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RABAN MAUR. ACTION


Dans I'épître dédicatoire des livres d’Esthcr et de Judith, à l’impératrice Judith, il lui donne discrètement des conseils de sagesse et de prudence, plutôt que de force : « Ces deux femmes, écrit-il, à cause de leur vertu insigne, sont des modèles pour les hommes comme pour les femmes ; leurs ennemis spirituels, elles les ont vaincus par leur énergie, mais leurs ennemis temporels, elles les ont vaincus par la solidité de leur jugement. Ainsi donc votre louable sagesse, qui déjà a remporté sur ses ennemis une victoire non petite, dominera heureusement tous ses adversaires, pourvu qu’elle continue l'œuvre commencée, et s’efforce toujours de se rendre elle-même meilleure ». P. L., t. cix, col. 540. Au c. xv du Pénitenliel adressé à Otgar, il ne craint pas, au lendemain de la bataille de Fontanet, de qualifier d’homicides les meurtres commis « pendant les derniers troubles et révoltes de nos princes ». « Ceux, dit-il, qui pour plaire à leurs maîtres temporels ont méprisé le Maître éternel, … ont commis un homicide, non pas accidentel, mais bien volontaire. » P. L., t. cxii, col. 1411, 1412.

De Lothaire, il fut particulièrement l’ami ; mais avec ce prince qui eut quelquefois des allures de moine et de théologien, les échanges de lettres ont pour objet, non la politique, mais la sainte Écriture. Une fois, cependant, à propos de ce texte de l'Épître aux Hébreux : Obedite preepositis vestri.s… Ipsi enim pervigilanl, quasi ralionem pro animabus vestris reddituri (xin… 17), il remarque que ce texte expose les devoirs des sujets et les devoirs des princes : les sujets doivent être obéissants pour faciliter la tâche difficile des princes ; ceux-ci doivent être vigilants et conscients de leurs responsabilités ; mais ils ne doivent pas se venger s’ils sont méprisés par leurs sujets : ils doivent prier et gémir devant Dieu, qui se chargera du châtiment. P. L., t. ex, col. 181.

Avec Louis le Germanique, les rapports furent d’abord tendus. Mais la disgrâce ne dura pas : archevêque de Mayence, qui, malgré sa situation sur la rive gauche du Rhin, faisait partie du nouveau royaume de Germanie, Raban eut à collaborer avec le roi d’une manière continue ; il lui rend compte par lettre du synode de 847 ; Louis assiste aux synodes de 848, 852 (ou 851) à Mayence. Raban lui envoie ses ouvrages et les dédicaces nous montrent les préoccupations liturgiques et théologiques du prince qui, à ce point de vue, semble bien rester dans la tradition carolingienne.

Ces quelques exemples suffisent pour délimiter l’action politique de Raban Maur. Préoccupé d’apostolat intellectuel, soucieux de travailler sur les moines et le clergé, et par eux, sur le peuple chrétien, il s’efforce d’intéresser les princes à son action et, par ses instances, il contribue efficacement à la continuation de l'œuvre de Charlemagne. Mais il se cantonne, autant qu’il est possible à l'époque, dans le domaine religieux. De ce point de vue, il ne ressemble guère à son grand contemporain, Hincmar de Reims, dont le curriculum vilæ a tant d’analogie avec le sien.

Action apostolique et missionnaire.

L'évangélisation de la Germanie, si puissamment poussée par

saint Boniface, était loin d'être achevée. Raban, abbé de Fulda, ne pouvait oublier que son abbaye avait été fondée pour servir de base d’opérations aux missionnaires. A l'époque qui nous intéresse, la partie occidentale de la Germanie était organisée hiérarchiquement, mais au-delà, vers l’est, et surtout vers le nord, un immense territoire restait à conquérir. D’autre part, malgré la hiérarchie régulière, il y avait fort à faire dans la région de Fulda et dans celle même de Mayence, pour maintenir la foi et la vie chrétiennes dans leur intégrité. Haban connut donc ces deux préoccupations : maintien et développement de la

foi dans le pays chrétien et expansion missionnaire.

Son biographe, Rudolfe, nous le montre faisant construire églises et oratoires, et organisant des cérémonies solennelles de translations de reliques pour la prise de possession de ces nouveaux lieux de culte. Raban conservait le souvenir de ces « dédicaces », souvent marquées par des miracles, en des poèmes qu’il faisait graver sur les murs de l'édifice. L’importance qu’il attachait à cette partie de son activité montre qu’il ne s’agit pas seulement d’actes de dévotion, mais de la constitution de paroisses ou de centres religieux, L'état moral des populations laissait beaucoup à désirer, si nous nous en rapportons aux « pénitentiels » de Raban ou aux dispositions prises par les conciles réformateurs qu’il tint à Mayence. Mais la réforme des fidèles ne pouvait être réalisée que par un clergé, lui-même formé, et c’est ce à quoi vise la plus grande partie de l'œuvre écrite de Raban, comme nous le verrons au paragraphe suivant.

Deux de ces conciles eurent à s’occuper d’une question missionnaire assez épineuse : après la destruction de Hambourg par les Danois, en 844, Anschaire, nommé par le pape Grégoire IV archevêque de cette ville, avait repris le siège de Brème, vacant par la mort de Leuderich (24 août 845), et l’on avait uni les deux ressorts de Hambourg et de Brème. Le concile de 847 compléta cette mesure, toute de circonstance, en supprimant le siège de Hambourg, qui avait été fondé en 831 précisément en vue des missions du Nord ; aussi les mesures prises durent-elles être révisées l’année suivante : le synode de 848 trouva la solution équitable. Cf. De Moreau, Saint Anschaire, Louvain, 1930, p. 70 sq.

La correspondance de Raban montre l’intérêt qu’il portait à ces problèmes missionnaires. En 832, Gauzbert était parti pour la Suède, soutenu par l’empereur Louis le Débonnaire et par l’archevêque de Reims, Ébon. « De Fulda… Raban Maur écrivit plusieurs fois à l'évêque et à ses compagnons ; il les exhortait à persévérer dans leur pénible apostolat, en dépit de la haine des hommes ; il leur envoyait divers présents : ainsi un sacramentaire, un lectionnaire, un psautier, les Actes des apôtres, des ornements et vêtements liturgiques, des linges d’autel et des cloches ». De Moreau, op. cit., p. 61 ; Cf. Mon. Germ. hist., Episl., t. v, p. 522, 523.

Frédéric, évêque d’Utrecht, qui devait mourir martyr en 834, eut recours à l’abbé de Fulda pour procurer à sa bibliothèque des textes scripturaires ; Raban lui envoya plusieurs de ses commentaires pour qu’il les fît copier, entre autres un Commentaire sur Josuê ; en le lui envoyant, il rappelle le souvenir du « très saint évêque et bienheureux martyr Boniface » parti autrefois de Fulda pour l'évangélisation de ces peuples. P. L., t. cviii, col. 999.

Mais les « évêques missionnaires » n'étaient pas les seuls à qui cette assistance intellectuelle fût nécessaire, lui bien des régions du pays franc, le besoin de livres, traités, manuels se faisait sentir et les sollicitations arrivaient à Baban Maur, comme à un spécialiste apprécié.

Action intellectuelle.

La vocation intellectuelle de Raban Maur lui fut révélée, à Tours, par

Alcuin. On sait quel fut le rôle de celui-ci dans ce qu’on a appelé la renaissance carolingienne. Il s’agissait de ne laisser tomber dans l’oubli ni les lettres antiques, ni les ouvrages des Pères : l’effort accompli fut animé beaucoup plus par une pensée de conservation que par un esprit de progrès ; il est cependant très estimable. Raban ne dissimule pas ce qu’il doit à Alcuin ; dans une miniature du Liber de cruce déjà cité, il se fait représenter à genoux devant le pape, lui offrant son livre ; derrière lui, son maître Alcuin, à genoux également, lui appuie affectueusement