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ROSAIRE. CONFRERIES PRIMITIVES


Rosarius subordonnait ces douleurs aux joies de NotreDame, aux mystères joyeux que contenaient ensuite, par-delà ses mystères douloureux, les joies triomphales, les mystères glorieux. Voir Gorce, Les dévotions joyeuses et douloureuses de saint Vincent Ferrier, dans La vie et les arts liturgiques, 1926. Par la suite, la dévotion des « douleurs » s’est scindée en deux. D’un côté l’on eut les « chemins de croix-montées du Calvaire », où, pour chaque station, on ne multiplia guère les Ave Maria, tandis qu’on multipliait les stations. D’un autre côté on eut les mystères douloureux inclus dans le rosaire, où ils perdirent le nom de stations que saint Vincent Ferrier leur donnait encore et où ils restèrent peu nombreux pour des Ave multipliés.

V. Gais chevaliers, gai savoir, confréries. — Saint Dominique ne s’est pas borné à fonder son ordre dans la mystique de la piété mariale fleurie. On lui doit très probablement, dans cette même mystique du rosaire, la création d’une pieuse association appelée la milice de Jésus-Christ, et plus encore, avec la fondation de son tiers-ordre, la création des confréries de la sainte Vierge (b^atx Marias virginis) qui sont identiquement les plus anciennes confréiies du rosaire. A vrai dire, il n’y eut de la part de Dominique lui-même qu’une seule institution : celle de ce qu’on appelait, faisant allusion à leur mystique mariale fleurie : les gais chevaliers ou frères joyeux ou chevaliers de NotreDame. Ils ont été étudiés par le P. D. Federici dans son : Isloria de' Cavalieri gaudenli, 2 vol., Venise, 1787, in-4°.

Cette institution s’explique à l’origine par l’hérésie albigeoise du midi de la France et du nord de l’Italie. Elle avait pour but de réagir contre la doctrine fausse qui faisait du monde l'œuvre du diable. La mystique fleurie mariale s’attachait à l’idée que le monde a été non seulement créé par Dieu, mais réconcilié avec lui par l’intermédiaire de la vierge Marie. M. Jean Guiraud, Histoire de l’inquisition au Moyen Age, t. i, Origines de l’inquisition dans le midi de la France, 1935, p. 399-400, expose comment, selon le chroniqueur Guillaume de Puylaurens, fut fondée à Toulouse, en l’an 1209, une grande fraternité chevaleresque, où dominait l’esprit de croisade, pacifique et joyeuse mais ferme, contre les albigeois. L'évêque Foulques en était l’inspirateur. Mais Dominique en fut l'âme. On connaît les noms des premiers bâtonniers de cette confrérie. Le premier grand-maître en fut Simon de Montfort. Les confrères avaient droit à l’habit blanc, mais ils n’eurent jamais le scapulaire des frères prêcheurs. Ils réussirent à équiper dans le Languedoc, une armée de 5 000 hommes. Transportant dans l’Italie du Nord, avant 1221, sa croisade contre les albigeois, saint Dominique y établit très fortement ses gais chevaliers, auxquels on donnait déjà les noms de milice de Jésus-Christ et bientôt de tiers-ordre de la pénitence de saint Dominique. Cafîarini, cité par Mortier, Histoire des maîtres généraux de l’ordre des frères prêcheurs, t. i, p. 242 sq.

En France les gais chevalier^, avant de devenumembres de simples confréries de piété, furent quelques temps encore des guerriers et des croisés. Louis VIII le Lion, roi de France de 1223 à 1226, aurait été engagé parmi eux. L’université de Toulouse, fondée en 1229, reste dans leur ambiance et tous, maîtres et étudiants, doivent assister en corps chaque dimanche à la messe fleurie de la sainte Vierge dans l'église des dominicains. Mais, après le temps des croisades, il y eut surtout pour la gaie mystique qu’on appelait le gai savoir, le temps des poésies. Au début du xive siècle, s'établit à Toulouse, un « puis » d’amour, une académie à la fois profane et religieuse qui atteignit à la célébrité. Ce fut l’académie des jeux floraux. Or, ses troubadours, au moins à l’origine, furent troubadours du gai savoir et, à leur manière, chevaliers de la Vierge. Ce sont les

fleurs de la Vierge, qu’on distribuait en récompense de leurs poèmes religieux. Ainsi Clémence Isaure a été à l’origine, la bienheureuse vierge Clémente et la principale fleur qu’elle distribuait était la rosa. Voici quelques exemples des invocations que les candidats lui adressaient : « Les genoux fléchis et la tête inclinée, à vous je me recommande, reine plaisante… Fleur des fleurs, rose très fleurie, très douce fleur réconfort de tout fidèle, prie ton Fils qui pour nous souffrit mort… Très douce fleur où tout bien fleurit… Rose qui vaut par dessus tout… vous êtes la joie assurée… » Jeanroy, Les joies du gai savoir (1324-1484), 1914, p. 46, 49, 93, 95, 96, 109, 114, 165, 222, 225, 237, etc.

En Italie, comme en France et comme par toute la chrétienté, aux gais chevaliers succédèrent un peu partout, avec le tiers-ordre dominicain, des confréries de la sainte Vierge, c’est-à-dire du rosaire. Franciscains et dominicains s’y employaient. On possède les règles de ces confréries. Voir P. Mandonnet, Les règles et le gouvernement de l’Ordo de Penitenlia au xme siècle. Paris, 1902. A chaque heure canoniale les confrères, comme les frères convers dominicains, disaient sept Pater et sept Ave. Un texte d’un manuscrit de Padoue en dialecte vénitien explique comment ces sept Pater et ces sept Ave rejoignent le gai savoir des joies de Notre-Dame dans la mystique de la pénitence joyeuse (édité par Mone, Lateinische Hymnen, t. n ; cf. Gorce, Le rosaire et ses antécédents historiques, p. 12-1 3). Chaque Ave se méditait avec une des joies de Notre-Dame, annonciation, nativité, visite des mages, résurrection, ascension, pentecôte, assomption. On possède le texte de la prière capitulaire que récitaient les confrères lorsqu’ils se réunissaient deux fois par mois. C’est un long Salut Notre-Dame de rosaire primitif, édit. Federici, t. ii, p. 39-41 : Ave Stella matulina, peccalorum medicina… Ave regina cœlorum… O Maria jlos virginum, velut rosa vel lilium, funde preces ad (Uium… (Utanie^des saints)… Ave (annonciation)… Ave (naissance de Jésus) … Ave (présentation au Temple)… Ave (crucifiement)… Ave (Jésus mis en terre, puis ressuscité)… Ave (ascension et assomption)… Ave (couronnement dans le ciel)… Laudo… Laudo… Pcr le mundus reslauratus est… Tu exultalio lotius mundi… VI serviant tibi angeli… Le sceau d’un grand maître de gais chevaliers représente d’un côté un groupe de frères agenouillés qui saluent Notre-Dame et de l’autre côté la Vierge avec cette devise : subluum præsidium Dei Genitrix Virgo confugimus gaudentes. Divers autres sceaux du xme et du xive siècle représentent également des frères joyeux dans l’exercice du salut Notre-Dame, faisant la génuflexion devant la Vierge tenant l’enfant Jésus dans ses bras. Federici, t. i, p. 298 ; t.'n, p. 39. Sainte Catherine de Sienne qui a illustré le tiers-ordre de la pénitence définit, dans un chapitre de son Dialogue, la religion de saint Dominique comme « toute joyeuse ».

Les confréries les plus pieuses du « gai savoir », confréries Beatse Mari.T virginis étaient ainsi identiquement des confréries du rosaire en train de se parfaire. Elles ont été indulgenciées ou organisées par Urbain IV en 1261 et par Jean XXII (1316-1334), comme le rappelle la bulle Inefjabilis du 30 janvier 1586. Il existait une de ces confréries à Fanjeaux au xme siècle, une autre à Toulouse. Elles se répandaient par toute la chrétienté. Elles étaient surtout confréries de la bonne mort, en vertu d’une croyance selon laquelle tous ceux qui ont souvent « salué Notre-Dame » seront salués par elle dès leur mort, à la porte du paradis. C’est l'époque où à Y Ave Maria de l’ang’e on se mit à ajouter les paroles Sancla Maria Mater Dei. ora pro nobis peccaloribus nunc et in hora nwrtis noslrse, amen. C’est ce que l’auteur du Rosarius dit d’une manière plus poétique : « Ave Sainte Marie — Resplendissante rose — De tout le mont la flour — Virginité enclose. — Ave la déité —