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290’ROSAIRE. EVOLUTION HISTORIQUE

2908 « Maria par est si douz moz — Que lorsque la langue le touche — Le cuer, la langue et la bouche — Suscier le doit, par saint Christofle — Ausi com le glou de girofle. » L’instrument à compter et à méditer, si l’on peut dire, les Ave, existait ; et bien entendu il s’appelait gaudia : les joies. Voir Du Cange, Glossarium médise et infirme latiriilatis, au mot Gaudium.

Il n’y avait donc pas la moindre difficulté à ce que les nouveaux ordres mendiants, dominicains et franciscains se fissent les champions et les propagateurs de cette piété joyeuse fleurie, en marche vers le rosaire, d’autant plus que saint Dominique avait conçu son ordre comme entièrement au service de la Vierge. Ses religieux qui ne font pas explicitement vœu de chasteté et de pauvreté font explicitement vœu d’obéissance à la sainte Vierge. « Notre Dame », c’était un vocable féodal. La Vierge est suzeraine. Elle est spécialement suzeraine de l’ordre de Saint-Dominique avec les obligations des joies et des saluts Notre-Dame. Le Rosarias y insiste : « Bon fait ceste Dame servir — A la louer soi asservir — Tel servitude est franchise — Servitude de bonne guise… La bénigne Marie — Qui est de l’ordre la baillie — Mes par dessus mestre et mestresse — C’est icelle que l’ordre adresse — Et defïend et détiendra — Qui l’ordre grieve li mescherra… » Fol. 10 i ; 14. Par ailleurs, un texte qui paraît bien authentique (publié par Benoist, Suite de l’histoire des albigeois, 1683, ]). 85) raconte comment, pendant la bataille de Muret, saint Dominique priait, multipliant les roses de ses chapelets, qui étaient à la fois les joies de la Vierge et sa prédication. Très anciennes aussi sont les traditions et légendes concernant la mission mystique confiée par la Vierge à Dominique dans la forêt de Bouconne, près de Toulouse, ou concernant cette prédication du rosaire ordonnée par l’apparition miraculeuse et réalisée par Dominique, sans délai, dans la cathédrale de Toulouse. Mais les miracles du rosaire, dans le manuscrit Rosarius, sont les miracles mariaux des hagiographes de saint Dominique au xme siècle, notamment la vision miraculeuse qu’eut saint Dominique et où la Vierge lui apparut avec tous ses frères sous son manteau. Le plus ancien tableau de confrérie du rosaire, celui de Cologne au xve siècle, avant Alain de La Boche, ne représente pas la Vierge dictant le rosaire à saint Dominique, mais la Vierge apparaissant à Dominique avec, sous son manteau, son ordre institué pour reconvertir le monde au Christ et calmer le légitime courroux du Bédempteur. En effet, à une époque où le rosaire ne s’était pas dissocié de l’ensemble de la piété mariale, c’était sous la forme générale de dévotion à la Vierge que les dominicains prêchaient cette dévotion et se réclamaient d’une mission spéciale en ce sens, celle qui convenait à leur caractère de « prêcheurs ».

Cette piété mariale n’en était pas moins déjà, par un de ses symbolismes, la dévotion fleurie du rosaire, ou plutôt des diverses pratiques qu’on appelait plus ou moins rosaires ou joies Notre-Dame. Le symbolisme fleuri y était reçu, assez fréquent et cependant pas répandu avec une abondance extraordinaire. Pourtant la dévotion mariale, même sous son aspect fleuri, se retrouve parfaitement dans toutes les générations dominicaines issues de saint Dominique. Bornée de Livia, Jacques de Voragine, Galvagno délia Flamma, Bernard Guy, saint Vincent Ferrier sont, avant Alain de La Boche, autant d’échos fidèles de ce grand hymne mariai poétique et chaleureux que constituent, à leur commune origine, l’ordre des frères prêcheurs et la piété fleurie issue de saint Bernard. Cette piété n’était pas encore fixée à une seule pratique de dévotion. Les uns multipliaient les Ave Maria par centaines, d autres méditaient avec des Ave Maria, non pas sur les événements de l’Évangile, mais sur diverses parties du corps de la Vierge. D’autres préféraient la saluta tion : Ave Maris Stella… C’étaient toujours saluts Notre-Dame, joies, roses. Voir Vitæ jratrum, édit. Beichert, p. 41-43. Cette dévotion fleurie n’avait rien d’exclusivement dominicain. Les franciscains avaient aussi les allégresses de Marie. Il suffit de parcourir les Lateinische Ilymnen de Mone ou le Repertorium lujmnologicum d’Ulysse Chevalier, pour se convaincre qu’il s’agissait d’un aspect notoire de toute la dévotion mariale de l’époque et, plus simplement encore, de cette dévotion mariale elle-même. Au début du xv 6 siècle, Ulrich Stocklin von Bottach, abbé de Wessobrunn, multiplie les rosaria ou salutatoria ou gaudia. Delicianim es — Ager quem dominus — Condens circumdedit — Virlulum floribus — Quorum fragranlia — Tcnlatos eminus — El longe positos — Atlrahit cominus. .. — ]{osa pulcherima… Drewes, Anal, hymnica, fasc. G, p. 31 sq. On hésitait à appliquer cent cinquante scènes de l’Évangile au cent cinquante Ave du Psautier Notre-Dame. C’était trop compliqué. Il se pourrait que ce soit le chartreux Dominique de Prusse qui ait eu l’idée de se borner à quinze mystères et d’attribuer dix Ave à chacun d’eux, la pratique d’inclure des Notre Père à chaque dizaine d’Ave apparaissant beaucoup plus tôt.

A la fin du xve siècle, Alain de La Boche donna à la dévotion du rosaire un élan nouveau. Il n’y changea personnellement rien. Si diverses pratiques annexes du rosaire ont été abandonnées, c’est seulement au xvie siècle, du fait qu’une formule officielle du rosaire avait été particulièrement indiquée et seule enrichie d’indulgences. De la même manière, à la même époque, un seul chemin de la croix prévalut (pour les mêmes motifs), les autres formes de cette dévotion étant laissées de côté. Mais, par un <. épisode d’évolution » qui mérite d’être signalé, un petit chemin de croix dominicain s’est trouvé inclus pour toujours dans la form ? définitive du rosaire : il y a là de quoi éclairer tout un aspect de la théologie du rosaire.

IV. Les joies et les douleurs : rosaires et chemins de la choix. — L’esprit du rosaire étant à son origine une joie religieuse, comment se fait-il que les mystères douloureux s’y trouvent maintenant inclus à la manière d’un petit chemin de croix ?

A cette question il est loisible ; de répondre en montrant comment l’esprit théologique du rosaire s’adapta aux tendances du sentiment religieux à la fin du Moyen Age. De lui-même, déjà, le rosaire subordonnait dès l’origine les « douleurs » religieuses, aux joies de la Vierge. C’est ainsi que dans les joies d’Etienne de Sallai on retrouve celle-ci : « La croix dans la joie rachète le monde. » Et le Rosarius faisait porter par la joie de Y Ave Maria « Les douleurs cinq qu’eust Jehsuschrist

— Quant à la croix fut pour nous mis ». Fol. 42. Un document contemporain du Rosarius, le Spéculum hvancm.se salvalionis, d’origine également dominicaine, allie à sept joies, sept tristesses. Voir dom Wilmart, Les méditations d’Etienne de Sallai, dans Revue d’ascétique cl de mystique, octobre 1929, p. 415. A cette époque troublée par le Grand Schisme, la guerre de Cent ans, la grande peste, des craintes de la fin du monde, où le réalisme s’accentuant montrait les misères de la vie, même de la vie du Christ, la dévotion tourna quelque peu aux « tristesses ». On imagina les vierges de pitié, les danses macabres. Cf. J. B., La compassion aux douleurs de Notre-Dame, dans Bulletin des œuvres des missionnaires de la Salelle, 1929, p. 97-102, 197-198. On vit apparaître les dévotions aux « douleurs à tableaux », origine du chemin de la croix. Cf. Thurston, Étude historique sur le chemin de la croix, trad. Boudinhon, p. 101.

Or, saint Vincent Ferrier, propagateur de la piété mariale fleurie, liait « sept douleurs à tableaux » à la récitation de Y Ave Maria et comme le demandait le