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O U I É T I S M E. L’H E S YC H A S M I :


une influence directe et immédiate sur la conduite de l’homme ; aussi les erreurs en spiritualité sont-elles particulièrement redoutables.

IV. L’hésychasme en Orient au Moyen-Age. — On appelait hésychastes (Yjair/dcÇov-rsç « ceux qui se livrent à la quiétude » ) les moines qui vivaient en ermites dans les environs des monastères orientaux de la région du mont Athos. Dès le ve siècle, l’usage s’était établi de permettre aux moines qui se sentaient appelés à la vie rigoureusement contemplative de quitter leurs communautés pour se livrer à la contemplation à proximité des monastères. Le samedi, ils revenaient au milieu de leurs frères pour célébrer avec eux l’office eucharistique.

Cette pratique n’eut rien que de très légitime à l’origine. Mais — sous quelles influences ? on l’ignore une fausse mystique s’introduisit parmi les hésychastes. Nous la trouvons formulée au xie siècle. Il y eut donc à cette époque un hésychasme hétérodoxe, à tendances quiétistes dont il faut parler.

Le principe fondamental de cette fausse mystique est expliqué ainsi par un moine oriental de cet le époque, Syméon, dit le Nouveau Théologien. D’après lui, la grâce est nécessairement objet de conscience en nous. Celui qui n’expérimente pas en lui-même la présence de la grâce sanctifiante n’est pas justifié. Être dans la sainte amitié de Dieu et ne pas voir Dieu sous forme de lumière est impossible. Car Dieu est lumière, et pareille à une lumière est sa contemplation. » J. Mausherr, La méthode d’oraison hésychaste, dans les Orientalia christiana, t. ix, 1927, p. 101 sq. Cf. art. Paiamas, t. xi, col. 1751. Inutile de taire remarquer combien erronée est cette conception de la grâce divine.

Le but de la contemplation, c’est justement d’obtenir la vision de cette lumière divine et d’en donner la jouissance. Les méthodes de contemplation conseillées par les hésychastes étaient variées. L’une d’elle est particulièrement curieuse. Elle semble s’inspirer de la contemplation bouddhiste exposée plus haut. Cette méthode, à la fois physique et morale, est fondée sur la théorie de la respiration telle que la concevaient, au xii c siècle, les moines de la région du mont Athos. L’air que nous respirons, dit un moine athonite appelé Nicéphore (t vers 1310), passe par le nez et va dans le cœur. Le cœur attire l’air afin de lempérer sa chaleur. « L’agent de la respiration, c’est le poumon, qui, pareil à un infatigable soufflet, fait entrer et sortir l’air ambiant. » Lorsque l’air aura pénétré dans le cœur, l’esprit sera entièrement recueilli, l’âme éprouvera une grande joie et elle verra la lumière divine. Cf. Nicéphore, De cordis custodia, P. G.. t. cxlvii, col. 963 sq. ; Grégoire le Sinaïte, De respiratione, P. G., t. cl, col. 1316 sq.

Voici d’ailleurs comment Syméon le Nouveau’théologien décrit cette méthode de contemplation dans sa Méthode de la sainte oraison et attention : « Assis dans une cellule tranquille, à l’écart, dans un coin, fais ce que je te dis : ferme la porte et élève ton esprit au-dessus de tout objet vain et temporel ; ensuite, appuyant ton menton sur la poitrine et tournant l’œil corporel avec tout l’esprit sur le milieu du ventre, autrement dit le nombril, comprime l’aspiration de l’air qui passe par le nez, de façon à ne pas respirer à l’aise, et explore mentalement le dedans des entrailles pour y trouver le lieu du cœur, où aiment à fréquenter toutes les puissances de l’âme. Dans les débuts, tu trouveras une ténèbre et une épaisseur opiniâtres, mais en persévérant et en pratiquant cette occupation de jour et de nuit, tu trouveras, ô merveille ! une félicité sans bornes. Sitôt, en effet, que l’esprit trouve le lieu du cœur, il aperçoit tout à coup ce qu’il n’avait jamais vu, car il aperçoit l’air existant au centre du cœur, et

il se voit lui-même tout entier lumineux et plein de discernement ; et dorénavant, dès qu’une pensée pointe, avant qu’elle s’achève et prenne une forme, il la pourchasse et l’anéantit par l’invocation de Jésus-Christ. » Cité dans les Grœcorum sententiæ, de Grégoire Paiamas, P. G., t. cl, col. 899. Cf. liausherr, op. cit., p. 161-165 ; Grég. Paiamas, De hesychastis, P. G., t. cl, col. 1106-1107, 1110, 1112, 1111 ; t. cuv, col. 840. On nomma ces contemplatifs les omphalopsyques ou « regardeurs de nombril ».

Le Calabrais Barlaam de Seminaria († 1318) se moqua publiquement de ces pratiques saugrenues des hésychastes et des doctrines hétérodoxes qui les motivaient. Ces faux mystiques prétendaient que la la lumière qui enveloppait le corps du contemplât il était la lumière divine, celle qui avait transfiguré le corps mortel du Christ sur le Thabor, au moment de la transfiguration. Les critiques acerbes de Barlaam déclenchèrent la fameuse controverse hésychaste que l’on n’a pas à exposer ici. Voir, t. xi, col. 1777 sq., l’art. Palamite i Controverse).

Remarquons les tendances quiétistes de cette contemplation hésychaste. fout d’abord les ressemblances de cette contemplation avec celle des moines indiens des religions brahmaniques ; même immobilité du corps, influence analogue de la manière de respirer pour obtenir le résultat désiré, et surtout même moyen mécanique et tout corporel pour produire un effet moral, spirituel. L’hésychaste n’a pas recours à l’ascèse. à l’effort moral pour arriver à la sainteté ; aussi ses pratiques s’inspirent-elles d’une déformation grave de la mystique chrétienne.

Les tendances quiétistes de l’hésychasme ne se manifestent pas autant qu’on aurait pu le craindre. L’hésychaste est invité à prier, à lire et à méditer, mais avec modération, car son grand souci doit être de contenir sa respiration, de la gouverner comme elle doit l’être, xpxTÛv ttjv èx7rvoï)v, en vue du rôle essentiel qu’elle joue dans la contemplation. Grégoire le Sinaïte, De quietudine et duo bus orationis modis, 2. P. G., t. cl, col. 1316.

Ce souci baroque de la respiration gênait évidemment beaucoup la psalmodie, laquelle exige que l’on puisse respirer librement. Aussi, parmi les hésychastes, les uns psalmodiaient peu, d’autres pas du tout. « Ceux qui ne psalmodient jamais, disait Grégoire le Sinaïte, ont raison s’ils sont avancés dans la perfection. Car ceux-là n’ont pas besoin de psalmodie, mais de silence et de perpétuelle prière et contemplation quand ils sont arrivés à l’illumination d’eux-mêmes. Car, étant unis à Dieu, il ne leur est pas avantageux d’en détourner leur esprit ni de le jeter dans le trouble. Ibid., col. 1320.

Ces erreurs manifestes n’empêchèrent pas l’hésychasme d’être bien vu dans le milieu byzantin du Moyen Age. (le succès fut dû, en grande partie, à l’autorité extraordinaire dont jouit son plus célèbre défenseur, Grégoire Paiamas, archevêque de Thessalonique. L’hésychasme s’identifia tellement avec Grégoire Paiamas que ses adeptes furent appelés palamites. Aujourd’hui encore des historiens grecs et russes font l’apologie de la mystique hésychaste.

Sur l’hésychisme, outre les ouvrages cités, voir l’indication des sources dans les Indices de la Pairologie qrecque, de F. Cavallera, p. 141-142 ; Échos d’Orient, t. V, 1902, p. 1-11, t. vi, 1003, p. 50-00 ; M. Viller, Nicodém" l’Hagiorite, dins Revue d’ascétique et de mystique, 1024, p. 174 sq. : K. Krum v >acher, Geschichte der byzantinisc/vn Liiteratur, 2e éd., Munich, 1897 ; Nicétas Stétathos, Un grand mystique byzantin. Vie de Syméon le Nouveau Tkéoloqien ( 949-1022), texte grec inédit, publié avec introd. et notes critiquespar le P. Irénée Hausherr, S..1., et trad. fr. en collaboration avec le P. J. Iforn, S. J., dans Orientalia chrisiiana, t.xii, n. 45, 1028 ; sur Grégoire Palarms, M. Jugie, art. Pu. amas