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QUIÉTISME. LE MOLINOSISME


tentations ; les péchés qu’ils commettraient tandis qu’ils contemplent seraient imputables au seul démon. Nous trouvons ici des allusions au molinosisme. Cette instruction est publiée par P. Dudon, Michel Molinos, p. 271-273 ; de Guibert, op. cit., n. 449-452.

Cinq ans après, le 15 février 1687, le procès de Molinos étant commencé, le cardinal Cybo, dans une lettre circulaire écrite, au nom du Saint-Office, aux évêques d’Italie, signale l’existence de « compagnies, confréries ou assemblées » pour conduire les âmes à l’oraison « de quiétude ou de pure foi et intérieure ». Les mauvais directeurs qui dirigent ces groupements « insinuent peu à peu dans les esprits simples des erreurs très grièves et très pernicieuses, qui enfin aboutissent à des hérésies manifestes et à des abominations honteuses, avec la perte irréparable des âmes qui se mettent sous leur conduite parle seul désir de servir Dieu ». La circulaire est suivie de dix-neuf propositions contenant les erreurs principales de la contemplation quiétiste. P. Dudon, op. cit., p. 273-274, donne le texte italien de la circulaire ; de Guibert, op. cit., n. 444-148 ; traduction de Bossuct, Œuvres, loc. cit.

Documents officiels relatifs au molinosisme.


La doctrine ésotérique de Molinos se trouve dans deux documents officiels : 1. La sentence de condamnation de Molinos, du 3 septembre 1687. Elle est en italien. Les Analecla juris pontificii, t. vi, 1863, p. 1634-1649, en donnent une traduction latine. Cf. P. Dudon, op. cit., p. 274-292. — 2° Les soixantehuit propositions de Molinos condamnées par la bulle Cœlestis Pastor, d’Innocent XI, en date du 19 novembre 1687. Cf. P. Dudon, op. cit., p. 292-299 ; de Guibert, op. cit., texte italien et traduction latine, n. 455-468 ; traduction française dans Œuvres de Bossuet, t. xxvii, Versailles, 1817, p. 509-528.

Les soixante-huit propositions condamnées par la bulle Cœlestis Pastor sont le document le plus complet où se trouve exposé le molinosisme. Il faut donc le rapporter ici dans toute son étendue, avant de faire la synthèse de cette hérésie.

Le pape Innocent XI déclare au début de la bulle que Molinos a reconnu comme siennes ces soixante-huit propositions, a quo [Molinos] fuerant [propositiones] pro suis recognitæ.

1. Oportet potentias annihilare et hacc est via interna.

2. Velle operari active est Deum offendere, quia vult esse solus agens : et ideo opus est seipsum in Deo totum totaliter derelinquere, et postea permanere velut corpus exanime.

3. Vota de aliquo faciendo sunt perfectionis impeditiva.

4. Activitas naturalis est gratins inimica, impeditque Dei operationes et veram perfectionem, quia Deus operari vult in nobis sine nobis.

5. Nihil operando anima se annihilât, et ad suuin principium redit et ad suam origincm, qua : est essentia Dei, in qua transforma ta remanet, ac divinisata, et tune Deus in seipso remanet ; quia tune non sunt amplius dîne res unitse sed uns tantum et hac ratione Deus vivii ci régna !

in nobis, et anima scipsam

annihilai in esse operativo.

1. Il faut anéantir les puissances de l'âme : telle est la voie [vie [ intérieure.

2. Vouloir agir, être actif, c’est offenser Dieu, qui veut être seul agent ; et c’est pourquoi il faut s’abandonner totalement sans réserve à lui, et demeurer ensuite comme un corps inanimé.

3. Les voeux de faire quelque bonne œuvre sont des obstacles a la perfection.

4. L’activité naturelle est l’ennemie de la grâce et elle s’oppose aux opérations de Dieu et à la vraie perfection parce que Dieu veut agir en nous sans nous.

5. En ne faisant rien, l'âme s’annihile et retourne â son principe et â son origine, qui est l’essence de Dieu, dans laquelle elle demeure transformée et divinisée. Dieu demeure alors en lui-même, car il n’y a plus en ce cas deux choses unies, mais une seule chose, et c’est ainsi que Dieu il et replie en nous et que l'âme s’anéantit elle-même dans son principe d’activité.

6. Via interna est illa in qua non cognoscitur nec lumen, nec amor, nec resignatio ; et non oportet Deum cognoscere ; et hoc modo recte proceditur.

7. Non débet anima cogitare nec de prsemio, nec de punit ione, nec de paradiso, nec de inferno, nec de morte, nec de œternitate.

8. Non débet velle scire an gradiatur cum voluntate Dei, an cum eademvoluntatercsignata maneat neene ; nec opus est ut velit cognoscere suum statum, nec proprium nihil, sed débet ut corpus exanime manere.

'.). Non débet anima reminisci nec sui nec Dei, nec cujusque rei, et in via interna omnis reflexio est nociva etiam reflexio ad suas actiones humanas et ad proprios defectus.

10. Si propriis defectibus alios scandalizet, non est necessarium rellectere. dummodo non adsit voluntas scandalizandi ; et ad proprios defectus non posse reflectere gratia Dei est.

11. Ad dubia quæ occurrunt, an recte procedatur, neene, non opus est rellectere.

12. Qui suum liberum arbitrium Deo donavit, de nulla re débet curam habere, nec de inferno, nec de paradiso, nec débet desiderium habere propriæ perfectionis, nec virtutum, nec proprise sanctitatis, nec propriæ salutis cujus spem expurgare débet.

13. Resignato Deo libero arbitrio, eidem relinquenda est cogitatio et cura de omni re nostra, et relinquere ut faciat in nobis sine nobis suam divinam voluntatem.

14. Qui divinavoluntati resignatus est, non convenit ut a Deo rem aliquam petat, quia petere est imperfectio, cum sit actus propriæ voluntatis et electionis, et est velle quod divina voluntas nostroc conformetur, et non quod nostra divina'. El illud l'.vangelii : Petite et aetipietil, non est dictum a C.hristo pro animabus internis, quac nolunt habere voluntatem : imo hujusmodi anima ; eo perveniunt ut non possint a Deo rem aliquam petere.

15. Sicut non débet a Deo

rem aliquam petere, ita nec illi ob rem aliquam grattas

6. La voie intérieure est celle où on ne connaît ni lumière, ni amour, ni résignation ; il ne faut pas même connaître Dieu. Et c’est ainsi que tout va bien.

7. L'âme ne doit penser ni â la récompense, ni à la punition, ni au paradis, ni à l’enfer, ni à la mort, ni à l'éternité.

8. Elle ne doit pas désirer savoir si elle marche comme Dieu le veut, ni si elle demeure en conformité avec la volonté divine ou non. Inutile aussi qu’elle veuille connaître son état ni son propre néant, mais elle doit rester comme un corps sans vie.

'.). L'âme ne doit se souvenir ni d’elle-même, ni de Dieu, ni d’aucune chose. Dans la voie intérieure, toute réflexion est nuisible, même celle que l’on fait sur ses actions humaines et sur ses propres défauts.

10. Si par ses propres défauts elle scandalise les autres, il n’est pas nécessaire qu’elle y fasse attention, pourvu qu’elle n’ait pas la volonté de scandaliser. De ne pouvoir réfléchir sur ses propres défauts est une grâce de Dieu.

11. Dans les doutes qui surviennent si l’on est dans la bonne voie ou non, il n’est pas besoin de réfléchir [pour se le demander].

12. Celui qui a donné son libre arbitre à Dieu, ne doit plus se soucier de rien ni de l’enfer, ni du paradis. Il ne doit avoir aucun désir de sa propre perfection, ni des vertus, ni de sa sanctification personnelle, ni de son propre salut, dont il ne doit pas garder l’espérance.

13. Après avoir remis à Dieu notre libre arbitre, il faut aussi lui abandonner la pensée et le soin de tout ce qui nous concerne et lui laisser faire en nous, sans notre concours, sa divine volonté.

14. A celui qui s’est abandonné à la volonté divine, il ne convient pas de faire à Dieu une demande quelconque, car toute demande est une imperfection puisqu’elle est un acte de propre volonté et de propre choix ; demander, c’est vouloir que la divine volonté se conforme â la nôtre, et non la nôtre à elle. Aussi bien, cette parole de l’Evangile : Demandez et vous recevrez, n’a pas été dite par le Christ pour les âmes intérieures qui ne veulent pas avoir de volonté. Bien plus, ces âmes parviennent a un état ou elles ne peuvent plus lien demander à Dieu.

1 "'. I)e même qu’on ne doit adresser à Dieu aucune demande, on ne doit non