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RIPALDA. GRACE ET JUSTIFICATION


incompatible avec le péché que la sainteté de l'Être infini lui-même. Aussi pour se prononcer avec équité entre les partisans d’une grâce connaturellement sanctifiante et leurs contradicteurs, est-il indispensable de les entendre expliquer, chacun dans leur sens, sous quelle forme et dans quelle mesure exacte la vie surnaturelle nous met sur un pied d'égalité avec la perfection de Dieu. Quel est sur ce point l’enseignement du De ente supernaturali ?

2. La participation à la nature divine.

Ripalda a au moins le mérite de s'être mieux rendu compte que beaucoup de ses prédécesseurs de la difliculté considérable du problème et d’avoir tenté un gros effort pour le résoudre. Ce n’est qu’en étudiant plus loin sa thèse de la possibilité d’une substance surnaturelle que nous pourrons décider s’il y a réussi ou non. Qu’il suffise, pour le moment, de constater en quoi il se distingue des thomistes et de Suarez au sujet de la participation à la nature divine par les dons infus et de la manière précise dont cette participation nous constitue les fils et les amis de Dieu.

L’opinion de Vincente, qui voyait dans la grâce une communication de l’infinité divine en tant que telle, ne lui agrée pas et il la rejette résolument, t. VI, disp.CXXXII.sect. vin.n. 99. Par ailleurs, il voit aussi des difficultés à la doctrine de Suarez. Nulle part, prétend-il, les Livres saints ni les Pères ne font mention de cette intellectualité éminente que la vie surnaturelle nous donnerait en partage ; par contre, ils font fréquemment allusion à la sainteté très élevée dans laquelle elle nous établit. Mais plus encore, semble-t-il, ce sont des raisons systématiques qui ont amené Ripalda à se séparer ici de son illustre devancier.

Une fois admise en effet la possibilité d’une substance créée dont la contemplation béatilique serait l’opération spécifique, la vision intuitive perd son caractère de privilège divin ; elle devient l’acte propre de deux natures au moins : celle de Dieu et celle de la substance surnaturelle. « Atque adeo, conclut notre auteur, non erit gratia nunc existens magis particeps naturæ divinæ quam creatse : quod detrahit excellentise quam hac parlicipalione intendant exprimere Ecclesiae Patres et theologi. » Ibid., n. 97.

D’après lui, l’attribut divin auquel nous avons part en tout premier lieu par les vertus infuses, c’est la bonté morale, en tant qu’inclinant exclusivement aux actes honnêtes et répugnant à tout mal. Ibid., n. 105. Justifié, l’homme se trouve absolument bon et saint, pourvu en principe de toutes les vertus, tel enfin qu’il ne pourrait commettre un péché grave sans déchoir aussitôt de la perfection où la grâce l’a élevé. Sans doute la sainteté divine est beaucoup plus grande encore ; elle est incompatible avec la moindre faute, même vénielle. Mais rien de surprenant à cela, puisque, par la vie surnaturelle, nous ne faisons que participer à la bonté de l'Être infini ; nous ne la recevons pas tout entière.

Qu’on ne s’y trompe pas, participer à la bonté morale de Dieu, ce n’est point seulement pour Ripalda, comme on l’a parfois insinué, participer moralement à la sainteté divine, en l’imitant le mieux possible par la pratique de la justice ; c’est beaucoup mieux que cela ; c’est participer à la perfection ontologique de l'Être infini en vertu de laquelle il est naturellement enchaîné au bien. Au lieu de définir la grâce par le pouvoir physique de voir l’essence divine, comme le fait Suarez, il lui attribue, lui, comme caractère propre, de nous communiquer physiquement une nature assez semblable à celle de Dieu pour que le péché grave la détruise, comme il détruirait la nature divine, si par impossible elle agissait mal.

Toutefois la bonté morale n’est pas de soi une perfection plus strictement réservée à l’Acte pur que l’in tellectualité. Se trouver par nature incompatible avec une faute mortelle ne paraît pas nécessairement plus divin que d'être rendu capable de contempler face à face l'Être infini. D’ailleurs, qui admet la possibilité d’une créature ordonnée de droit aux différents privilèges de la vie surnaturelle, logiquement, semblc-t-il, ne devrait pas se soucier d'établir que nous participons par la grâce aux perfections les plus caractéristiques de l’Acte pur ; il devrait même le contester. Une qualité qui n'élève pas au-dessus de toute nature créable ne mérite pas d'être considérée comme divine. Ripalda cependant ne paraît pas consentir à dépouiller le surnaturel de cette prérogative singulière, au moins le surnaturel qui nous est conféré en fait dans le monde présent. On diminuerait, déclare-t-il, l’excellence de la grâce telle que les Pères et les théologiens l’ont comprise, en la réduisant à n'être plus qu’une communication de privilèges qui seraient la propriété spécifique d’une nature créée, la substance surnaturelle, tout autant que de la nature divine elle-même. Loc. cil.

Mais alors il lui incombe d’expliquer conunen t la participation à la sainteté suprême dont il fait l'élément spécifique des vertus infuses nous déifie mieux que la faculté d’exercer la contemplation béatilique. La substance surnaturelle dont il admet la possibilité n’exigerait-elle pas d’ailleurs l’impeccabilité en même temps que la vision intuitive ? L’incompatibilité avec le péché grave lui appartiendrait donc en propre autant qu'à Dieu.

S’il persiste malgré tout à considérer les avantages que nous confère actuellement la grâce comme plus divins qu’ils ne le seraient chez une créature qui en jouirait connaturellement, à lui de justifier sa manière de voir. Or, il y a quelque apparence qu’il ait essayé de le faire. Quand il explique en effet comment nous participons à la nature infinie par les dons infus. il note que par eux nous ne ressemblons pas à Dieu simplement comme un homme ressemble à un autre homme, mais plutôt comme un fils à son père. La Sainte Trinité nous transforme à son image, non pas comme un sculpteur exprime du dehors son idée dans une statue, mais en nous engendrant pour ainsi dire comme ses enfants. En d’autres termes, lorsqu’il sanctifie les justes. Dieu s’exprime activement en eux par un mode d’opération et de concours d’un autre ordre que celui de la création. Ainsi s’expliquerait qu’au cas OÙ existerait une substance surnaturelle, la grâce ne nous ferait pas participer à elle comme elle nous fait maintenant participer à la nature divine ; bien qu'égaux en perfection â cette créature juste par essence, nous ne procéderions pas d’elle par génération comme nous procédons de la Trinité par les dons infus. Loc, cil., sect. ix, n. 102-103.

Peut-être y aurait-il dans ces explications, d’ailleurs fort imprécises et fort obscures, l’indication d’une voie qui acheminerait vers la solution du problème de notre divinisation. Encore faudrait-il définir en quelque façon ce qui distingue en Dieu l’activité du créateur de celle du sanctificateur et montrer sur quel fondement dogmatique repose cette importante division. Il serait inopportun d’entrer ici dans celle question ; qu’il suffise de relever un passage oii Ripalda s’efforce de la résoudre : Expressio activa Dei, écrit-il, non est quæcumque productio sed specialis quia Dcus non omnia quie producit exprimit ; quippe præter concursum quein conjerlliluloomnipotentiæ omnibus creaturis conwwnem, dénotai concursum peculiarem litulo naturæ qua natura est, ratione cujus eliamsi Deus non esscl omnipotens, vindicaret natura divina speciali litulo in gratiæ productionem concurrere… Ipsamel natura divina immédiate prout ab omnipotentia distinguitur confert aclionem in gratiam, imaginent formaient sui, qua eam exprimere dicitur. Loc. cit., n. 103. Dieu concourrait donc à la sanctification de nos âmes litulo naturæ et non pas ti-