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QUIETISME


de son salut ; 3. l’amour pur implique l’indifférence pour la perfection et pour la pratique des vertus ; 4. en certains états contemplatifs, l'âme perd la vue réfléchie de Jésus-Christ le Verbe incarné.

Au début du livre, p. 10, Fénclon distingue cinq états différents d’amour de Dieu : états d’amour purement servile, de pure concupiscence, d’espérance, de charité mélangée, enfin d’amour pur. Dans ce dernier état, « ni la crainte des châtiments, dit Fénelon, ni le désir des récompenses n’ont plus de part à cet amour. On n’aime plus Dieu, ni pour le mérite, ni pour la perfection, ni pour le bonheur qu’on doit trouver en l’aimant ». Maximes, p. 10-11. C’est la l re proposition condamnée. Cette doctrine est de nouveau censurée dans d’autres propositions. Elle exclut, en effet, la vertu d’espérance.

Fénelon avait été frappé, en lisant la Vie des saints, des tentations de désespoir dont plusieurs, comme saint François de Sales, ont souffert. Il voulut justifier ces faits par la théologie de l’amour pur. A cette fin, il semble enseigner qu'à la dernière étape des purifications passives une âme peut se persuader, d’une persuasion invincible et réfléchie, qu’elle est justement réprouvée de Dieu et qu’elle peut lui faire le sacrifice absolu de son bonheur éternel. Le directeur est autorisé alors à permettre à cette âme d’acquiescer à sa damnation. Maximes, art. x, p. 87-92. Les propositions condamnées 8, 9, 10, 11, 12 et 14 contiennent cette doctrine. Le sacrifice absolu et volontaire du salut est toujours défendu, comme contraire à l’espérance et à la charité.

Si l’amour pur peut détacher l'âme parfaite du désir du salut, il peut par le fait même la rendre indifférente pour son avancement spirituel dans la pratique des vertus. Tel semble être l’enseignement des Maximes des saints, art. xxxiii, p. 223 sq ; art. xl, p. 252. L'Église l’a condamné dans les propositions 18, 19, 20 et 21 ; cf. prop. 5. Quel que soit l'état de sainteté où une âme arrive, il ne lui est jamais permis de ne pas désirer progresser.

L’art, xliv des Maximes des saints, p. 2(ï3, laisserait entendre que, d’après Fénelon, il y avait dans l'Église ancienne une tradition secrète, sorte d’enseignement ésotérique sur l’amour pur, réservée aux seuls initiés. La publication de l’opuscule inédit, Le gnostique de saint Clément d’Alexandrie, Paris, 1930, ne laisse aucun doute au sujet de la réalité de cette théorie fénelonienne. P. 124 sq. C’est donc à bon droit que l'Église l’a condamnée dans les 3e et 22e propositions.

Enfin, aux art. xxi et xxiii, Fénelon s’exprime comme si la perfection chrétienne ne pouvait se trouver que dans les états contemplatifs. Ceux qui font l’oraison discursive ne sauraient s'élever au dessus de l’amour intéressé et imparfait. Doctrine censurée aux propositions 15 et 16.

Fénelon a expliqué, dans son Instruction pastorale du 15 septembre 1697 et dans d’autres écrits, les passages incriminés de son livre. Et nous devons reconnaître que ses explications sont acceptables. Mais l'Église considère le texte écrit et non les explications légitimes qu’on en peut donner. Ce texte, d’ailleurs, a été rédigé trop hâtivement, et à cause de cela, il n’a pas l’exactitude et la précision requises dans des matières si délicates. Fénelon, on le sait, se soumit admirablement au jugement de l'Église, comme le prouve son Mandement du 9 avril 1699.

Sur cette controverse voir, outre les ouvrages rites, A. Largent, art. Fénelon, ici, t. v, col. 2137 sq. ; art. Bossuet, t. ii, col. 1011) sq. ; llarcnt, art. Cspérance, t. v, col. 662 sq. ; P. Pourrat. I.n spiritualité chrétienne, t. iv, 1928, p. 25 : 5 sq. ; Urbain et I.evesquc, Correspondance de Bossuet, h partir de l’année 1 « " » '. > t ; Gossclin, Hist. littér. 'le Fénelon, Lyon-Paris, 1843 ; H. Bremond, Apologie i « iur

Fénelon, Paris, 1910 ; L. Navatel, Fénelon. La Confrérie secrète dn pur amour, Paris, 1914 ; Georges Lizerand, Le duc de Beauvillier, Paris, 1933, c. vi.

Conclusion. — De cette analyse des diverses formes historiques du quiétisme se dégagent des conclusions qu’il convient de synthétiser en terminant cet article.

1° Comme nous l’avons déjà fait remarquer, la cause fondamentale du quiétisme est cette horreur de l’effort inhérente à la nature humaine. Croître en vertu, tendre à la perfection, faire son salut, autant d'œuvres qui supposent l'énergie, l’exigent et la provoquent. Énergie qui coûte, qu’accompagne la souffrance. Ne serait-il pas possible de se sanctifier et de se sauver sans s’imposer tant de peine et même en ne s’en imposant aucune ? Le quiétisme a donné à cette question la réponse que l’on sait.

2° Cette disposition de la nature humaine à redouter l’effort et la peine cherche sa justification dans certains principes théologiques faussés. Le premier et le principal selon le quiétisme se trouve dans l’exagération de l’impuissance morale de l’homme déchu. Sans doute, dans l’ordre surnaturel, nous ne pouvons rien si la grâce ne nous aide. Notre concours est cependant nécessaire pour coopérer à la grâce. Les deux actions : celle de Dieu et celle de l’homme, s’unissent dans la collaboration. Toute doctrine qui supprimerait l’une pour mieux exalter l’autre serait hérétique. Il est permis pourtant aux auteurs spirituels, selon les écoles auxquelles ils appartiennent, d’insister davantage dans leurs exhortations sur la nécessité du concours divin ou sur celle de la collaboration humaine. Libre à euxl

Le quiétisme, lui, sous prétexte d’exalter l’importance de l’action divine dans nos œuvres, supprime la collaboration humaine. Il motive cette suppression soit par la prétendue corruption foncière de l’homme déchu, qui rend celui-ci incapable de tout bien, soit par le désir de mettre en relief le néant de la nature humaine : celle-ci n’a qu'à s’anéantir dans l'être et dans l’agir pour tout abandonner à l’action divine.

Le résultat est, selon les formules quiétistes bien connues, ne rien faire et laisser faire, avec toutes les conséquences que l’on devine.

3° Le quiétisme a cru trouver encore sa justification dans une interprétation fautive des états passifs. Il y a des états mystiques bien authentiques où l'âme est passive. Elle est mue et gouvernée par Dieu. Elle garde cependant la liberté d’accepter et de suivre cette conduite de l’Esprit-Saint. En un mot, elle reste responsable. Le quiétisme a poussé jusqu'à l’extrême cette passivité. Il a prétendu que le mystique, arrivé aux états passifs, a perdu sa volonté ; Dieu la lui a ôlée. Dès lors tout ce qui est voulu par lui, c’est Dieu qui le veut en réalité. Le mystique devient irresponsable. On voit les conséquences.

Le quiétisme a encore faussé la théologie mystique, relativement aux états passifs, en enseignant que l'âme doit se mettre d’elle-même dans cette passivité. Or, comme le rappelait saint budes, c’est à Dieu à l’y mettre. Vouloir l’y pousser si Dieu n’intervient pas, c’est l’exposer à l’oisiveté spirituelle, loin de lui faire atteindre les degrés de l’oraison mystique proprement dite ; c’est la jeter dans le quiétisme.

4° La nature de l’union mystique a été également altérée par le quiétisme. Cette union extraordinaire produite entre Dieu et l'âme est assurément très étroite. L'âme ainsi unie à Dieu perd parfois le sentiment d'être distincte de lui. En réalité elle demeure toujours elle-même et simple créature. La mystique orthodoxe a horreur de tout ce qui ressemblerait au panthéisme. Celle horreur, le quiétisme ne l’a pas. Dans l’extase néo-platonicienne, nous le savons,