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RIPALDA. THEORIE DE L’ACTE RON


tion de récompenser la pratique des vertus naturelles. Cette loi ayant été portée par pure bienveillance, elle communique à l’octroi de la grâce qui en résulte son propre caractère de bienfait gratuit.

Cette réponse ne satisfait pas entièrement Ripalda. En un sens il la juge trop arbitraire. Nulle part, objectet-il, l'Écriture ni les Pères ne font allusion à une décision providentielle de mettre les dons infus à portée de tout homme qui vit honnêtement. Le dogme ne fournit donc à l’explication moliniste aucun argument décisif. Cependant il ne la condamne pas non plus et lui fournit même un sérieux appui. En elïet, la volonté salvifique universelle est une vérité de foi. Or, ne serait-elle pas frustrée, s’il se trouvait des âmes qui, ayant accompli leur devoir dans toute la mesure où il dépendait d’elles, ne recevraient que la damnation pour prix de leur générosité? D’autre part il semblerait étrange que, fréquemment donnée à des pécheurs endurcis, la grâce pût être complètement absente de la vie d’un homme de bien. Dans le système imaginé par l’auteur du De concordia, on échappe à ces éventualités inadmissibles. C’est un avantage qu’il faut lui reconnaître, sans préjudice de savoir s’il n’y aurait pas un autre moyen de les éviter, plus habile et plus adapté à l’enseignement de l'Église.

Nombreux d’ailleurs sont les théologiens qui ont compris le principe facienti quod in se est dans le sens d’un enchaînement infaillible entre la pratique persévérante du bien naturel et l’offre divine de la foi. On en trouve même parmi les plus anciens et les plus graves qui ont attribué aux œuvres humaines une aptitude positive à acheminer vers la justification. Pris dans leur acception obvie, maints passages de saint Thomas par exemple expriment cette doctrine. A tout le moins enseignent-ils que l’infidèle de bonne volonté se voit, un jour ou l’autre, inévitablement récompensé par le don de la grâce. Disp. XVIII, sect. ii, n. 14 ; sect. iii, n. 16. Va-t-on faire de ces auteurs et du Docteur angélique luimême autant de semi-pélagiens ? Or, pour les défendre contre cette accusation infamante, on n’a d’autre ressource que d’assimiler autant que possible leur doctrine à celle de Molina et de se persuader que, dans leur pensée, les actes moralement bons ne préparaient pas à la vie surnaturelle par leur valeur intrinsèque, mais seulement par suite du bon plaisir divin qui en a ainsi arbitrairement statué. L’enseignement du De concordia n'était donc pas, au moins en cette matière, une nouveauté hardie. Les patrons de grande autorité ne lui font pas défaut. A peine divulgué, d’ailleurs, il gagna si rapidement les suffrages des théologiens contemporains qu'à l'époque où était écrit le De ente supernaturali, l’opinion commune se prononçait en sa faveur. Disp. XX, sect. i, n. 2.

Malgré tout Ripalda refuse de s’y conformer et de se laisser convaincre qu’il ne s’y mêle aucune trace de semi-pélagianisme. S’il voit mieux que les thomistes que, même infailliblement unie à la venue de la grâce, la disposition naturelle négative ne l’exige pourtant en aucune façon à titre méritoire (disp. XVIII, sect. iii, n. 18), par contre il ne semble pas avoir compris comment elle réussit à s’accorder avec l’indépendance de Dieu dans le choix des élus. Il n’a pas vu que, replacée dans le contexte doctrinal du système moliniste, l’assurance donnée à tout infidèle de bonne volonté de ne pas mourir sans avoir rencontré l’occasion de se justifier ne concède en réalité à l’homme dans l’affaire de son salut qu’une initiative purement apparente. Sans doute, la distribution de la grâce étant ainsi comprise, des décisions libres dont il est l’arbitre incontestable lui permettent de forcer pour ainsi dire l’entrée du monde surnaturel. Mais ces décisions libres n'échappent pas au contrôle divin ; elles lui sont même si rigoureusement soumises qu’elles lui doivent d'être orien tées vers le bien plutôt que vers le mal. Car, si tel ordre de providence a été réalisé où le païen ayant honnêtement vécu s’est ouvert par là le chemin du ciel, c’est en vertu d’un décret éternel que la considération des œuvres humaines n’a pas influencé. S’il avait plu à Dieu d’arrêter son choix créateur sur un autre univers où, à la lumière de la science moyenne, il apercevait le même païen s’adonnant de plein gré au vice plutôt qu'à la vertu et justement puni par la privation de la grâce, il aurait ainsi, sans léser les droits de l’intéressé, changé la valeur morale de ses actes et le sort final destiné à les rétribuer. En dernière analyse, Molina réserve donc à Dieu, autant que Banez, un moyen infaillible de plier les volontés à sa guise et par le fait même de commander en maître souverain l’accès à la justification et à la béatitude. Plus préoccupé sans doute d'échafauder un nouveau système que de s’assimiler parfaitement les théories existantes, Ripalda ne paraît pas avoir approfondi la doctrine de son célèbre confrère jusqu'à cette dernière assise qui la supporte tout entière. Faute de quoi il persiste à la juger défavorablement et prétend y suppléer par une autre qu’il a forgée de toutes pièces.

2. La thèse de Ripalda.

Les arguments molinistes lui ont au moins inspiré cette conviction que, dans l’obligation où il est placé de mériter la vision intuitive, le libre arbitre serait certainement frustré dans ses droits, si un décret émanant de la bonté infinie n’avait pas enchaîné d’une manière ou d’une autre l’offre de la grâce à la pratique des vertus naturelles. Mais dans quel ordre faut-il ranger l’un par rapport à l’autre ces deux éléments essentiels du mérite et du salut : l’aide surnaturelle et l’effort volontaire ? La volonté salvalique de Dieu a-t-elle prescrit que la pratique des vertus humaines précéderait l’offre de la grâce ou au contraire qu’elle la suivrait ? En acceptant la première de ces deux hypothèses, les théologiens jésuites, àen croire Ripalda, auraient plus ou moins abandonné l’enseignement de la tradition et donné à la nature un rôle trop important dans la conquête du ciel. Quant à lui, il pense éviter ces écueils en choisissant le second membre de l’alternative. La grâce ne serait pas accordée à l’infidèle en conséquence de l’observât ion du Décalogue, mais, Dieu l’ayant ainsi voulu, dès l'éveil de sa raison, à chaque occasion de bien faire, elle se tiendrait à sa disposition, prête à élever à une fin supérieure ses bons désirs et ses décisions honnêtes. Il ne se produirait par suite dans le monde aucun acte bon qui ne fût surnaturel.

Mais comment se réaliserait en fait cette coopération de la grâce à tout exercice correct du libre arbitre ? Nous l’ignorons. Ripalda en a imaginé deux ou trois formes plausibles.

Étant admis que d’une pensée indélibérée surnaturelle peut naître un acte réfléchi naturel, ne serait-il pas permis tout d’abord de concevoir les œuvres honnêtes qui précèdent la foi comme divinisées par le dehors ? N’existe-t-il pas un groupe d’anciens et graves théologiens qui ont ainsi compris le mérite de l’homme justifié? Ne s' expliquant pas qu’un même terme simple et indivisible, la décision libre, relevât à la fois de deux principes efficients : la faculté spirituelle et la vertu infuse, ils croyaient esquiver la difficulté en se contentant d’une élévation permanente des puissances de l'âme sans influence sur la nature de leurs opérai ions. Ces dernières conservant leur caractère purement humain auraient néanmoins, d’après eux. mérité la vision intuitive par suite de la dignité incomparable de la personne à qui elles auraient appartenu. De même, provoquée par une excitation surnaturelle, toute œuvre naturellement bonne égalerait en valeur morale la grâce qui l’a fait surgir dans l'âme.

Pour ceux à qui cette explication désuète n’inspire-