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RICHARD DE SAINT-VICTOR. APPRÉCIATION

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saircs, tout en estimant qu’elles dépassent la capacité de la raison humaine. Voir Quæstiones de flde et de cognitione, Quaracehi, 1903, q. v. De flde, p. 138 sq.

Il résulte de ces considérations que L. Jannssens semble avoir assez exactement formulé la position théologique de Richard dans les trois propositions suivantes : 1. le mystère de la sainte Trinité, parce qu’il dépasse la raison humaine, ne peut être clairement démontré, persuaderi : 2. il peut néanmoins être exposé d’une manière efficace et prouvé d’une certaine façon, quand on accepte la lumière de la révélation ; 3. comme il concerne l'Être nécessaire, il peut en soi être démontré par des raisons nécessaires, lesquelles toutefois sont inaccessibles à l’entendement de l’homme. Jannssens estime que la doctrine contenue dans ces trois propositions est non seulement correcte, mais très belle. Tractatus de Deo trino, Fribourg-en-B., 1900, p. 405. Sans doute, la troisième de ces propositions ne tient pas compte du fait que Richard se flatte d’avoir découvert des raisons nécessaires de l’existence des trois personnes en Dieu, mais, pour le reste, la position théologique du prieur de Saint-Victor est bien telle que Jannssens la présente. Si Richard a trop fait crédit à la raison humaine, ce fut sur des points de détail ; dans son ensemble, sa position est correcte.

2° Exposé systématique du « De Trinitate ». — Dans ces derniers temps, on s’est plu à mettre en évidence le génie philosophique et l’esprit systématique de Richard. Grabmann, Geschichle der scholastischen Méthode, t. ii, p. 415 sq. ; Griinwald, Geschichle der Gollesbewcise im Miltelalter, p. 78 ; cf. Buumker, Witelo, p. 312. Cette appréciation n’est pas sans fondement. Partant de ce qui lui semble le plus certain, l’existence d'êtres contingents connus par l’expérience des sens, Richard démontre à l’aide du principe de causalité que l’existence d'êtres contingents est inconcevable sans l’existence d’une substance suprême, nécessairement unique, identique à la divinité. L. I et II. Xous avons déjà noté dans notre analyse du De Trinitate, qu'à en croire Bàumker, Richard est le premier penseur du Moyen Age qui ait utilisé le principe de causalité pour la démonstration de l’existence de Dieu. Quant à cette démonstration elle-même, telle que Richard la donne, Griinwald estime qu’elle doit être rangée parmi les œuvres les plus spéculatives produites par la scolastique, de saint Anselme à saint Thomas. Op. cit., page 78.

Abordant au 1. III le problème trinitaire, Richard expose que l’existence d’une deuxième et d’une troisième personne en Dieu résulte de la plénitude de la bonté, de la béatitude et de la gloire divine. Le 1. IV établit la compatibilité de la pluralité des personnes dans l’unité de la substance divine en démontrant que, les différences des personnes se réduisant à leur différence d’origine, chacune d’elles peut posséder l’unique substance à titre différent. Enfin les deux derniers livres sont consacrés à l'étude des processions divines, dans le but d’en fixer le nombre et d'établir en quoi elles diffèrent l’une de l’autre.

L’ensemble du De Trinitate est donc judicieusement ordonné mais le détail l’est moins. L’analyse de ce traité nous a permis de constater que Richard tombe souvent dans des redites.

L’argumentation du 1. III aurait gagné en netteté si elle avait été plus concise. Il n'était nullement nécessaire, pour prouver l’existence d’une troisième personne, de reproduire toute la démonstration ex pleniludine bonitatis, felicilalis et glorise qui avait déjà été donnée pour établir l’existence de la seconde. La critique de la définition de Boèce aurait dû être placée au début du t. IV, là où Richard expose ce qu’il faut entendre par personne et non à la fin du livre, comme il l’a fait. Enfin, quand, au cours du l.~VI, Richard

entreprend de démontrer que le Fils seul est l’image du Père, il disloque fâcheusement son argumentation en la donnant à deux endroits différents.

Les sources de Richard.

Le P. de Régnon a prétendu que Richard avait dû étudier les Pères grecs,

l’ensemble de sa doctrine trinitaire étant plutôt grecque que latine, surtout en ce qui concerne sa conception des processions divines. De Régnon, op. cit., p. 241.

A notre avis, ces conceptions grecques, dans le De Trinitate, s’expliquent par l’influence de l’Aréopagite que Richard avait en haute estime, comme toute sa doctrine mystique le démontre, sans que nous soyons obligés d’admettre qu’il a étudié d’autres Pères orientaux.

4° Richard et le IVe concile du Lalran. — A la fin du t. VI, dans un passage que nous avons cité en entier, voir col. 2690, Richard prend vivement à partie des contemporains qui niaient que, dans la Trinité, la substance inengendrée ait engendré la substance engendrée. Le P. de Régnon a avancé que le ictorin vise ici Pierre Lombard qui, de fait, enseigne dans ses Sentences que « si la divine essence a engendré l’essence, une chose s’est engendrée elle-même, ce qui est absolument impossible ». L. I, dist. V. Or, en 1215, 1e IVe concile du Latran, dans le décret qui condamne l’enseignement de l’abbé Joachim, fait sienne la doctrine de Pierre Lombard, qui est nommément cité, et il définit que la substance divine n’est « ni générons, ni genita, ni procedens, mais que c’est le Père qui engendre, le Fils qui est engendré, et le Saint-Esprit qui procède, de sorte que les distinctions sont dans les personnes et l’unité dans la substance ». Denz.-Bannw., n. 432. Voir ci-dessus, art. Pierre Lombard, t.xii, col. 2010.

Plusieurs théologiens s'étant demandé si Richard est englobé dans la condamnation portée par le concile contre l’abbé Joachim, Petau a démontré que ce qui est visé dans le décret conciliaire, c’est le trithéisme de l’abbé de Flore, lequel suppose qu’en Dieu il y a autant de substances que de personnes. Or Richard, comme Pierre Lombard et comme le concile, attribue dans la divinité les différences aux personnes et l’unité à la substance ; il ne saurait donc être touebé par cette condamnation. Du reste, dans la suite du décret, le concile enseigne avec Richard que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont bien alius et alius, mais non aliud et aliud. Tout au plus pourrait-on dire qu’après la définition du concile, la formule de Richard substantiel ingenita gentil substantiam genilam ne saurait être avancée sans explication. Petau, Dogmala theologica, De Trinitate, t. VI, c.xii, § G ; de Régnon, op. cit., p. 252 sq.

5° Influence sur la théologie postérieure. — Bien que des juges compétents, ainsi que nous l’avons vu plus haut, prisent très fort f œuvre philosophique de Richard, son influence directe sur les grands scolastiques, tels qu’Albert le Grand et Thomas d’Aquin, ne nous semble pas démontrée. Quant à ses conceptions trinitaires, elles ont exercé une influence directe sur Alexandre de Halès, qui cite fréquemment Richard et déclare vouloir suivre sa doctrine. Sur les rapports de Richard et d’Alexandre, voir de Régnon, op. cit., p. 343 sq.

Les œuvres de Richard se trouvent au t. exevi de la P. L. de Migne. lue préface de Mur Ilugonin renseigne sur les éditions antérieures. L'édit ion de Migne n’est pas exempte de fautes, surtout en ce qui concerne la ponctuation.

Sur la doctrine philosophique de Richard, voir M. de Vv’ulf, Histoire de lu philosophie médiévale, <>e éd., t. i, Paris, PK54, p. 222 sq. ; Egbert, Die Erkenntnislehre Richards von S.-Vikfor, Munster-en-W., 1917 ; Griinwald, Geschichte der Gottesbeweise Un Miltelalter, Munster-en-YY., 1907, p. 78 si.

Sur les idées théologiques de Richard : Grabmann, Geschichte der scholastichen Méthode, Fribourg-en-B., 1911, p. 309 sq. (ne s’occupe que de sa position en général) ; P. de Régnon, Études de théologie positive sur la sainte Trinité, t. ii, p. 235 sq. (ne traite que certains points de doctrine,