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QUIÉTISME. LES FRÈRES DU LIBRE ESPRIT


et Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. n ; Sébastien Guichardan, A. A.. L< problème de la simplicité divine aux XI P « el -V p siècles. Grégoire Palamas, l/uns Scot, Georges ScJiolurios, Lyon, 1933 ; Eugène Mercier, La spiritualité byzantine, Paris, 1933, p. 415-417.

II. LE QUIÉTISME EN OCCIDENT. - - I. Au

Moyen Age : les frères du lime esprit, les Déghards, maître Eckart. II. Le quiétisme luthérien. III. Au xvr siècle et au début du xvir : les alumbrados en Espagne. IV. L’hérésie quiétiste au xviie siècle. Les précurseurs. Le préquiétisme. V. Les guérinets ou les illuminés de Picardie en 1634. VI. L’hérésie de Molinos : précurseurs immédiats en Italie. Le molinosisme. VII. Le quiétisme en France au xvir siècle. Le 1'. La Combe et MmeGuyon. VIII. Controverse entre Bossuet et Fenélon. Les articles d’Issy. La condamnation de Fénelon.

I. Au MOYEN AGE : LES FRÈRES DU LIBRE ESPRIT ;

les béghards ; maître Eckart. — 1° Les frères il ii libre esprit. — Les origines du quiétisme occidental sont obscures. On trouve les erreurs quiétistes déjà accentuées au xiir siècle, chez les frères du libre esprit. Ces hérétiques ne formaient pas une secte ostensiblement organisée, mais plutôt une société secrète dont les membres répandaient leurs erreurs d’une manière occulte ; aussi défiaient-ils les menaces de L’Inquisition. Ils étaient nombreux sur les bords du Rhin, cette région « classique des hérésies de l’Allemagne du Moyen Age ». Voir, ici, t. vi, col. 'M 10-31 M). Là aussi llorissait, au xiii c et au xive siècle, l’association religieuse des béguines et des béghards, association pure et orthodoxe à l’origine et qui fut gâtée en pallie par les frères du libre esprit. Chez les béghards hétérodoxes, comme nous le verrons, se trouvent des erreurs quiétistes semblables à celles des frères du libre esprit. Voir art. BÉGHARDS, BÉGUINS, t. ii, col. 528-535.

Le faux mysticisme de ces hérétiques s’inspire du panthéisme. Il tend à la suppression de l’activité personnelle et de la responsabilité morale. D’où venait ce panthéisme ? Peut-être d’Espagne, où l’averroïsme, système phîlosophico-religieux arabe, était puissamment soutenu. D’Espagne cette philosophie à tendances panthéistes ne tarda pas à pénétrer dans les villes rhénanes, surtout à Strasbourg, ce carrefour intellectuel de l’Europe du Moyen Age. Comme presque toujours, c’est par la porte du panthéisme que le quiétisme s’introduisit dans les esprits.

Les erreurs des frères du libre esprit furent dénoncées et condamnées. Saint Albert le Grand, lorsqu’il était évêque de Ratisbonne, lit, vers 1260, un recueil de cent vingl et une erreurs des frères du libre esprit, ck’si iné aux inquisiteurs de la foi. W. Preger, Geschichle der deutschen Mystik ini Mittelalter, t. i, Leipzig, 1874, p. 461-471 ; I. von Dôllinger, Beitràge : ttr Sektengeschichte des Mille/allers, t. ii, p. 395 sq. Ce recueil nous fait connaître avec précision renseignement de la secte. On en trouvera un excellent texte dans les Documenta ecclesiastica christianse perfectionis studium spectantia, n. 198-221, p. 116-127, du P. de Guibert. Quant aux erreurs des béghards hétérodoxes, elles ont été condamnées par le concile de Vienne en 1312. De Guibert, ibid., n. 27 1 -27. r >, p. 155 sq. ; Denz. Bannw., n. 171 sq. Les ailleurs spirituels catholiques rhénans de cette époque n’ont pas manqué de combattre la fausse mystique des frères du libre esprit el des béghards. Parmi eux, Tauler et surtout le bienheureux Ruysbroeck doivent être mentionnés.

l’n panthéisme absolu inspire toute la doctrine des frères du libre esprit. L'âme humaine est de la même substance que Dieu : éternelle comme lui. Dicere <mimain esse de substantiel Dei, seternam ami Dca. Prop. 7. 95, 96. Toute créature est Dieu : quod munis creatura sil Deus. Prop. 7(i. L’homme est donc Dieu, égal à Dieu : son aine est divine : Dicere liominem Daim esse.

hominem passe fieri œqualem Deo vel animam fteri divinam. Prop. 27, 77, etc. Il est l'égal du Christ. Prop. 23, (15, 85.

La première conséquence de cette identité de Dieu et de l’homme, c’est que l’action de l’homme parfait est l’action même de Dieu : Quod homo ad talem slatum potest pervenire quod Deus in ipso omnia operatur. Prop. 15, 1'.), 56. Il n’y a pas de responsabilité personnelle pour l’homme parfait. Tout ce qu’il fait a été prédéterminé par Dieu : Quod hue quod faciunt homines, ex Dei ordinatione faciunt. Prop. 66. Il ne peut donc pas pécher lors même qu’il commettrait l’acte du péché : Quod homo faciat mortalis peccati actum sine peccato. Prop. 6. S’il tombe dans les péchés quels qu’ils soient, il n’en aura cure, car c’est Dieu qui a tout prédéterminé, el l’on ne doit pas s’opposer aux prédéterminations divines. Prop. 117.

Les frères du libre esprit rejettent évidemment l'Église. L’homme parfait n’a pas besoin du prêtre : Quod Iwma tantum profteiat, quod sacerdole mm indigeal. Prop. 10. La confession sacramentelle est rejetée : Quod homo unitus Dca non debeat eon/ileri etiam peccalum morlalc. Prop. 11. Les prières et les jeûnes, tout comme la confession, sont un obstacle à la perfection : Quod orationes, fejunia, confessiones peccatorum impediant bonum hominem. Prop. 50, etc.

Le bienheureux Ruysbroeck résume ainsi ces erreurs : « Ou trouve encore d’autres homines mauvais et diaboliques, qui disent qu’ils sont le Christ en personne ou qu’ils sont Dieu : le ciel et la terre ont été faits de leurs mains, et ils le soutiennent avec tout ce qui existe. Supérieurs à tous les sacrements de la sainte Lglise, ils n’en ont pas besoin et n’en veulent pas. Quant aux ordonnances et usages ecclésiastiques et tout ce que les saints mit laissé dans leurs écrits, ils s’en moquent et n’en retiennent rien. Mais le dérèglement, une hérésie détestable et les coutumes sauvages qu’ils ont inventées eux-mêmes, voilà ce qu’ils estiment saint et parfait. La crainte et l’amour de Dieu ont fui de leur cœur ; ils ne veulent connaître ni bien ni mal et ils prétendent avoir découvert chez eux, au-dessus de la raison, l'être sans modes. » Le miroir du salut éternel, c. xvi, Œuvres de ituijsbroeck l’Admirable, trad. des bénédictins de Saint-Paul de Wisques, t. i, Bruxelles, 1919, p. 116 ; cf. Le livre des sept clôtures, c. xiv, ibid., p. 180.

L’oisiveté spirituelle, le quiétisme le plus radical, sont prônés par les frères du libre esprit. Aucune œuvre n’est nécessaire pour devenir parlait. Bien plus, les jeûnes, les disciplines, les veilles, sont des obstacles qui s’opposent à La perfection : Quod homines impediant et retardent perfectionem et bonitatem per fejunia, fl igellationes, disciplinas, vigilias et alia similia. Prop. 110 ; cf. prop. II. 50. L’homme étant Dieu n’est pas obligé d’obéir aux commandements divins : Dicere hominem liberum esse a decem prseceplis. Prop. 83. De là les immoralités de la secte : Quod unitus Deo auilacler possil explere libidinem carnis per qualemcumque modum, etiam religiosus in utroque sexii. Prop. 106 ; cf. prop. 63, 72, 81, 07.

Leur oisiveté, dil I ! uv sbroeck leur semble de si grande importance qu’on ne doit y mettre obstacle par aucune œuvre, si bonne qu’elle soit… Aussi se livrentils à une pure passivité, sans aucune opération en haut ni en bas…, de peur qu’en faisant quelque chose ils n’entravent Dieu en son opération. Leur oisivilé s'étend donc à toute vertu, à tel point qu’ils ne veuli ni ni remercier, ni louer Dieu… A leur avis, ils sont au delà de Ions les exercices, de toutes les vertus, el ils soûl parvenus à une pure oisiveté, où ils sont affranchis vis-à vis de toutes vertus… Ils pensent donc ne pouvoir jamais croître en vertus, ni mériter davantage, ni commettre des péchés ; car ils n’ont plus