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QUIÉTISME. FÉNELON


l’appréciation du P. Largent sur la valeur des aveux faits par le P. La Combe.

La théorie mystique par laquelle le P. La Combe justifiait ses très regrettables pratiques diffère de celle de Molinos. Il ne croit pas aux violences diaboliques. Il enseigne, lui, la doctrine de « l’extrême abandon » de l'âme à Dieu. Le souci de ne point déplaire à Dieu doit aller jusqu'à accepter l’humiliation du péché et la perspective de l’enfer encouru : « C’est pour ne déplaire pas à Dieu, même par une imperfection, disait-il, ou par la moindre propriété et recherche de soi-même, qu’on en vient jusque-là, selon qu’on s’y sent porté par la plus haute résignation, que pour cet effet l’on appelle l’extrême abandon ». Déclaration à l'évêque de Tarbes, Correspond, de Bossuet, t. IX, p. 480. « Ce Père a enseigné, rapporte l’Information canonique, que le plus grand sacrifice qu’on pouvait faire à Dieu était de commettre le péché qu’on avait le plus en horreur. » P. Dudon, Recherches de science religieuse, 1920, p. 197. Cette doctrine hérétique est aussi celle de Mme Guyon, comme nous Talions voir.

Mme Guyon, comme Molinos et comme le P. La Combe, avait un double enseignement : celui qu’elle donnait publiquement et l’autre qui était secret. Le livre Les torrents spirituels circula longtemps en manuscrit et dans l’ombre ; il contient la plupart des erreurs guyoniennes. Seuls le Moyen court et très facile de faire oraison et L’explication du Cantique des cantiques furent imprimés du vivant de l’auteur.

La mystique de Mme Guyon aboutit à une sorte de panthéisme qui supprime la responsabilité morale. A ce sujet, elle est dans la ligne de celle de Molinos. Plusieurs caractères de cette mystique s’expliquent par le tempérament morbide de son auteur. Il y a intérêt à en suivre l'évolution parallèlement aux circonstances de la vie mouvementée de celle qui passait aux yeux de certains pour une « nouvelle prophétesse ». Mais nous n’avons pas à refaire ici la biographie de Mme Guyon. On la trouvera dans ce dictionnaire, t. vi, col. 1997 sq. Qu’il suffise d’exposer les principes de sa mystique.

Mme Guyon établit trois catégories parmi les âmes qui se convertissent et tendent à la perfection.

La première est celle des âmes qui s’adonnent à la méditation. Elles « vont doucement à la perfection ». Ces âmes sont ordinairement peu appliquées au dedans. « Elles travaillent au dehors et ne sortent guère de la méditation ; aussi ne sont-elles pas propres à de grandes choses. » Les torrents spirituels, I re partie, c. ii. Opuscules spirituels de Mme Guyon, Paris, 1790, t. i, p. 134-135. Selon Mme Guyon, l'œuvre de la perfection consiste à aller du dehors au dedans de nous, vers notre centre, qui est Dieu présent en nous. Ce qui est très exact. Mais, ce qui l’est moins, c’est que nous ayons peu ou que nous n’ayons pas d’effort à faire pour être attirés par Dieu au centre de notre âme. La méditation, qui exige l’effort, est à cause de cela peu appréciée de Mme Guyon, qui donne ses préférences aux voies passives.

Les âmes de la deuxième catégorie sont justement dans la voie passive de lumière. Elles paraissent déjà bien intérieures. Cependant, elles a ne seront jamais anéanties véritablement, et Dieu ne les tire pas de leur être, propre pour les perdre en lui ». Torrents, IIe pari., c. m. Opuscules, t. i, p. 1 15, 1 l(>. Leur pente centrale vers Dieu n’a rien d’impétueux, si bien qu’elles restent en route et n’atteignent pas le tenue de leur marche.

Ce sont les âmes de la troisième catégorie) entrées dans la voie passive en fui. qui retiennent l’attention de Mme Guyon. Elle compare la rapidité de leur retour à Dieu à l’impétuosité des torrents des Alpes. Dans cette troisième vole, l'âme doit parcourir

quatre étapes pour arriver à se perdre en Dieu : le repos et la paix intérieure, les épreuves spirituelles, la nu/ri mystique et enfin la résurrection de l'âme en Dieu. Ibid., c. iv-ix, p. 153 sq. Mme Guyon fait des descriptions curieuses de « l'état consommé de la mort de l'âme », de « sa sépulture, de « sa pourriture ou putréfaction », de « sa réduction en cendres ». Ibid., c. viii. La « résurrection en Dieu » qui succède à une pareille destruction ressemble fort au panthéisme : « Dieu peu à peu la [l'âme ] perd en soi et lui communique ses qualités, la tirant de ce qu’elle a de propre. » Vie de Mme Guyon écrite par elle-même, t. ii, Paris, 1790, c. iv, p. 40. L'âme dans cet état cesse d'être responsable. Mme Guyon déclarait que, « pour la confession, elle était étonnée, qu’elle ne savait que dire, qu’elle ne trouvait plus rien ». Ibid., p. 41. On Ta accusée d’avoir dit qu’elle pouvait se passer de la confession pendant « quinze ans entiers ». Correspond, de Bossuet, t. vii, p. 486-487.

L'âme ainsi ressuscitée en Dieu est impeccable quoi qu’elle fasse : « C’est la volonté maligne de la part du sujet, dit-elle, qui fait l’offense et non l’action. Car si une personne dont la volonté serait perdue et comme abîmée et transformée en Dieu était réduite par nécessité à faire des actions de péché, elle les ferait sans pécher. » Torrents, ms. Recueil sur le P. La Combe et Mme Guyon, t. i, p. 500. Le cardinal Le Camus, évêque de Grenoble, atteste qu’on reprochait à Mme Guyon d’avoir dit « qu’on pouvait être tellement uni à Dieu qu’on pourrait tomber dans des actes impurs, même avec un autre, étant éveillé, sans que Dieu y fût offensé ». Correspond, de Bossuet, t. vii, p. 489-490.

Même en faisant la part des exagérations, auxquelles exposent les animosités les plus justifiées, la mystique guyonienne apparaît non seulement erronée, mais aussi extrêmement dangereuse pour les bonnes mœurs. On serait donc tout à fait déraisonnable si Ton accusait d’injustice ceux qui usèrent de sévérités pour mettre Mme Guyon dans l’impossibilité de. répandre ses erreurs.

Sur le P. La Combe, voir ses lettres à Mme Guyon dans la Correspondance de Bossuel, éd. Urbain et Levesque, t. viii, app. i ; t. ix, append. M ; dans la Correspondance générale de Fénelon, t. vii, Versailles, 1828 ; Lettres du P. La Combe au général des barnabites, Correspond, de Bossuet, t. ix, p. 460 sq. ; sa Déclaration à l'évêque de Tarbes, ibid., p. 480 sq. ; son apologie en réponse aux accusations du général des chartreux, Revue Fénelon, 1910, p. 69 sq., 139 sq.

Sur Mme Guyon voir ses lettres et les témoignages la concernant dans Corresp. de Bossuet, t. vi, p. 531 sq. ; t. vii, p. 483 sq. ; t. viii, p. 441 sq. ; A. Largent, art. Guyon, ici, t. vi, col. 1997 sq., où l’on trouvera une bibliographie ; Jean-Philippe Dutoit, Lettres clirétiennes et spirituelles de Mme Guyon, 5 vol. in-12, Londres (Lyon), 1707-1768 ; Lettres inédites de Mme Guyon, dans Revue Fénelon, 1910-191 1, p. 109 sq. ; 1911-1912, p. 195 sq. ; M. Masson, Fénelon et Mme Guyon, Paris, 1907.

Sur le P. La Combe et Mme Guyon voir une bibliographie dans Recherches de science religieuse, 192U, p. 182 sq. ; P. PoUITat, La spiritualité chrétienté, t. IV, p. 221 sq.

VIII. Controverse entre Bossuet et Fénelon. — Je la résume brièvement. car elle a déjà été exposée à l’art. Fénelon.

1° Les articles d’Issy (1695). — Lorsque les projets secrets de Mme Guyon de conquérir le monde, avec l’aide de Fénelon, et d’y établir le règne mystique de l’oraison et de l’amour pur curent élé ébruités vers 1693, l'émoi fut grand, à Taris surtout. Dans son Ordonnance du 16 avril 1695, promulguant les articles d’Issy. Bossuet disait : « Bien informés… que ces dangereuses manières de prier, introduites par quelques mystiques de nos jours, se répandaient insensi-