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    1. RIPALDA##


RIPALDA. GRACE ET JUSTIFICATION

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infirmité très commune à cette époque ; elle est beaucoup trop dialectique, plus soucieuse de raisonner sur les mots dégagés de tout contexte historique et littéraire, que de leur restituer le sens concret qui leur était attribué par l’auteur. A tout le moins trouvera-t-on dans l’ouvrage du professeur de Salamanque tout le matériel de citations patristiques dont s’alimentait la controverse entre amis et ennemis de Bains, ainsi que les commentaires qu’on y ajoutait de part et d’autre pour se prévaloir de l’autorité du Docteur de la grâce.

Cette critique du baïanisme ne passa pas inaperçue et produisit vraisemblablement quelque effet puisque, de Louvain.on lui fit l’honneur d’une riposte acerbe et très étendue. Parue en 1649, sous ce titre : Joannis Miirlinez de Ripaldae Socielale nominis Jésus vulpes capta per theologos sacræ facultatif Academiæ Lovaniensis, elle fut plus tard traduite en français et « publiée par ces mêmes docteurs, de l’ordre des évoques des Pays-Bas et de la Faculté », dans les Annales de la société des soi-disant jésuites, t. iv, 1769, p. 189-445. Après avoir repoussé comme d’infamantes calomnies les accusations portées par le théologien espagnol contre l’orthodoxie de sa faculté, l’auteur anonyme qui lui donne la réplique l’incrimine à son tour d’impostures, de falsifications de textes et, comme bien l’on pense, de pélagianisme. Cet auteur s’appelait en réalité Jean Sinnich ; son factum fut mis à l’Index par décret du Saint-Office le 23 avril 1654. Cf. Indice dei libri proibili, 1929, p. 491 et 548.

Le De ente supernaturali.

Quant au De ente

supernaturali, il est très représentatif d’une époque et d’un milieu. A la date où il paraît, les grandes disputes systématiques sont closes ; tout au moins la doctrine caractéristique de chacune des écoles adverses est fixée dans ses thèses principales et dans les arguments essentiels qui les prouvent. Qu’il s’agisse des controverses De auxiliis ou des problèmes fondamentaux de la métaphysique, les questions importantes qui méritaient discussion ont déjà été retournées en tous sens ; au moins à les prendre du point de vue de la philosophie et de la théologie scolastique, il ne reste plus rien de capital à découvrir ni à exploiter en elles. En fait d’explication rationnelle des mystères de l'être ou de la grâce, il n’y a plus, semble-t-il, qu'à choisir entre les positions délimitées par le thomisme, le scotisme, le nominalisme ou l’enseignement plus éclectique des jésuites Molina, Vasquez, Suarez. Si l’on veut trouver encore de l’inédit, on en est réduit à revenir sur ce qui a déjà été résolu ou à raffiner sur des corollaires accessoires, à moins qu’on ne se décide à quitter le réel pour étudier des ordres hypothétiques de création ou de grâce. C’est en tout cas dans cette voie que s’est engagé Ripalda.

Il y était d’ailleurs invité par son milieu, l’université de Salamanque. N'était-ce pas, en effet, une nécessité dans ces centres d'études ecclésiastiques, pour animer les disputes scolaires ou les séances d’argumentation qui fondaient la réputation des collèges, de se signaler par des opinions nouvelles et même audacieuses. On excitait ainsi l’intérêt des étudiants ou du public et l’on amorçait des polémiques longuement entretenues par la suite. Toujours est-il qu’en lisant le De ente supernaturali, on y trouve à chaque instant la trace de ces joutes intellectuelles et du genre spécial de théologie qu’elles provoquaient. A maintes reprises, Ripalda nous prévient qu’avant lui personne ou à peu près n’a touché à la question qu’il aborde. Apud scolasticos nullam invenio disputationem de illa. Hujus quæstionis non meminerunt scolastici. Hsec dispulalio a nullo Iheologorum scribenlium in examen vocatur, écrit-il au début de trois études fort abstruses touchant la nature de la puissance obédientielle active et passive, De ente sup., t. II, disp. XXV, proœm. ; disp. XXVII, n. 1 ;

disp. XXX 1 1 1, proœm. Malheureusement la peine qu’il se donne pour découvrir ou tirer au clair ces questions nouvelles manque vraiment de proportion avec leur intérêt propre. Qu’on en juge par ces quelques titres : An cognitio supernaturalis possit concurrere ad aclum peccati ? (De ente sup., t. III, disp. LVII) ; An cognitio supernaturalis possil esse falsa potestate absolula Dei ? (ibid., disp. LIX) ; An dignilas Deiparæ se sola seorsim a gratia habituali possil sanctificare personam et dignificare opéra supernattwalia ud meritum vitee œternx ? (t. IV, disp. LXXIX), etc. Ici ou là il avertit candidement que la controverse est fastidieuse, toute verbale, vide de choses. Il ne lui en consacre pas moins de nombreuses colonnes. Voir p. ex. loc. cit., t. III, disp. XXXI.

Le plus souvent, semble-t-il, c'était à l’intérieur du collège de la Compagnie de Jésus à Salamanque qu’on se livrait ainsi bataille dans les régions les plus nuageuses de la théologie. Le partenaire habituel de Ripalda dans ces luttes académiques est un de ses collègues, Pierre Hurtado de Mendoza qui fut d’abord son maître. La vénération sincère qu’il lui porte ne l’empêche pas de le contredire à tout propos. Voir disp. L, sect.ix, n.55 ; disp. LVII ; disp. LIX, etc. Dans d’autres occasions il se mesure avec le cardinal Jean de Lugo, un de ses anciens professeurs lui aussi : De enle sup., t. II, disp. LXI ; De fïde, disp. XVII ; ou bien il s’associe à des escarmouches plus importantes entre membres de l’académie de Salamanque, De enle sup., t. IV, disp. CXXIII ; ou à une sortie collective de toute l’Académie contre nonnullos recentiores C.omplutenses, De caril., disp. XL ; sans préjudice évidemment de la lutte commune qu’il soutient avec ses confrères jésuites contre les thomistes. Sur ce point cependant les récents décrets du Saint-Siège lui imposent une réserve à laquelle il se résigne difficilement. Faute de pouvoir discuter, il expose au moins l'état de la controverse et en raconte quelques péripéties, t. IV, disp. CXIII.

II. La doctrine.

Cet aperçu général sur l'œuvre ne suffit-il pas à donner la conviction qu’une étude complète et détaillée du De enle supernaturali n’offrirait guère d’intérêt ? Les théologiens d'époque postérieure n’en ont d’ailleurs retenu que trois thèses caractéristiques, laissant le reste périr dans l’oubli. Encore n'était-ce pas d’ordinaire pour les adopter, mais pour les signaler à l’attention à titre d’opinions extrêmes et curieuses. Ces thèses sont célèbres. L’une a trait à la possibilité d’une substance créée qui serait destinée par essence à la vision intuitive ; une autre à l'élévation surnaturelle de tous les actes moralement bons du monde présent ; la dernière à l’explication du salut des infidèles par la foi large. Celle-ci a déjà été discutée par le P. Harent.à l’article Infidèles, t. vii, col. 1764 sq., de façon si judicieuse qu’il est inutile de l'étudier à nouveau. Seules les deux premières demandent encore à être analysées et critiquées. Toutefois, comme il importe à l’intelligence de la doctrine de Ripalda sur la substance surnaturelle de savoir comment il a compris le rôle joué par la grâce habituelle dans la justification, il ne sera pas hors de propos d’examiner d’abord brièvement son opinion sur ce point controversé.

1° Le rôle de la grâce habituelle dans la justification. — A première vue il paraîtrait logique d’accepter ou de proscrire l’hypothèse d’un esprit naturellement ordonné à la vision béatifique, suivant qu’on attribue ou non à la grâce habituelle un caractère strictement divin. En effet, si la grâce nous pourvoit d’un mode de sainteté et d’activité qui n’appartient de droit qu'à l’Acte pur, il est clair que pareil degré de perfection n’appartiendra jamais d’emblée à aucune substance tirée du néant. Or, pour juger de l’estime qu’un théologien professe à l'égard de la vie surnaturelle, la meilleure méthode n' est-elle pas de lui demander s’il