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    1. RIPALDA##


RIPALDA. LA SUBSTANCE SURNATURELLE

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leur raison d'être dans l’union hypostatiquc. Implantée dans la nature pure, elle élèverait sans détruire de faute. Dans l'état actuel créé par la faute d’Adam, elle élève et purifie tout à la fois. Pourquoi écarter la possibilité d’un ordre de choses où elle sanctifierait sans être la source de l’activité surnaturelle ? Loc. cil., secl. viii, n. 41.

En découpant ainsi dans le monde des possibles toutes les essences et hypothèses nécessaires à la défense de sa cause, Ripalda ne peut manquer de réplique aux objections de ses adversaires. Si une première fiction ne suffit pas, il est prêt à en inventer deux ou trois autres. Voir ibid., n. 41 et 42. Mais ces suppositions gratuites n’apportent aucun éclaircissement au véritable problème. Seule, en effet, nous préoccupe la grâce du monde où nous vivons. Si elle était métaphysiquement inséparable d’une essence créée, cette « race la rendrait-elle impeccable ? Voilà uniquement ce que nous désirons savoir. En dissertant sur la possibilité de substances qui ne seraient surnaturelles que par participation à la vertu de foi ou à d’autres formes non sanctifiantes de dons infus, Ripalda quitte le terrain de la discussion telle que l’ont envisagée les grandes écoles théologiques. Il n’y rentre que vers la fin de son argumentation, quand il invoque en faveur de son point de vue, la compatibilité de la grâce et du péché admise par les scotistes, les nominalistes et autres graves auteurs. Ibid., n. 42. Mais ce n’est plus le moment d'étudier la valeur de cette preuve ; il en a été traité plus haut.

Ripalda touche plus efficacement à la question en cause, quand il s’efforce ensuite de revendiquer la possibilité d’une créature capable par elle-même d'éviter toute faute. Ici encore ses adversaires ne s’entendent pas sur la nature ni sur la portée des raisons qui incitent à faire de l’impeccabilité un privilège divin. Il lui est assez facile de les renvoyer dos à dos. Aux thomistes, il riposte avec Suarez que, même enchaînée par essence à son devoir, la volonté n’en deviendrait pas la règle suprême de ses actes ; qu’il s’est trouvé d’ailleurs et se trouve encore des créatures inaptes à offenser Dieu : le Christ par exemple et les élus ; qu'à la suite de saint Thomas, ces théologiens n’ont pas craint de refuser aux anges la possibilité de se révolter contre la loi naturelle. Ibid., secl. ix, n. 45 ; sect.xii, n. 63.

C’est encore de Suarez qu’il s’inspire en affirmant, contre Vasquez, que la liberté peut préférer un objet honnête, même s’il lui est proposé de façon moins vive et moins attrayante que l’objet déshonnête. N. 47. S’appuyant par contre sur les thomistes, pour qui la grâce répugne physiquement à la présence du péché, il montre à Suarez qu’il n’y aurait aucune imprudence à chercher l’origine de l’impeccabilité ailleurs que dans la vision intuitive. N. 51. Il s’efforce enfin, par une longue discussion, de persuader à Granado qu’on ne mettrail aucune contradiction interne dans le concept de créai nie raisonnable en y introduisant l’impuissance à aimer le mal. Inutile de suivre le va et vient de sa démonstration dont il emprunte les éléments tantôt à une école et tantôt à une autre, s’alliant puis s’oppo saut lotir à tour a chacune d’elles suivant son intérêt du moment. De cette argumentation éclectique et opportuniste ne se dégage aucune évidence qui autorise une conclusion ferme soit en faveur de la thèse qu’il défend, soit en laveur de celle qu’il combat.

4. La définition du surnaturel. - Plus intéressante est è certains égards l’objection dirigée contre Ripalda au nom de la notion de surnaturel, à qui il ôterait purement et simplement toute raison d'être.

Sans doute cet te ohjccl ion paraît-elle, en un sens, ne

soulever qu’une question île mots. Car s’il est raisonnable de se demander si h' surnaturel doit être ou non estimé supérieur a tonte nature créable, encore faut-il

prendre, soin de préciser et d’approfondir les termes du problème, sinon on le rend absurde, on le détruit même en l'énonçant. Étant lui aussi un principe d’activité, donc une nature au sens général du mot, le surnaturel ne pourrait en aucune hypothèse subsister en soi sans faire partie de l’ordre des natures créables et créées ; sans par suite se supprimer par la base avec l’idée qu’il représente. Dans ces conditions, en effet, la grâce ne pourrait pas plus être considérée comme surnaturelle a L'égard d’aucun esprit que l’homme ne peut être tenu pour tel par comparaison avec l’animal ou l’animal avec la plante. Ainsi posé, et c’est sous cette forme que beaucoup d’auteurs l’ont envisagé, le débat manifestement n’a trait qu'à la manière de s’exprimer. Toutefois, d’un point de vue légèrement modifié, il ne semble pas pouvoir se liquider pleinement sans que soit mise en cause la notion classique de la grâce. Car, s’il est tout à fait excessif de prétendre qu'à elle seule l’hypothèse d’un esprit ordonné par essence à la vision de Dieu détruit la notion de surnaturel, au moins est-il justifié de se demander si elle n’exige pas une mise au point attentive ou même une retouche importante.

En matière de tradition dogmatique, la manière de s’exprimer elle-même a son importance. Ripalda ne l’ignorait pas. Or, quoi qu’il eût tenté pour en atténuer l’autorité, il n’en restait pas moins que l’opinion commune était beaucoup plus favorable à la façon de parler de ses adversaires. La grâce a toujours été tenue pour divine et qui dit divine désigne évidemment par là un ordre de réalité supérieur au créable aussi bien qu’au créé. Dans la position qu’il a prise, Ripalda n’estil pas contraint de se séparer sur ce point de l’enseignement le plus répandu ? Au premier abord cela paraît logiquement nécessaire. Attribuer à Dieu la puissance de produire une intelligence dont la contemplation béatifique serait l’acte spécifique et normal, n’est-ce pas nier par le fait même que la faculté de voir la Sainte Trinité dépasse les exigences de toute créature possible ? Et si les dons infus ne s'élèvent pas au-dessus du niveau de perfection d’une essence finie, de quel droit les appellerait-on divins ?

Cependant l’auteur du De ente supernaturali ne craint pas d’affirmer que, même si l’hypothèse d’une substance surnaturelle était avérée, la grâce ne cesserait pas de l’emporter en excellence sur tout être contingent, réel ou réalisable. Son opinion sur ce point ne trahit aucune hésitation : Ad supernaturalitatem, ultra substantiels existe/îles, possi biles etiam vincendie sunt … Ultra collectionem subslanliarum ac facullalum non cxistenlium entia supernaturalia constituenda sunt . Loc. cit., disp. III, sect. i, n. 3 ; cf. sect. ii, n. 16. Mais comment va-t-il sortir de l’apparente contradiction où il s’enferme en enseignant en même temps que les dons infus ne dépassent pas le niveau de perfection des natures créables et qu’ils lui sont néanmoins supérieurs ? C’es^en résolvant cette difficulté, à première vue insurmontable, que Ripalda se fait fort de mettre en lumière le caractère vraiment distinctif du surnaturel. A l’en croire, personne avant lui n’y était encore parvenu.

Pour trancher le problème, il attribue au mot nature deux acceptions différentes. D’abord une acception générique qui se vérifie dans tout principe physique possédant en propre une activité quelconque. En ce sens la substance surnaturelle est une nature. Mais d’après une autre acception plus rigoureuse, on n’appellera nature que l’une des deux ou peut-être même des multiples classes de substances et qualités créables par la toute-puissance divine. Les essences contingentes demandent en effet, au jugement de Ripalda, à être réparties en diverses catégories absolument irréductibles l’une à l’autre, catégories qui, suivant une expression très fréquente sous sa plume, ne sont liées