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QU1ÉTISME. LES MESSAL1ENS

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Les uns déclarent invraisemblables ces influences orientales sur la pensée de Plotin. H. -F. Millier, Orientalisches bei Plotinos ? dans Hermès, t. xlix, 1914. M. É. Bréhier ne considère pas, lui, « comme invraisemblables les relations de la doctrine de Plotin avec la pensée religieuse de l’Inde ». La philosophie de Plotin, Paris, 1928, p. 122. Il est impossible, pour le moment du moins, de démontrer comment ces relations auraient pu s’établir. Serait-ce alors concordance fortuite du plotinisme avec la pensée indienne ? Toujours est-il que les historiens récents de la philosophie de l’Inde font remarquer 1’affinité » du plotinisme avec les systèmes indiens. P. Deussen, Allgemeine Geschichte der Philosophie, 1894-1899 ; Oldenberg, Die J.fhre der Upanishaden und die Anfânge des lluddhismus, Gœttingue, 1915. Il y a en effet des ressemblances Frappantes entre certaines parties du plotinisme et les religions de l’Inde.

Comme les Indiens, c’est bien le problème de la destinée que Plotin s’elTorce de résoudre : « Plotin est un guide spirituel plutôt qu’un doctrinaire ; ce qu’on est habitué à considérer comme l’essentiel de sa doctrine, la trinité des hypostases, Un, Intelligence et Ame, devait apparaître seulement comme une banalité, ou au moins comme un point de départ aux yeux de ses premiers lecteurs, habitués de longue date à des spéculations de ce genre. Ce qu’il y avait de nouveau, ce n’était pas la lettre, mais l’esprit. » É. Bréhier, La philosophie de Plotin, p. 182.

La direction plotinienne donnée a lame pour la conduire à sa destinée, si elle a des ressemblances avec celle des Indiens, en diffère cependant sur plus d’un point.

Le salut des âmes individuelles, selon le brahmanisme, s’opère par leur absorption, par leur perte absolue dans le Brahme, l’Être suprême, le Grand Tout. Par cette perte, elles évitent le mal des renaissances cl des « remorts ». L’extase est le moyen de se perdre dans le Grand Tout. Plotin n’a pas cette phobie des renaissances. Il n’y cherche pas la raison de ce désir qu’a l’âme individuelle de retourner au principe suprême qui est l’Un. L’âme doit retourner à ce principe uniquement, selon lui, parce qu’elle en est sortie pour s’unir à un corps et que ce retour est sa destinée. Cependant, dans le plotinisme comme dans le brahmanisme, c’est par l’extase que ce retour s’opère. L’extase et l’union directe et immédiate de l’âme avec l’Un sont essentielles au système de Plotin, oii l’on trouve une solution panthéiste du problème de la destinée. Cette extase se lait dans un bain de lumière. L’âme, dans cette extase et cette vision immédiate de l’Un, se confond avec lui : Lorsque l’on voit le Pre mier, dit Plotin, on ne le voit pas comme différent de soi, mais comme un avec soi-même… Plus aucun intermédiaire : les deux (Ame et Dieu) ne font qu’un ; tant que dure cette présence, aucune distinction n’est possible. » Ennéades, VI, ix. H) ; VI, vii, Ml.

Cette vision, cette contemplation extatique s’accommodent mal de l’action. Pour des raisons différentes de celles du brahmanisme, le plotinisme recommande l’inactivité. Ce n’est pas par L’action, mais par la contemplation i quiétiste » qu’on arrive à l’extase. Plotin décrit la préparation requise pour la production de cette extase. Ennéades, VI, xxxiv, : >">. L’âme doit

se détourner des choses présentes », se dépouiller

de toutes ses formes ». Elle évitera de penser, car

la pensée est un mouvement », et l’âme ne veut pas se mouvoir o. L’absence de toute représentation intellectuelle, un état de vide complet, telle sera la préparation de l’âme tendant à l’extase. L’âme devant perdre sa personnalité par son retour extatique dans l’Un, l’annihilation de son activité la prédisposera à « cite perte totale d’elle-même. Cette annihilation est donc indispensable.

Le R. P. R. Arnou déclare inexacte cette interprétation de la pensée de Plotin : « C’est…, dit ii, une interprétation erronée et sans fondement dans les textes que de voir dans l’état décrit par Plotin un état de pure négativité où la vie, à force de se ralentir, aurait fini par s’arrêter, où, à force de retranchement, il ne resterait plus rien. » Le désir de Dieu dans la philosophie de Plotin, Paris, 1921, p. 252-253. Des commentateurs de Plotin pourront trouver et trouveront que les défauts du plotinisme sont ici trop atténués. Ce qui est certain, c’est que les mystiques chrétiens, qui se sont inspirés du néo-platonisme pour expliquer philosophiquement la contemplation extatique, insistent énormément sur ce dépouillement intellectuel complet de l’âme.

Saint Augustin, après sa conversion, fut élevé rapidement aux états contemplatifs. Et comme il trouvait dans la théorie de la contemplation néo-platonicienne, qu’il connaissait bien, les éléments d’une philosophie de son propre état d’âme, il n’hésita pas à s’en servir, en la corrigeant, pour ébaucher une théologie mystique. On sait avec quelle force il énonce le principe néo-platonicien de l’ineffabilité de Dieu. Deus ineflabilis est, facilius dicimus quid non sit qu<nn quid sit. Aussi le saint docteur demande-t-il au contemplatif, qui veut connaître Dieu par la contemplation, de laisser de côté toute image et toute idée.

Mais c’est surtout le pseudo-Denvs l’Aréopagile qui accentue ce dépouillement intellectuel préparatoire à la contemplation extatique. Cet auteur, on le sait, utilise en la christianisant la philosophie néo-platonicienne. Il propose comme préparation à l’extase la suspension de toute activité des sens et de toute opération intellectuelle. L’esprit doit se taire totalement. C’est alors qu’il entre dans la ténèbre divine, c’est-à-dire dans la lumière inaccessible où I >ieu habite. Cf. I Tim., vi, 16.

Les mystiques rhénans du xiv siècle, Jean Tailler et les autres, ont formulé, d’après le néo-platonisme, leur théorie de la nudité de l’esprit, préparatoire à la contemplation mystique. Cette nudité ou dépouillement complet de l’esprit n’est pas, selon l’opinion de beaucoup d’auteurs spirituels, nécessaire à la contemplation. Elle rend la contemplation beaucoup trop antiintellectualiste. Mais nous devons reconnaître que cette nudité intellectuelle n’es ! pas absolument contraire à la saine spiritualité. Elle offre cependant des inconvénients ; elle peut être exagérée par des auteurs imprudents, ("est ce qui arriva au XVIIe siècle. Les préquiétistes, sous prétexte de nudité de l’esprit, en vinrent à donner trop d’importance à la passivité de l’âme. Peu à peu on lit de cette passivité comme une loi générale de la vie spirituelle. Molinos, poussant tout à l’outrance, enseignera cet le grave erreur : Oportei potentias annihilare et hsec est vin interna. Denz.-Bannw., n. 1221.

Cette introduction du néo-platonisme dans la mystique chrétienne spéculative fut plutôt fâcheuse.

Voir Emile Bréhier, Plotin, Ennéades, texte et trad., coll. Budé, 5 vol. parus ; E. Yælienit, Hist. critique < ! < l’école d’Alexandrie, Paris, 1844 ; K. Zeller, Philosophie der Griechen io ihrer geschichllichen Enltvicklung dargestellt, 2’a 5e éd., Leipzig, 1879-1892 ; 1- :. Krakowski, Plotin <i le paganisme religieux, Paris, 1933 ; H. Jolivet, Saint Augustin et le néo-platonisme chrétien, Paris, 11)32.

III. Le quiétisme en Orient rx iv et vi° siècles : LES EUCHITES OU MESSALIENS. La THÉORIE MESSAL1ENNE DE L’ « APATHEIA ». - Ce n’est pas le

néo-platonisme, mais la théorie de Vapatheia que l’on retrouve dans le quiétisme des euchites ou messaliens.

Les euchites (z’y/r-%i. priants, ., de sù/r, prière » ) étaient ainsi nommés parce qu’ils faisaient de la