un signe de joie, joie prise aux choses de ce monde, ou bien joie mystique prise au culte de Marie, comme dans un échange de charité théologale opéré avec la Vierge.
Guillaume de Lorris, au Roman de la rose, adopte pour la joie des choses de ce monde non seulement le symbolisme de la rose, mais celui du chapelet. Il décrit, au jardin d’Oiseuse, la danse du Plaisir couronné de roses avec Liesse, son amie, semblable à la rose nouvelle, v. 829 : « Son amie lui fit un chapel - — De roses qui moult lui sont belles — Savez-vous quelle est cet te amie ? — C’est Liesse qui ne le hait mie — L’enjouée, la très bien chantant… — Plaisir la tient par le doigt — Pour caracoler lui et elle — Aussi bien convenait-elle
— S’il était beau, elle était belle. — Elle sembloit rose nouvelle. » Le poète ne se dissimule pas que l’amour humain, bien que couronné du chapelet de roses de Liesse, n’a là qu’une couronne éphémère. Des sentiments volages viennent vite abattre ce diadème fleuri, v. 895 : « Il a au chef un chapelet — De roses ; mais rossignolets — Qui entour son chef voletoient — Les feuilles toujours abattoient. »
A l’opposé de ces chapelets profanes, la vierge Marie apporte aux hommes une joie que rien ne vient abattre. Vn manuscrit du xve siècle (bibl. de Mayence, n. 570, fol. 89 r°) en détaille ainsi le motif : « Lorsque la belle rose Marie commença de fleurir, l’hiver de nos tribulations disparut et l'été des joies éternelles commença de briller, et avec lui nous fut rendue la verdure du Paradis des délices. » Dès le xii c siècle, maître Sigeher chantait à la Vierge : « O couronne de roses, assemblage de joies, tes louanges donnent des émotions sublimes. » Bartsch, Deutsche Niederdichler des xii. -xiv. Jalirhunderls, p. 212. A cette appellation de chapelet vient déjà se joindre celle de rosaire. La Vierge est dite en effet jardin de roses. Un poème lui fait dire : « On m’appelle justement le jardin de roses. Venez tous à moi : je veux, je puis, je dois vous exaucer. » Haupt et Holïrnann, All-deutsche Bldtler, t. ii, p. 300. Or, jardin de roses, en latin médiéval, se dit rosarium, comme le note Du Gange. D’ailleurs le mot rosarium, appliqué à la dévotion consistant à dire des Ave Maria par groupes de cinquante, cent ou cent cinquante, est employé concurremment avec le mot de psautier de Marie des le xme siècle dans le Livre des aes (abeilles), De apibus, du dominicain Thomas de Cantimpré.
Un long poème mariai dominicain de la première moitié du xive siècle, le Rosarius, sur lequel on aura à revenir plusieurs fois au cours du présent article, précise encore ce symbolisme fleuri de la piété mariale, en relation avec une croyance de la pharmacopée médiévale. On utilisait les roses en médecine, particulièrement contre les maux de dents. On croyait même qu’un chapelet de roses raffermit les dents branlantes, Rosarius, ms. 12 483, fonds français de la Bibliothèque nationale, fol. 32 : « Rosier est arbre espineux. — Petit est, mes molt vertueux… — Se cervel est deconforté
— Par rose est réconforté — Pour ce la vertueuse rose — Chascun met en son chief et pose — Met chapiau de rose en ton chief — La douleur oste et le meschief — La dent qui loche et qui se muet — La raferme et à point met. » Voici comment l’auteur du Rosarius effectue l’assimilation de la Vierge à sa rose médicinale : « Marie quant plus est dépriée — Tant plus est la vertu monstrée Maises humeurs se sont pechié — Que tu en loi alechie — Mes Marie les boule hors — Premier del aine et puis du cors — De double maladie cl cure — De cuer, de cors oste l’ordure — Se nous sommes desconforté — Par lui sommes resconforté… — Marie en toute affliction — Nous est moll adjutorium
— Met ceste rose en ton chief — Lie l’oslera tout meschief… »
En signe des roses spirituelles que figurait la vierge Marie, on allait jusqu'à distribuer des roses bénites. La formule de bénédiction fait allusion aux vertus médicinales de la rose. Au xviie siècle, cette bénédiction liturgique des roses a été remise en honneur en Italie, à la suite de miracles obtenus dans les années 1573, 1574 et 1575. Voir Gorce, La bénédiction des roses dans ta liturgie dominicaine, dans Revue du Rosaire, 1926, p. 294 sq.
II. Saluts, miracles, mystères, mariologie populaire. — La joie paradisiaque de la rédemption a été ressentie la première fois par la vierge Marie lorsque l’archange Gabriel est venu lui dire : « Je vous salue, Marie, pleine de grâce… » Or, c’est cette joie que nous ressentons dans la charité chrétienne et Marie nous y est toujours intermédiaire. D’où le sentiment affectueux qui, en esprit de charité, veut remercier Marie. Le Moyen Age a imaginé de lui redire, en prenant la place de l’archange Gabriel : « Je vous salue Marie pleine de grâce… » C’est le sens de toute la piété médiévale des saluts Notre-Dame. On avait la croyance qu'à chaque « Je vous salue… », la Vierge ressentait comme un nouvel écho de la joie de l’Annonciation. C’est ce que, dans un de ses miracles, Gautier de Coinci (début du xme siècle), fait dire à la Vierge ellc-mèim, édit. Poquet, col. 484 : « Quar bien sachiez, ma douce suer — Qui me salue bien à trait — Tel bien et tel joie me fait — Et tel douceur du cuer m’en touche — N’e pourroit dire humaine bouche — Suer, cist saluz m’est si très biaux — Que touz jors m’est frès et nouviaus — Qui de bon cuer me le prononce — Autressi grand joie m’anonce — Com fist Gabriel, li archangres — Quant me dis que li Hoys des angres — Si amberroit en mes sainz flans — Fres et nouviaux m’est en touz tans — Quant vient à Dominus Tecum — Tant m’est sades et de douz sum — Qu’il m’est avis qu’en mon saint ventre — Saint Esprit de rechief entre — Au cuer en ai si très grand joie — Qu’il m’est avis qu’enceinte soie
— Si corne je fui quant mon douz Père — Daigna de moi faire sa mère - Si grand leesce au cuer me touche
— Que ne saurait raconter bouche. » Le symbolisme de la rose s’adaptait parfaitement à cette pratique du salul Notre-Dame. En effet la Vierge y était comparée tantôt à la rose de Jéricho, petite fleur fanée qui s'épanouit à nouveau dans l’eau ou tantôt simplement à la rose nouvelle : « Tu es la rose nouvelle — Doncques feuille ne perdis — Et en tous tems reverdis — Quant tu ois la nouvelle. » Rosarius, fol. 59.
Dans ces saluts Notre-Dame, ce qui importe le plus, c’est le développement de la charité et non pas la lettre de Y Ave Maria. La façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne. L’essentiel est de saluer la Vierge avec son cœur ; et la génuflexion que l’on prêtait à l’ange Gabriel dans la scène de l’Annonciation paraît même plus utile que la reproduction pure et simple dises paroles. Le Salve Rrgina vint même concurrencer la Salutation angélique. L’essentiel est de saluer la Vierge « De saluer Marie doncq — Ne jour ne nuit ne finons oneques — Soit par Salve soit par Ave — qu’ele nous garde tous a ve — qui senifie en l’escripture — Dampnacion i painne dure. » Rosarius, fol. 2. Réciter est bien, chanter est mieux, ou un Ave, ou un Ave « farci », c’est-à-dire glosé, ou une strophe, un refrain, une chanson : « Et si plait si bien à Marie — Quant nous disons Y Ave Marie — Je croit qu’encore miex li plairoil Qui de cuer fin li chanleroit — Ou ce ou une chançonnet le — Mais qu’elle fut honorablee nete — Ou du hl de quoi elle fut mère — C’est de l’Agneau le debon nère… » l’n cistercien qui proposait, par contre, un chapelet, crinale ou sertum, de Heurs de roses mystiques, roste spiritales, pour saluer Notre-Dame, cinquante strophes de sa poésie, donne chacune des strophes comme équivalente à un Ave Maria : Lrinale brute