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    1. QUIÉTISME##


QUIÉTISME. MAITRE ECKART

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de volonté…, ils sont un avec Dieu et réduits à néant quant à eux-mêmes. La conséquence c’est qu’ils peuvent consentir à tout désir de la nature inférieure… Dès lois, si la nature est inclinée vers ce qui lui donne satisfaction et ss pour lui risister, 1 sïsiveti de 1 £.sprit doit en être tant soit peu distraite ou entravée, ils obéissent aux instincts de la nature, afin que leur oisiveté d’esprit demeure sans obstacle. » L’ornement des noces spirituelles, t. II, c. ixxvii, ibid., t. iii, p. 2(i(t-2(il.

Ruysbroeck condamne ici le quiétisme des béghards hétérodoxes en même temps que celui des frères du libre esprit. Ce qu’il dit de l’affranchissement de l’âme quiétiste de tout exercice des vertus a été condamné par le concile de Vienne, en 1312, réprouvant la (i 1’proposition des béghards : Quod se in actibus exercere virtutum est hominis imperfecli et perjecta anima licential a se. tnrtutes. Denz.-Bannw., n. 4715 ; de Guibert, op. cit., n. 275, p. 155 ; cf. n. 273.

Les béghards.

Le panthéisme des béghards est

beaucoup plus mitigé que celui des frères du libre espiit. C’est surtout l’impcccabilité de l’homme parfait qui est mise en relief : > L’homme, dit-on, dans cette vie présente peut acquérir un tel degré de perfection qu’il devienne complètement impeccable et ne puisse plus croître en grâce ». Car, ajoute-t-on, « si l’on pouvait progresser indéfiniment dans la sainteté, on (inirait par être plus parfait que le Christ. » Prop. 1. Les béghards enseignaient encore que l’on peut être aussi parfait ici-bas qu’on le sera dans la vie bienheureuse du ciel. Et d’ailleurs, selon leur manière de voir, « tout être intellectuel est naturellement bien heureux en lui-même ; l’âme humaine n’a pas besoin de la lumière de gloire l’élevant â un ordre supérieur pour voir Lieu et jouir de lui béatitiquement. » Prop. 4, 5. On remarquera ici l’influence de l’erreur averroïsfe de l’unité de l’intellect.

L’n quiétisme absolu, comme celui des frères du libre esprit, était la conséquence de ces erreurs. L’homme qui est arrivé au degré voulu de perfection « et d’esprit de liberté « est affranchi de toute obéis sance. Les lois de l’Église ne sont plus pour lui. Prop. 3. Les œuvres sont inutiles, la lutte contre les passions ne se conçoit plus : « L’homme parfait, dit -on. ne doit ni jeûner ni prier, car alors ses sens sont si totalement soumis à son esprit et à sa raison qu’il peut accorder à son corps tout ce qui plaît. » Prop. 2. Se laisser aller aux tentations n’est plus pécher : l’n acte charnel [contre la chasteté |, lorsque la nature y incline, n’est pas un péché, surtout si celui qui le l’ait est tenté. > Prop. 7. Les » violences diaboliques >, dont parlera plus tard Molinos, s’inspireront de cette doctrine immorale des béghards.

Enfin, la contemplation, comme la comprenaient les béghards, ne pouvait avoir pour objet ni l’humanité du Christ, ni la passion, ni l’eucharistie. Y penser aurait été déchoir des hauteurs de cette contemplation qui ne s’attache qu’à l’essence divine. Aussi, les lié ghards ne s’apenouillaient-ils pas pour adorer le corps du Christ au moment de l’élévation. Prop. X. Nous retrouverons plus tard cette prétention de certains contemplatifs d’exclure de leurs oraisons et de propos délibéré l’humanité du Christ.

Mettre Eckart.

n naquit en Thuringe vers 1260.

Il entra, jeune encore, au couvent dominicain d’Erfurt. En 1300, il vint étudier à Paris et il y revint en 13Il pour y enseigner. Pendant quelque temps il prêcha à Strasbourg, où les béghards hétérodoxes étaient en grand nombre. Eckart fut accusé de n’avoir pas assez combattu leurs erreurs. En 1326, alors qu’il professait la théolorie à Cologne, l’archevêque de cette ville, Henri de Yirnebourg, le cita à son tribunal comme suspect d’hérésie. Eckart se défendit de son

mieux, puis en appela au pape. Il mourut l’année suivante, et, deux ans après, en 1329, le pape Jean XXII, par la bulle In agro dominico, du 27 mars, condamna vingt-huit propositions extraites de ses œuvres : dix-sept — les quinze premières et les deux dernières comme hérétiques, et les autres comme malsonnantes, téméraires et suspectes d’hérésie.

D’après les propositions condamnées, il s’opérerait, selon Eckart, une identification réelle, proprement dite, entre l’homme juste et Dieu : La proposition 10 est ainsi formulée : Nous sommes totalement transformés en Dieu et changés en lui de la même manière que dans le sacrement [de l’eucharistie] le pain est changé au corps du Christ ; je suis ainsi changé en lui parce qu’il me fait son être un et non seulement semblable ; par le Dieu vivant, il est vrai qu’il n’y a aucune distinction. » Cf. prop. 9. Jean Gerson († 1 129) trouvera injustifiée et téméraire cette comparaison de l’union mystique avec la transsubstantiation eucharistique. De theotoyia mustica spec.ulatwa, part. VIII, dans Ellies du Pin, Gersonii upera omnia, t. ni. Amers. 1706, p. 394-395. L’usage qu’en l’ail Eckart est tout â fait abusif.

Identification aussi entre le mystique et le Christ ; « Tout ce que Dieu le Père a donné à son Fils unique, quant à sa nature humaine, il me l’a entièrement don né â moi aussi ; je n’excepte rien, ni l’union ni la sainteté, tout m’a été donné aussi bien qu’à lui. » " Tout ce que dit du Christ la sainte Écriture, tout cela se vérifie aussi de l’homme bon et divin. » Prop. 11, 12 ; cf. prop. 20, 21.

La conséquence de cette identification, c’est que lac lion de l’homme se confond d’une manière absolue avec celle de Dieu : « Tout ce qui est propre à la nature divine, cela est entièrement propre à l’homme juste et divin ; c’est pourquoi cet homme juste opère tout ce que Dieu opère et il a créé conjointement avec Dieu le ciel et la terre, et il est générateur du Verbe éternel, et Dieu sans cet homme ne saurait rien faire. Prop. 13.

Il faudra donc considérer les actions de l’homme comme étant les actions mêmes de Dieu. L’homme n’agira pas par lui-même. L’abandon extrême à Dieu et l’indifférence de l’homme pour toutes choses, même pour sa sanctification, seront les conditions de la vie spirituelle véritable : « Ceux qui ne recherchent pas les biens matériels, ni les honneurs, ni ce qui est utile, ni la dévotion intérieure, ni la sainteté, ni la récompense, ni le royaume des cieux, mais ont renoncé à tout cela, même à ce qui est leur, c’est en ces hommes que Dieu est honoré. » Prop. 8.

Cel abandon total fera tellement adhérera la volonté divine permissive que l’homme ne devra pas regretter d’avoir commis le péché, sous prétexte que cela a été permis par Dieu. « L’homme bon doit si bien ((informer sa volonté à la volonté divine qu’il veuille tout ce que Dieu veut : puisque Dieu veut en quelque manière que j’aie péché, je ne voudrais pas, moi, n’avoir pas commis de péché, et telle est la vraie pénitence. » Prop. 1 1. Et encore : « Si un homme avait commis mille péchés mortels, s’il élail bien disposé, il ne devrait pas vouloir ne pas les avoir commis. » Prop. 15.

Cel abandon quiétiste à la volonté divine permissive est tout i fait illégitime. Il s inspire de la doctrine des frères du libre esprit. Prop. 117, Guibert, op. cit., p. 126. Tout pécheur a le grave devoir de se repentir de ses fautes. Mais comment détestera-t-il les péchés qu’il a commis s’il ne regrette pas de les avoir commis ? L’adhésion à la volonté divine permissive au sujel des actions mauvaises auxquelles on s’est livré sera toujours accompagnée de la douleur de les avoir faites et du désir sincère, s’il était réalisable, de les avoir évi-