inquisiteur. Alors « Zacharie manifesta son hérésie… Chez qui communier ? dit-il, car tous les popes ont été ordonnés simoniaquement et de même La métropolite et les évêques… » Je répondis : « Le métropolite n’a pas été simoniaquement ordonné. » Il répliqua : « Jadis nos métropolites payaient de l’argent au patriarche de Constantinople, mais maintenant, il donne des pourboires aux boiars en secret. » Zacharie était doue un slrigolnik. Gennade l’enferma, mais sur instances d’Ivan 1 1 1 le fit de nouveau libérer. Désespérant de convaincre le métropolite, qu’il soupçonnait alors et qu’il accusera plus tard de tiédeur dans l’exercice de sa charge, il écrivait à l’archevêque déposi de Rostov en l’excitant au zèle.

Le métropolite Zosime.

Entre temps Géronte mourut et Zosime tut du sans l’intervention de l’archevêque de Novgorod (Zosime fut consacré le 26 février 1490 et laissa son trône malgré lui le 17 mai 1494). Dès que Gennade fut au courant des événements, il écrivit de longues lettres tant à Zosime qu’au concile