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IUIWLDA. THÉORIE DE LACTE BON


A tout le moins la logique de son système ne l’obligeait-elle pas à refuser à son hypothétique substance mu naturelle, ce caractère proprement divin que la tradition s’est toujours complu à attribuer à la grâce ? D’après ses définitions, en effet, puisqu’il existe au moins deux ordres de natures créables, une substance pourrait être supérieure à l’un de ces deux ordres, sans mériter pour autant d'être appelée divine. Ripalda semble parfois s'être incliné sans regret devant cette nécessité.

Ainsi, par exemple, il écrit : Constat maie definiri esse supernaturale esse perlinens ad ordinem divinum. Disp. XXIII, sect. xvi, n. 82. L’intelligence ordonnée par essence à la vision intuitive ne serait donc au maximum qu’cxtrinsèquement divine, soit en vertu de son union très intime avec Dieu, soit à cause de l’amitié qui la porterait nécessairement vers lui, ou du droit de propriété dont elle jouirait en quelque sorte à l'égard de son essence infinie.

Toutefois, en d’autres passages de son œuvre, Ripalda semble s'être appliqué à rendre, au moins à la grâce qui nous sanctifie présentement, un pouvoir vraiment déifiant. Nous avons déjà vu comment. C’est que, d’après lui, les dons infus seraient produits par une opération différente de l’acte par lequel Dieu tire d’ordinaire du néant les êtres contingents, le Créateur faisant vivre une âme de la vie surnaturelle en exprimant en elle son image à la manière d’un père qui se reproduit dans son fils en l’engendrant.

Théologien attitré de la substance surnaturelle, Ripalda n’est pourtant pas celui qui en a le premier envisagé l’hypothèse, ni celui qui en a écrit avec le plus de clarté et avec les arguments les plus décisifs. Il a au contraire compliqué à plaisir une question déjà très difficile en elle-même ; il s’y est étendu outre mesure, en y mêlant souvent une métaphysique de mauvaise qualité dont notre exposé ne donne qu’une idée insuffisante. En aboutissant après tant d’efforts à une solution qui demeure si obscure et si discutable, n’a-t-il pas du moins prouvé définitivement que notre participation à la nature divine par la grâce comporte un profond mystère dont la raison théologique ne percera jamais l’obscurité?

Caractère surnaturel de tout acte bon.

Si l’enseignement de la révélation et du magistère ecclésiastique ne satisfait pas toute notre curiosité sur la nature

de la grâce et laisse le champ ouvert aux conjectures, il n’en va pas autrement pour ce qui concerne la mesure suivant laquelle cette grâce est distribuée par la Providence à chacun des membres du genre humain. Autant il était difficile de concilier le caractère divin des dons infus avec leurs imperfections essentielles de qualités finies, autant il paraît chimérique au premier abord de s’essayer à accorder ces deux vérités de foi : le premier des secours surnaturels nécessaires au salut est absolument gratuit ; aucun homme pourtant ne se perd que par sa faute. Si la grâce n’est duc à personne, celui qui la dispense devrait pouvoir la donner ou la refuser comme il lui plait et cependant n’est-il pas contraint en justice de l’offrir à tous, s’il oblige chaque âme, sous peine de damnation, à mériter la vision béatifique ?

Pour résoudre cette apparente contradiction qui se manifeste entre le dogme de la volonté salviliquc universelle et celui de la prédestination Indépendante des bon nés (eu vres.de nombreux t héologiens mit eu recours à l’adage traditionnel : jucicnli quod in se est DeUS mm denegai gratiam. Quiconque, expliquent-ils, use mal des facultés naturelles dont il dispose librement, n’est pas fondé à se plaindre, si on lui refuse l’accès a un ordre d’activité et de béatitude supérieures. Il scia jus te nient condamné à l’enfer, sinon pour n’avoir jamais agi surnaturellemenl. au moins pour ses fautes graves contre

la loi morale. Par contre, l’entrée du monde de la grâce est ouverte à tous ceux qui vivent en conformité avec la fin dernière propre à leur essence, non point parce que la pratique des vertus humaines les en aura rendus dignes, mais parce qu’il a plu à Dieu qu’il en fût ainsi. D’après cette manière de voir, le premier appel à la foi et à la justification dépend donc d’un décret divin sans lien d’exigence ni même de convenance avec les œuvres de la créature, gratuit par conséquent. Mais comme en fait cet appel est adressé un jour ou l’autre à toute âme de bonne volonté, il peut être considéré comme pratiquement universel, rien ne fermant à l’homme la voie du salut, si ce n’est son obstination dans le péché.

Ainsi les molinistes pensent-ils sauvegarder à la fois les privilèges de la liberté et le droit souverain du ToutPuissant à choisir ses élus sans souci de leurs mérites. Taxée de semi-pélagianisme par les tenants de l'école bannézienne, leur solution n’agrée pas non plus à Ripalda. Incapable de se résigner à suivre les routes battues, il cherche ici encore à en frayer une nouvelle à distance moyenne entre dominicains et jésuites.

1. Discussion de la thèse molinisle.

Les griefs articulés par les thomistes contre la doctrine du De concordia lui paraissant dépasser toute mesure raisonnable et tirer leur origine d’une déformation grave de la pensée de l’auteur ; Ripalda se défend de les prendre à son compte, t. I, disp. XVIII, sect. iii, n. 16. Toutefois l’interprétation moliniste de l’axiome facienti quod in se est ne lui en demeure pas moins suspecte. Trop voisine à son avis des erreurs de Cassien, elle résiste mal aux arguments dogmatiques de ses adversaires.

La grâce, en effet, n’est pas donnée à ceux qui la cherchent, l’implorent du ciel ou travaillent à l’acquérir ; bien au contraire, ceux-là la trouvent qui ne songeaient pas à elle et ils l’entendent qui leur répond alors qu’ils ne l’appelaient pas. Ces quelques formules tirées du concile d’Orange n’expriment-elles pas la doctrine fondamentale que saint Augustin et ses successeurs ont obstinément opposée à toutes les formes de pélagianisme ? En plein accord par conséquent, tradition et magistère tiennent pour plus ou moins entaché d’hérésie quiconque unit d’un lien nécessaire le surnaturel au mérite, à l’effort, à la prière de l’homme en tant que tel. Or, n’est-ce pas à cela précisément que tend la théologie des molinistes ? Pour soustraire à la damnation l'âme dont l’unique tort consisterait à n’avoir pas été gratuitement prédestinée à la vision intuitive ou aux moyens d’y parvenir, ils lui promettent les secours suffisants pour se sauver à la seule condition qu’elle obéisse à la voix de sa conscience. Mais, si l’on appelle salutaire toute œuvre qui rapproche du ciel, ne conviendrait-il pas dès lors d’attribuer cette épithète à l’observation de la loi morale ? En effet le païen qui s’y adonne contraint Dieu pour ainsi dire à lui offrir la foi, son amitié et son adoption ; donc à lui ouvrir les rangs des élus à la grâce. D’après saint Paul et l’enseignement des Pères, l’accès à la justification dépend uniquement du bon plaisir divin qui touche ou endurcit les cœurs comme il lui agrée, qui aime ou rejette avant toute considération du désir ou des vertus de la créature. A en croire les molinistes au contraire, c’est l’homme qui choisit et fait les premiers pas vers Dieu, certain que ses avances ne seront pas repoussées : en réalité c’est lui qui par les œuvres de son libre arbitre se discerne de la masse des infidèles et des pécheurs.

Sans doute la bonne volonté serait impuissante à émouvoir la charité infinie, si celle-ci n’avait pas ellemême décidé d’avance de se laisser loucher par une démarche impropre de soi à l’influencer le moins du monde. En dernière analyse, ce n’est donc pas en considérai ion de l’effort humain qu’aura été concédé l’appel a la foi. mais par application d’une loi divine qui n’a aucunement été inspirée à son auteur par l’inten-