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    1. IUPERT DE DEUTZ##


IUPERT DE DEUTZ. LE THÉOLOGIEN

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Rupcrt était porté, par sa théorie trinitaire, à exagérer le rôle du Saint-Esprit dans l’incarnation du Fils de Dieu. Rappelons-nous que « le Père a créé par le Fils en tant que Dieu seulement, tandis que le Saint-Esprit réforme [la créature déchue] par le Fils fait homme. Car — et ceci était le dogme chrétien tout simple

— si aucune créature n’a été faite que par le Fils comme Dieu, aucune non plus n’a été recréée que par le Fils incarné. Il faut donc dire — puisque l’Esprit-Saint doit d’abord façonner son prototype et son instrument — que le nouvel homme, Jésus-Christ, a été le premier et le principal ouvrage du Saint-Esprit, quippe qui de Spiritu sancto conceptus est. » De Trin., part. III, t. I, c. ii, t. clxvii, col. 1573.

Quel est le rôle exact du Saint-Esprit dans l’incarnation ? Rupert revient souvent et parfois curieusement sur cette affirmation de l’Église que l’Esprit n’agit pas par génération, mais par opération, par influence. Voici une comparaison qu’il trouve « bien mesquine, et pleine d’obscurités elle-même ; mais c’est tout ce qu’il peut dire sur un si profond mystère :

« Dans le nid de l’oiseau, avec l’œuf sous lui, comment

se fait la rencontre du corps de l’oiseau et du fœtus formé de l’œuf ? Ce n’est pas le corps de celui-ci qui se change en semence et perd de sa substance, pour faire naître un semblable à lui ; mais c’est par la chaleur de son corps posé sur l’œuf, que l’œuf s’anime et que le suc de l’œuf se façonne en un être semblable à l’oiseau. » (On voudra bien ne pas déformer cette explication de Rupert par nos idées sur la génération animale. ) L’auteur conclut d’ailleurs fort justement : « Qui est-ce qui peut bien disputer de ces choses-là, que Salomon lui-même n’a pu comprendre (III Reg., IV, 33). Combien moins pourra-t-on disserter sur la manière dont l’Esprit-Saint survint en Marie, en sa propre nature immuable, sans pourtant dire qu’il y a fait fonction de semence. Comment a-t-il pu rencontrer le Verbe de Dieu pourvu de sa substance séminale des entrailles de la Vierge ? Quomodo Spiriiui sancto… Verbum Dei cum semenlina substantiel virginei ventris obviaverit. Contentons-nous de dire que la Sagesse, [le Fils de Dieu] a construit sa maison par son Esprit, c’est-à-dire par l’opération et non par la substance de son Esprit, tandis que la substance en venait » — par suite de la création première — — de la seule personne de son Père. Mais comme le Fils de Dieu et le Père de ce Fils sont une seule substance, ainsi tous deux inséparablement infusèrent leur Esprit à cette maison, à cet homme Jésus-Christ, au Fils de Dieu Fils de l’homme. » De glor. Trin., t. IX, c. vi, t. clxix, col. 187. La troisième personne garde sa place en ce mystère tout comme dans la création matérielle, Pater imprégnai, Filius induitur, Spirilus sanctus operatur. De Trin., part. 1, t. V, c. xxxvii, t. clxvii, col. 401. Ne dirait-on pas, à suivre l’ordre des propositions, que le Saint-Esprit survient au moment où le Fils s’incarne, et cela pour le sanctifier ? Ce serait diminuer le rôle du Saint-Esprit, d’après les Évangiles, et il ne serait pas impossible que Rupert l’ait tour à tour majoré et minimisé ! Cependant il est plus équitable de s’en référer au passage du De Trinitate où il expose ex projesso le texte classique de saint Luc : il y développe toutes ses qualités d’observation pour montrer que l’Esprit n’est pas générateur, que le Fils qui s’incarne est éternel, qu’il reçoit en s’incarnant la plénitude des dons de l’Esprit. De Trin., part. III, t. I, c. x, col. 1579. « Est-ce qu’il sera donc appelé Fils du Saint-Esprit ? Pas du tout. Car l’Esprit-Saint surviendra en toi, non ut pro semine sit, aut ut de subslantia sil ejus caro filii quem conripis. Tu concevras du Saint-Esprit, non pas comme d’un générateur. Cette conception de Spiritu sancto est. non pas génération, mais opération. La chair du Verbe sera tirée de la chair de la "Vierge, non point de la substance du Saint-Esprit… Et

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

remarquons que l’ange ne dit point : Il sera Fils de Dieu, mais bien : on l’appellera Fils de Dieu. Ce que la Vierge a conçu, en eiîet, existe depuis toujours. Et cette antique essence était sainte : c’était le Fils de Dieu. Mais il ne restait plus qu’à l’appeler ce qu’il était. Et dans cette appellation même : Fils de Dieu, il allait manifester le vrai nom de Dieu, qui n’était pas encore connu, non pas sous son nom de Dieu, mais sous son nom de Père du Fils… Remarquons encore que le texte ne porte pas : Quod nascetur ex te sanctus, mais sanction. C’est qu’il y a de nombreux personnages qui ont été saints ou sanctifiés ; un seul est chose sainte et sa sainteté qui a sanctifié les autres : c’est le Saint des saints, essentiellement saint, que la Vierge pure a conçu du Saint-Esprit. » De Trin., part. III, t. I, c. x, col. 1580. D’autres fois, au lieu d’expliquer comme précédemment la sanctification substantielle du Christ par l’union hypostatique, Rupert semble fonder la divinité du Christ sur cette sanctification foncière qui irait à donner à la nature humaine la toute-puissance de Dieu, comme le soutiendra plus tard Hugues de Saint-Victor et son école. « La nature humaine, prise de la substance de la chair de la Vierge, était comme un parchemin blanc et bien préparé, tout prêt à recevoir l’œuvre du scribe ; et c’est la langue du Père, l’Esprit-Saint, qui l’a parcouru rapidement tout entier : il a rempli toute la substance du Verbe et n’en a rien laissé vide, mais tout ce qui était dans le cœur du Père, il l’a écrit en cette âme. C’est toute la sagesse, toute l’intelligence… de Dieu qui est passée en Jésus, au point qu’il n’y eut rien qu’il ne sût ou ne pût faire, rien en Dieu le Père que ne reçût la nature humaine de cet enfant : unde et Deus est. » De Victoria, t. XI, c. xxiii, P. L., t. clxix. col. 1458. Seul, le Saint-Esprit pouvait pénétrer ainsi l’âme de Jésus parce qu’il est Dieu, et c’est même une preuve de sa divinité développée par les Pères catholiques ; et seul un Dieu connue le Verbe pouvait revêtir hypostatiquement la nature humaine, lue. cit., col. 1459. « C’est par ces liens indissolubles de l’Esprit-Saint, par cet amour inestimable et cette intimité ineffable » de l’Esprit avec la nature humaine de Jésus, « que la divinité du Verbe s’est unie à notre chair ». De div. ofj., t. clxx, col. 24. Sur la personne de Jésus, Rupert a une doctrine orthodoxe et assez approfondie. Le mystère consiste dans l’union de deux substances sous l’hégémonie de la seule personne du Verbe, hi Joa., 1. 11, t. clxix, col, 259-261. Les deux natures gardent leur diversité fondamentale, magna diversilale Utriusque naturæ, op. cit., t. XIV, col. 802, dans l’obéissance plénière de la nature humaine : « Organe du Père, la bouche de l’homme divin, dominici hominis, répond fidèlement. » Col. 7v-9. Cet homme in Deo assumplus, In Apoc, t. X, col. 1009, n’a pas un corps fantomatique, comme d’anciens hérétiques l’ont prétendu. De Trin., t. IV, c. xxxvin et t. V, c. xxxviii, t. clxvii, col. 362 et 402. Il ne faut pas dire non plus, comme d’autres l’ont soutenu, que « le Verbe y tenait dans la chair le rôle de l’âme, ou qu’il a pris une âme irrationnelle ; mais il a pris une chair véritable et une âme raisonnable, c’est-à-dire une humanité complète véritable, le Dieu véritable, parce que c’était l’homme entier qui avait péri, corps et âme ». De Trin., part. III, I. I, c. x, col. 1586. Il a pris en particulier et exprimé les deux volontés, divine et humaine. De Victoria, t. XII, t. clxix, col. 1476. Comme homme, le Christ était capable de progrès réel. De Trin., t. I, c. xxr, t. clxvii, col. 218. Voir plus haut les trois investitures de l’Esprit

La rédemption.

La mission du Sauveur est

révélation et rédemption. « Il y avait une préparation au salut qui s’imposait pour la créature humaine : c’était d’être « catéchisée » par ce Verbe par qui elle avait été faite. » De Trin., t. IV, c. i, col. 325. De là les miracles de Jésus, « miracles de bonté », qui disaient

T.

XIV. — 7.