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ROIS (LIVRES I ET II DES). ORIGINE
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La critique.

1. Documents. —  Les historiens

hébreux dont les œuvres nous sont parvenues emploient, en les reproduisant plus ou moins librement, des sources écrites. Le Livre des Paralipomènes, par la comparaison qu’il nous permet d'établir entre ses sources et leur mise en œuvre, nous renseigne abondamment sur la méthode suivie. Si pour les Livres de Samuel nous n’avons pas les mêmes indications relatives aux sources utilisées, ni le moyen d’apprécier leur mise en œuvre, nous pouvons du moins dégager d’un certain nombre d’observations le procédé de composition adopté par leur auteur.

Apparaissent en premier lieu des répétitions : ainsi trouvons-nous un double récit de l’institution de la royauté, I Reg., viii-ix, un double récit du rejet de Saiil par Samuel, I Reg., xm-xiv, une double explication du proverbe : « Saiil est-il aussi parmi les prophètes ? », I Reg., x, 12 et xix, 24, une double présentation de David à Saiil, I Reg., xvi-xviii, une double relation des circonstances dans lesquelles Saiil trouva la mort, I Reg., xxxi et II Reg., i, 2-12. A ces quelques répétitions d’autres sont encore parfois ajoutées ; on observe que deux fois il est rapporté que David s’enfuit de la cour de Saiil, qu'à deux reprises la vie de Saiil est entre les mains de David, que ce dernier trouve deux fois un refuge à la cour du roi Achis ; dans ces quelques exemples la double relation d’un même événement apparaît moins clairement, car certains épisodes ont pu se reproduire à deux reprises, surtout, comme c’est le cas pour les exemples cités, quand leurs circonstances sont bien différentes.

Non moins significatives au point de vue du mode de composition sont les divergences, les contradictions disent certains critiques, qu’on peut relever au cours du livre. Samuel, par exemple, est tantôt le chef théocratique de son peuple, semblable à Moïse, administrant, gouvernant en qualité de représentant de Jahvé ; tout le peuple répond à son appel, il commande, il châtie avec une autorité qui dépasse celle d’un roi ; tantôt au contraire, il n’est plus que le « voyant » d’une petite bourgade dont les lumières sont mises à contribution pour la découverte d’objets perdus, parfaitement inconnu d’ailleurs à Saiil, qui pourtant a sa résidence toute proche. L’institution de la royauté se présente ici comme voulue de Dieu et favorablement accueillie par Samuel ; c’est par bienveillance que Jahvé, touché de l’affliction de son peuple, lui donne un roi avec l’assurance qu’il délivrera son peuple du joug des Philistins ; là, au contraire, le désir du peuple d’avoir à sa tête un roi est jugé comme un acte de révolte contre Dieu, c’est une véritable apostasie, en tous points semblable aux rébellions de jadis, une marque de défiance envers la providence divine, mise en échec par les Philistins. I Reg., viii-ix. Plus accentuées encore apparaissent les divergences des différents portraits de David : au c. xvii, c’est un jeune berger qui se rend au camp de l’armée, non pour combattre, mais pour saluer ses frères et prendre de leurs nouvelles ; sa lutte contre Goliath attire l’attention de Saiil qui veut connaître le héros et le retenir près de lui, xvii, 48… et xviii, 2. Tout autre est le David du chapitre précédent, xvi, 14-23 ; c’est un homme de guerre qui vit à la cour de Saiil comme écuyer et joueur de cithare. De telles divergences ne font d’ailleurs que corroborer la dualité des récits ou l’existence de doublets déjà constatée.

Les particularités du style, soit dans le choix des expressions, soit dans les procédés de rédaction, qui vont d’un récit s’attardant aux moindres détails à l’analyse sèche et rapide, viennent encore confirmer la distinction de maints passages, déjà obtenue par les répétitions et les divergences de points de vue, et permettront de les grouper en plusieurs documents.

La conclusion qui se dégage de cet ensemble d’obser vations c’est que les deux premiers Livres des Rois ont été composés à l’aide de documents dont le rédacteur a combiné les éléments, tantôt pour en faire un récit ordonné et suivi, tantôt pour les grouper par simple juxtaposition, de manière à les compléter l’un par l’autre. Cette conclusion se trouve confirmée par le fait que le rédacteur lui-même nous avertit qu’il a utilisé le Livre du Juste dont il a tiré les élégies de David sur la mort de Saiil et de Jonathas. II Reg., i, 18. Ne peut-on supposer de même que le cantique d’Anne et l'élégie sur la mort d’Abner proviennent également de quelque recueil poétique, peut-être aussi le psaume xvii (xviii de l’hébreu). La comparaison enfin avec les passages parallèles du Livre des Paralipomènes incline à penser que les rédacteurs de Samuel et des Chroniques ont tous deux puisé à des sources communes. Il est non moins probable que des documents officiels étaient à la disposition de ces rédacteurs, telles des listes des principaux fonctionnaires de la cour ou de l’armée. II Reg., viii, 16-18 ; xxi, 15-22 ; xxiii, 8-39. L’existence de scribes, de chroniqueurs, d’archivistes justifie cette hypothèse.

2. Rédaction.

De ces documents peut-on reconstituer la trame à travers l'œuvre du rédacteur ? Beaucoup de critiques s’y sont essayés avec des résultats assez peu concordants.

a) La critique indépendante. — Eichhorn, qui le premier s’est engagé dans cette voie, voyait dans les passages parallèles des Paralipomènes et de Samuel des emprunts à une ancienne et courte biographie de David, que chacun des auteurs des deux ouvrages aurait amplifiée à sa manière, Einleitung in das Aile Testament, 2e édit., 1790, p. 450. Thenius souligne davantage le caractère de compilation : les histoires d’Héli, de Samuel, de Saiil, de David proviennent d’autant de sources différentes, comme le prouvent la différence de ton dans chacune d’elles et les formules de conclusion qui en marquent la fin, Die Bûcher Samuels, 2e édit., 1864.

Avec Wellhausen, Die Composition des Hexaleuchs und der hisiorischen Bûcher des A. T., 3e édit., 1899, p. 238-266, l'étude des origines des Livres de Samuel s'élargit ; les mêmes documents et les mêmes procèdes de rédaction se retrouvent dans la série : Juges, Samuel, Rois ; trois parties principales sont à distinguer dans Samuel : 1° I Reg., i-xiv, groupement historique plutôt que littéraire ; 2° I Reg., xiv, 52 II Reg., viii, 18 ; 3° II Reg., ix-xx, continuée jusqu'à III Reg., Il ; à ces éléments essentiels bien des additions rédactionnelles ou des modifications postérieures n’ont pas manqué, entre autres le supplément de II Reg., xxi-xxiv.

C’est surtout Budde, Die Bûcher Richtcr und Samuel, 1890, qui a montré dans le Livre de Samuel les mêmes documents que ceux qui ont servi à la composition du Livre des Juges et reconnu les mêmes procédés rédactionnels, et a discerné une double source dont les traces sont faciles à suivre principalement dans les doubles récits de l’appel de Saiil à la royauté et de l’entrée en scène de David. Ces deux sources suffisent pour rendre compte des particularités de la rédaction et ne sont autre chose que la continuation des écrits élohiste et jéhoviste des Juges et du Pentateuque. Un premier rédacteur a réuni ces deux sources en un seul tout, tandis qu’une autre rédaction se ressentait tantôt de l’influence deutéronomiste, tantôt de l’influence sacerdotale. Le commentaire publié en 1902 par le menuauteur, de même que son édition des Livres de Samuel dans la Bible polychrome de Haupt, 1894, n’ont fait que reprendre cette explication en la mettant au point.

C’est à peu de chose près l’opinion à laquelle se rangent Cornill et Gautier dans leurs introductions à l’Ancien Testament. « Le Livre de Samuel, écrit ce dernier, est tiré de deux sources qui présentent une