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    1. RICHARD DE SAINT-MCTOR##


RICHARD DE SAINT-MCTOR. DOCTRINE

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terme de pluralité de personnes, il n’avait en vue que la démonstration de l’existence de la seconde personne divine. Dans ce qui suit, il s’applique à montrer que la plénitude de l’amour divin exige l’existence d’une troisième personne, qui participe à la suprême bonté et à la suprême charité de Dieu. Sans ce condilectus, comme dit Richard, la seconde personne ne jouirait ni de la plénitude de l’amour, ni de celle de la béatitude et de la gloire. C’est aussi ce condilectus qui rend parfait l’amour mutuel des deux premières personnes divines et assure la perfection de la concorde divine. Col. 927. Pour notre Yictorin, ces considérations constituent une preuve évidente et indubitable de l’existence d’une troisième personne en Dieu : manifesta et indubila ratione convincitur. Col. 923, 927, 930.

Les trois personnes divines sont égales en ce sens que cet être suprême et infiniment simple qui est la substance divine appartient dans sa plénitude et dans sa perfection à l’une des personnes comme à chacune des autres. Col. 929.

Livre IV : La compatibilité de la trinité des personnes et de l’unité de la substance. — Après avoir rappelé qu’il faut être faible d’esprit pour ne pas être convaincu de la pluralité des personnes divines par la démonstration qui vient d’en être donnée, col. 930, Richard aborde la grosse difficulté de la compatibilité de la pluralité des personnes et de l’unité de la substance divine. Il ne s’en dissimule pas la gravité ; il sait qu’elle a engendré bien des hérésies, « car quand la foi vacille, on révoque en doute ce que de multiples raisonnements ont établi ». Mais, continue-t-il, si la trinité des personnes en une seule substance est incompréhensible, s’ensuit-il qu’elle est impossible'? Bien des choses affirmées par l’expérience sont incompréhensibles ; pourquoi l'œil voit-il ce qui est hors de lui sans pouvoir apercevoir la paupière qui le couvre ? L'œil perçoit ce qui est loin, pourquoi les autres sens ne peuvent-ils saisir que ce qui les touche ? Le corps et l'âme sont de nature bien différentes et constituent néanmoins une seule personne humaine. Bien des choses dépassant l’expérience, mais démontrées par le raisonnement, sont incompréhensibles : c’est le cas de l'éternité, de l’immensité et de la toute-puissance divines, ainsi que de l’identité des perfections divines entre elles et avec la substance divine elle-même. Col. 932.

Quant à la terminologie du dogme trinitaire, Richard ne veut pas du terme hypostase, « dans lequel, selon saint Jérôme, il y a suspicion de venin ». Col. 932. Au terme subsislence que d’aucuns ont proposé comme plus propre que celui de personne, il reproche de manquer de précision et d'être inconnu du grand public. Richard veut donc s’en tenir à la formule : « une substance divine en trois personnes ». Par personne Richard entend une substance rationnelle douée d’une propriété qui ne peut être possédée que par un seul et qui, par conséquent, est incommunicable. Col. 934. La substance répond à la question quid, et la réponse qu’elle donne ne peut être qu' « un terme général ou spécial ou une définition », par exemple : homme, ange, Dieu. Quant à la personne, qui répond à la question quis, elle ne peut répondre que par un nom propre : par exemple, Barthélémy, Pierre, etc. Col. 934. Quand nous disons : voici trois personnes, nous affirmons l’existence de 1res aliqui, dont chacun est substance rationnelle, mais nous n’indiquons pas par là si ces très aliqui sont plusieurs substances rationnelles ou si tous ensemble ils n’en possèdent qu’une. Sans doute, les hommes, habitués plutôt à suivre l’expérience des sens que les démonstrations de la raison, parce que trois personnes humaines sont trois substances humaines, inclinent à concevoir les choses divines à la façon des choses créées ; mais, si la foi sommeille, la raison doit veiller, et nous venons de montrer clairement qu’il

n’est pas nécessaire que là où sont plusieurs personnes, plusieurs substances doivent aussi se trouver. » Col. 935.

La raison nous avertissant que la substance répondant à la question quid et la personne à la question gins, de trois personnes différentes, chacune est nécessairement alius, aliquis ; de trois substances différentes, chacune est nécessairement aliud, aliquid. Comme, dans la Trinité, la substance divine, l'être suprême et simple, est commune aux trois personnes, il ne saurait y avoir en elles aliud et aliud aliquid ; il ne peut donc exister en elle diversité (alielas) de substance, mais seulement diversité (alielas) de personnes. Col. 935 sq.

Par ces considérations, Richard estime avoir démontré rationnellement qu’il n’existe aucune contradiction dans l’affirmation que Dieu est substantiellement un et personnellement trine ; « car, de même que la diversité substantielle du corps et de l'âme ne détruit pas l’unité de la personne humaine, la diversité des personnes divines ne déchire pas l’unité de la substance divine. » Col. 936.

Dans toute personne, il y a lieu de distinguer le modus essentiæ, qui nous renseigne sur son être, sa nature, sur ce qu’elle possède, et le modus oblinentiæ, qui nous fait voir de quelle manière elle possède son être, si c’est par elle-même ou par un autre. Pour Richard, la personne est donc constituée par deux éléments, « ce qu’elle a » et « d’où elle a » ce qu’elle possède. A son avis, le terme existentia se prête bien pour désigner cette double considération ; le radical sistere, sistence, concernant l’essence, la nature, la réalité substantielle ; le préfixe ex visant la provenance de la sistence, ex aliquo sistere quod est substantialiter ex aliquo esse. Sistere, sistence, a donc trait au modus essentiæ, le préfixe ex au modus oblinentiæ. Les personnes humaines, explique Richard, diffèrent entre elles tant par le modus essentiæ que par le modus oblinentiæ, chacune d’elles ayant sa substance individuelle différente de celle des autres, et son origine particulière. Les anges ont bien chacun leur substance individuellement différente, mais leur origine est commune, la toute-puissance créatrice de Dieu. Ils diffèrent donc entre eux par le modus essentiæ. Quant aux personnes divines, étant absolument égales, parce qu’elles ne possèdent qu’une seule substance divine numériquement identique, elles ne peuvent différer que par le modus oblinentiæ, c’est-à-dire par leur mode d’origine. Col. 939.

Si Richard s'était arrêté à ce résultat et en avait conclu qu’en Dieu il y a une seule sistence, une seule essence, c’est-à-dire la substance divine, et trois existences, c’est-à-dire trois manières de la posséder, sa doctrine aurait gagné en netteté et en originalité. Malheureusement, dans ce qui suit, il a appliqué la notion d’existence à la substance divine elle-même, parce qu’elle n’est pas ab alio aliquo, ce qui l’a contraint à admettre une existence commune aux personnes, contrairement à sa définition.

Revenant au problème trinitaire, Richard expose que la personne étant incommunicable, les différences qui constituent les personnes divines, donc les " existences » sont nécessairement incommunicables, d’où il s’ensuit qu’en Dieu il y a autant de personnes que d' « existences incommunicables », quoi igitur in divinitate personæ, toi incommunicabiles cxistenliæ. Col. 942. Chacune de ces personnes possédant la même substance divine, le même être supersubstantiel, les mêmes perfections divines, en vertu d’une propriété personnelle et incommunicable, ex proprielaie personali et incommiinicabili, chacune d’elle est toute puissante, parce qu’elle possède la même et unique puissance suprême, en vertu de sa « propriété personnelle », ex ista vel alia proprietale. Col. 942. C’est ainsi que dans la divinité, l’unité est secundum modum essentiæ, la pluralité secundum modum oblinentiæ. Ibid.