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QUIÉTISME. DÉBUTS UU SYSTÈME


18, 19. Sans l’oraison, telle que la comprennent les alumbrados, personne ne peut se sauver. Prop. 7. Ces principes sont en désaccord avec l’enseignement des auteurs spirituels orthodoxes sur l’utilité de l’oraison mentale. Ce qui suit l’est bien davantage.

L’oraison des alumbrados consiste à se recueillir en présence de Dieu, sans discourir, ni méditer, ni réfléchir à la passion du Christ ou à sa très sainte humanité. Prop. 17. On peut arriver à un tel degré de perfection que la grâce submerge les puissances de l'âme si bien que l'âme ne puisse plus ni déchoir ni progresser. Prop. 36. Une personne de la secte des alumbrados aurait été confirmée en grâce trois fois par Dieu : la première fois au sujet des imperfections naturelles, la seconde au sujet des péchés mortels, et la troisième au sujet des péchés véniels. Dans un état si parfait, il ne lui restait rien de la chair déchue d’Adam. Prop. 37. D’ailleurs, dans l'état des parfaits et dans la vie unitive avec Dieu par l’amour, si Dieu déclare au pariait qu’il est bon, celui-ci sera substantiellement bon, et dans ce cas son âme ne devra plus du tout agir. Prop. 43. Dans leurs extases et leurs ravissements, les alumbrados prétendaient voir l’essence divine et la sainte Trinité comme les voient les élus dans la gloire. Cette vision pouvait se reproduire à volonté. Prop. 9, 58-62. Aussi n’avait-on pas besoin de révélation spéciale pour se savoir en grâce avec Dieu. Prop. 31.

Le quiétisme le plus radical découlait de ces erreurs. Dans l'état d’union avec Dieu on ne fait pas beaucoup d’actes de volonté. Prop. 42. Les parfaits n’ont pas besoin de faire des actes de vertu. Ils ont en eux la grâce et le Saint-Esprit qui les guide immédiatement lui-même. Prop. 8, 10. Il n’y a qu’une seule chose à faire : suivre le mouvement et l’inspiration intérieure de cet Esprit pour agir ou ne pas agir. Prop. 11. L'âme unie à Dieu est oisive. Elle ne doit rien faire, ni vouloir ni ne pas vouloir. Prop. 43.

Les pratiques immorales des confesseurs de la secte avec leurs pénitentes, qui rendirent les alumbrados si odieux, étaient considérées par eux comme des manifestations de l’union divine ou des moyens de l’opérer ; ces pratiques, disaient-ils, communiquaient l’Esprit-Saint et l’amour divin aux âmes. Prop. 46-55 ; cf. prop. 32, 76. Michel Molinos a trouvé sans doute dans ce faux mysticisme immoral plusieurs de ses sataniques inspirations.

Les alumbrados, comme les luthériens, enseignaient que « l’intercession des saints est vaine », et la vénération de leurs images inutile. Prop. 38.

M. Henri Bremond, toujours préoccupé de minimiser le quiétisme, a singulièrement réduit l’importance de l’hérésie des alumbrados. « Si je me suis étendu si longtemps, dit-il, sur l'édit qui les [les illuminés de Séville | stigmatise, c’est qu’une fois traduite et répandue de ce côte-ci des Pyrénées cette bizarre pièce, fumeuse, mais fulgurante, va présider, pour ainsi dire, à toute l’histoire de l’illuminisme, ou du quiétisme, ou du semi-quiétisme français, pendant tout le xviie siècle… La notion abstraite de quiétisme va se réaliser en un mannequin puant, barbouillé de soufre, épouvantait aux gestes obscènes, que les furieux tireront de sa boîte quand ils voudront perdre un homme d'Église ou une dévote, et que les docteurs eux-mêmes inviteront gravement à leurs discussions sur l' « abandon » ou sur l’oraison de simple regard. » Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. xi, Paris, 1933, p. 70. Tel n’est pas sans doute le jugement de l’histoire.

Outre les ouvrages cités, on consultera sur les alumbrados : Menandez Pelayo, Historia de los helerndoxos espailoles, 2' éd., t. v, p. 205-248 ; A. Arbiol, Desen gunos mystieos, t. v, Barcelone, 1758, p. 533 sq., où se trouve une liste de soixante propositions condamnées ; Malvasia, Calalogus

omnium hivresum, Rome, 1661, p. 26'.), donne cinquante propositions ; Terzago, Tneologia historico-mystica, Venise, 1764, rapporte trente-cinq propositions ; Lea, Hislorg of Ihe inquisition of Spain, t. iv, NewYork, 1007, p. 21-25 ; Constant, art. Alumbrados, dans Dict. d’hist. et de gèogr. eccl., t. ii, 1014, col. 840 sq. ; Colun^a, Los alumbrados espanoles, Salamanque, 1010 ; Bernardino Llorca, Die spanische Inquisition und die Alumbrados, Berlin, 1-J34.

IV. L’hérésie quiétiste au xvir 3 siècle. Les précurseurs. Le préquiétisme. — Jusqu’ici nous avons trouvé le quiétisme à l'état sporadique, dispersé et mêlé avec d’autres erreurs. Au xvir siècle, il se présente sous la forme d’un système cohérent dont les diverses parties s’enchaînent étroitement.

Comme toutes les hérésies importantes et qui ont troublé l’Eglise, le quiétisme a été précédé d’un enseignement qui l’a préparé et en a rendu l'éclosion possible : enseignement spirituel assez répandu qui exagérait l’importance des états passifs dans la vie intérieure. On peut le considérer comme une sorle de préquiétisme. Plusieurs se sont étonnés et de ce mot et de la chose exprimée par lui. A ce sujet, on a même fait de l’esprit d’un goût douteux. Et pourtant l’histoire et la psychologie ne nous apprennent-elles pas qu’une hérésie est d’ordinaire précédée d’une période d’incubation pendant laquelle, consciemment ou non, le milieu favorable se prépare ? Une mentalité se crée, qui rend possible la naissance et la diffusion de l’hérésie. Il en a été ainsi de I’arianisme, du monophysisme et de toules les hérésies. La tâche de l’historien est précisément de mettre en relief cette mentalité qui prépare les voies à l’erreur ; sinon il laisse inexpliquée l’origine des doctrines hétérodoxes.

Il est d’autant plus facile de découvrir le préquiétisme que nous sommes aidés en cela par l'Église. Llle a proscrit, comme nous le verrons, postérieurement à la condamnation de Molinos (1687), bon nombre d’ouvrages parus avant celle-ci, comme contenant un enseignement spirituel dangereux, capable de favoriser le quiétisme. Elle nous laisse ainsi entendre que ces ouvrages ont pu contribuer à la diffusion de cette hérésie. A cela on a objecté que la condamnation de ces écrits s’explique par la très forte réaction qui suivit la condamnation de Molinos. Explication insuffisante I Réaction sans doute, mais motivée par la conviction de la nocivité des ouvrages prohibés. Quel catholique oserait affirmer que l'Église ait mis à l’Index complètement à tort, sans raison aucune, un si grand nombre d’ouvrages ? Que quelque livre non dangereux ait été censuré par le fait de la réaction antiquiétiste, c’est incontestable. Mais quel historien consciencieux voudrait déclarer que l’ensemble de ces livres condamnés ne présentait pas un réel danger pour l’orthodoxie de la piété catholique ? On est donc autorisé à croire que les auteurs de ces ouvrages prohibés ont frayé, volontairement ou non, le chemin au quiétisme.

Voici les principaux auteurs préquiétistes, ceux qui paraissent avoir exercé la plus grande, influence.

En Espagne, le vénérable Jean Falconi, religieux de l’ordre de Notre-Dame-de-Ia-Merci, qui mourut à Madrid en 1638. Ses Œuvres spirituelles furent publiées après sa mort, en 1662, à Valence, en Espagne. La traduction italienne de trois de ses écrits fut mise à l’Index le 1 er avril 1688 : V Alphabet pour apprendre à lire dans le Christ ; Lettre à un religieux sur l’oraison de pure foi et Lettre à une de ses filles spirituelles touchant le plus pur et le plus parfait esprit de l’oraison. Le Marseillais François Malaval, que nous allons rencontrer, et Mme Guyon ont beaucoup étudié les Œuvres spirituelles de Falconi.

En Italie, nous trouvons le fameux Brève compendio intorno alla perfezione crisliana d’une dame milanaise, Isabelle Christine Bellinzaga (1552-1624), qui a été en