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RIPALDA. GRACE ET JUSTIFICATION

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la trouve assez excellente pour détruire par sa seule présence la malice du péché ou pour obtenir en justice à qui la possède l’amitié et l’adoption du Père céleste ? Pour détruire une malice infinie ou exiger l’amitié de l'Être infini, ne faut-il pas avoir soi-même une valeur approximativement infinie ? L’existence éventuelle d’une âme qui serait capable de mériter par ses actes spécifiques la gloire du ciel s’accommode donc d’une synthèse de la justification où la sanctification et l’adoption divine proviennent d’une faveur réellement ou formellement distincte du don de la grâce, mais pas du tout, semble-t-il, d’un système qui identifie mélaphysiquement rémission des fautes et infusion de la charité. Dès lors Ripalda n’a pu admettre la possibilité d’une « substance surnaturelle » sans répudier cette dernière conception de la grâce qui est, comme on le sait, la conception thomiste, ou tout au moins sans la transformer profondément. Comment a-t-il au juste en ces matières organisé ses thèses de façon à éviter toute incohérence doctrinale ?

1. La rémission du péché.

Malgré sa subtilité,

Ripalda ne pouvait guère proposer, au sujet de la destruction des fautes graves par la vie surnaturelle, une opinion entièrement inédite. Tout au plus lui restait-il à critiquer les théories précédemment émises par le thomisme et le scotisine et par Suarez et à les combiner en un mélange nouveau. On sait comment les différentes écoles ont pris position dans cette controverse.

D’après les thomistes, le péché habituel s’identifiant par définition avec la privation de la grâce sanctifiante, entre elle et lui l’opposition est métaphysique ; même absolument parlant, ils ne pourraient habiter ensemble dans une âme ; le surnaturel ressemble de si près à la sainteté divine qu’il répugne comme elle par essence à toute souillure morale, au moins à toute souillure grave. Le Docteur subtil, par contre, n’a pas consenti à détourner les yeux de la condition créée des dons infus et leur a, par suite, refusé le pouvoir de balancer par eux-mêmes la malice incalculable du péché ou celui de contraindre Dieu à l’absoudre. Le pardon des fautes est donc à son avis un bienfait de Dieu distinct et complémentaire de la concession de la grâce ; de soi, vie surnaturelle et péché mortel ne sont pas incompatibles. Suarez, ici comme en d’autres occasions, a mêlé thomisme et scotisme. Avec les tenants du premier système, il place les dons infus audessus de toute créature réelle ou possible ; toutefois il nie que leur absence là où ils devraient exister constitue l’essence du péché habituel ; et, d’autre part, à l’en croire, entre leur présence et celle d’une faute grave, il n’existerait qu’une opposition physique dont Dieu pourrait par miracle suspendre les effets, comme ceux de toutes les causes naturelles ou de toutes les lois de l’univers matériel.

Les conclusions qu’adopte Ripalda se distinguent à peine de celles de Suarez, sauf sur la question de la compatibilité de la grâce et du péché. Lui non plus n’accepte pas d’identifier pleinement le péché mortel avec la privation de la grâce. A maintes reprises il s’insurge contre cette conception, par exemple : De ente supern., disp. CXXXII, sect. xix, n. 251. Mais si, d’après lui, l’infusion de la grâce n'équivaut pas par définition à la rémission du péché, du moins l’exige-t-elle par nature. Cette exigence toutefois ne serait que morale ; car entre deux termes dont l’un, le péché, appartient à l’ordre moral, il ne peut être question d’opposition physique au sens propre du mot. Il ne pense donc pas, comme Suarez, qu’entre la présence de la vie. surnaturelle et le pardon des fautes la connexion est aussi nécessaire qu’entre l’entrée de la chaleur et la disparition du froid. L’excellence de la grâce lie (uni pense pas aiil hmél iqurmciit la malice quasi Infinie du péché. En Valeur morale, le pardon des fautes dol1 être

estimé à plus haut prix que l’octroi des vertus infuses. Sans doute, la grâce est-elle en soi d’un degré de perfection physique assez élevé pour déterminer Dieu à se réconcilier avec l’homme coupable ; cependant elle ne peut l’y obliger en toute rigueur, pas plus que nos mérites ne le contraignent en justice tout à fait stricte à nous donner la gloire. Entre nos œuvres surnaturelles et la vision intuitive il n’y a pas d'équivalence absolument rigoureuse, mais seulement, comme l’a enseigné saint Thomas, égalité de proportion, en ce sens qu'étant ce qu’il est, Dieu se doit de récompenser nos actes vertueux par la contemplation de son essence. De même l’excellence de la grâce ne peut pas moins obtenir de la puissance et de la libéralité divine que la purification de l'âme dont elle fait sa résidence.

Ainsi se manifeste de quelle manière l’expulsion par la grâce des souillures morales se distingue de la disparition du froid sous l’influence de la chaleur. Pour que cesse le froid il suffît que Dieu prête son concours naturel à l’activité physique de la chaleur. Par contre. Dieu ne pardonne pas les fautes graves en coopérant à la causalité normalement exercée sur elles par la grâce ; il les remet par un acte libre dicté à sa générosité par la complaisance que lui inspire la beauté des dons surnaturels.

Si la grâce, d’après Ripalda, n’exclut pas le péché par la seule perfection de son essence, elle ne le détruit pas davantage en vertu de l’amitié divine dont elle serait de soi le gage indiscutable. Il n’accepte pas en effet de considérer l’amitié du Créateur comme un effet formel absolument inévitable des vertus surnaturelles. En termes scolastiques, il déclare que, si la grâce confère à l’homme par nature la justice et l’amitié de Dieu, ce n’est pas in actu secundo, ni même in aclu primo efficaci, mais seulement in actu primo sufjicienti. Loc. cit., n. 253.

Cette formule n’enlève pas toute obscurité à sa doctrine, tant s’en faut, et les Salmanticenses ne se sont pas fait faute de la prendre à partie (De justif., disp. II, dub. iv, n. 109). Toutefois expliquée par le contexte, il n’est pas impossible de la situer à sa place exacte dans la série des systèmes concernant la causalité formelle de la justice infuse. Tandis que Scot requiert qu’une faveur divine vienne s’ajouter du dehors à la grâce pour la rendre justifiante, d’après Ripalda elle obtient cet effet par elle-même, au moins médiatement, en provoquant par sa splendeur la complaisance divine d’où provient le pardon. Et si l’on veut, d’autre part, confronter sa thèse avec celle de Suarez, on n’y trouvera entre les dons infus et le péché qu’une opposition morale ex natura rei, au lieu d’une opposition physique ex natura rei.

Ayant ainsi, par comparaison avec son illustre confrère, atténué quelque peu la vertu sanctificatrice naturellement incluse dans la grâce, il ne lui plaît pourtant pas de concéder à son exemple que, absolument parlant, la vie surnaturelle pourrait être octroyée à une âme gravement coupable. La grâce justifiant ex natura rei, si Dieu concourait à la persistance du péché en contrariant par uri miracle les causes normalement destinées à l’expulser, Ripalda pense, comme les thomistes, qu’il en port irait, dans ce cas, la responsabilité. Voir loc. cit., sect. xx, et en sens contraire Suarez, De gral., t. VII, C. xix, n. l(i.

Y a-t-il dans la multiplicité des formules utilisées par les théologiens eu cette matière beaucoup plus que des divergences verbales, il est difficile de le discerner. En tout cas (lemeurera-t-il impossible de prendre parti avec quelque connaissance de cause pour l’une ou pour l’autre, tant que n’apparaîtra pas clairement, au choc des arguments qu’on s’oppose de système à système, si oui ou non la grâce contient un élément proprement divin, en quelque sorte aussi naturellement