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RICHARD DE MEDIAVILLA


tellect une existence réelle, et cette existence est plus réelle que celle des corps. Le voici d’accord avec saint Thomas. Mais il s’en sépare sur la question du principe d’individuation ; pour Thomas d’Aquin, on le sait, ce principe est à rechercher dans la materia signala in quantilale, en telle sorte que, pour les êtres qui ne comportent pas de matière (les anges par exemple), il ne peut y avoir plusieurs individus dans la même espèce. Richard s’oppose nettement à ce point de vue ; encore qu’il reconnaisse dans les anges un certain hylémorphisme, il ne serait pas embarrassé, au cas même où l’on n’admettrait pas chez eux de matière, de trouver un principe qui permette de distinguer plusieurs individus au sein d’une même espèce. Nous sommes en route vers la philosophie de Scot. De même l’insistance avec laquelle Richard fait remarquer que notre intelligence perçoit immédiatement le singulier fait penser aux affirmations du Docteur subtil. îl fausse compagnie à saint Thomas sur la question de la multiplicité des formes dans le composé ; mais le retrouve dans l’étude de la connaissance. L’école bonaventurienne, fidèle à la pensée d’Augustin, faisait, dans l’intellection une part considérable à l’illumination divine, sorte de grâce de l’intelligence, analogue à la grâce qui actionne et soutient le libre arbitre. Richard, tout en admettant, bien entendu, le concours général divin pour notre intelligence comme pour tous nos actes, voit d’abord dans notre intelligence l’effort individuel et personnel et il insiste avec force sur le côté actif de l’intellection. Cf. P. Rucker, Der Ursprung unserer Begrifje nach R. c. M., dans les Beitràge deBâumker, t. xxxi, fasc. 1. Dans ce même domaine de la psychologie, il se garde d’ailleurs des morcelages que le thomisme paraissait vouloir faire. De même qu’il nie la distinction réelle de l’essence et de l’existence, de même il veut que les facultés soient simplement des fonctions diverses de l’âme et non point des entités réellement distinctes de sa substance. Moins intellectualiste que saint Thomas, il attribue à la volonté le primat sur l’intelligence, le rôle de celle-ci étant de disposer la volonté : c’est en celle-ci, dans son pouvoir d’auto-disposition, qu’il faut chercher d’abord la racine de la liberté. Pourtant, quand il entreprend, en éthique, de discuter les fondements de la loi éternelle, il ne cherche pas dans la volonté divine la raison dernière de la distinction entre le bien et le mal. La loi divine, c’est dans la nature des choses qu’il faut en voir le fondement. Tout ceci nous montre dans Richard un esprit fort personnel qui, s’il accepte les grandes directives de la pensée bonaventurienne, ne laisse pas de demander à d’autres maîtres, et spécialement à Thomas d’Aquin, des compléments d’information.

L’influence de saint Thomas sur notre franciscain serait, au dire d’un des meilleurs juges, le P. Hocedez, plus profonde encore en théologie qu’en philosophie. « Sur un grand nombre de questions libres, Richard adopte la position thomiste ; plus souvent encore il propose les théories de saint Thomas comme probables, sans se prononcer formellement pour ou contre elles. » Voici quelques-unes des questions où il se rapprocherait du Docteur angélique : « Il rejette comme lui les raisons séminales, sans accepter toutefois l’explication positive du saint Docteur. Les anges n’ont pu pécher au premier instant de leur existence. Il incline à croire, avec Thomas que, sans la chute, le Verbe ne se fût pas incarné. Dans l’hypothèse que Dieu exigeât une satisfaction ex condigno, les souffrances du Christ devenaient nécessaires. L’impeccabilité du Christ est une conséquence de la vision béatifique. Le caractère sacramentel a son siège dans l’essence de l’âme, par l’intermédiaire de l’intelligence. Les actes du pénitent sont la quasi-matière du sacrement… Maison pourrait également dresser une longue liste des thèses, et des

plus importantes, où Richard s’éloigne de l’Aquinate. Avec saint Bonaventure, il conçoit la théologie comme une science pratique. Pour lui, ce qui est objet de science peut être objet de foi, saltem habitu. La grâce et la charité ne se distinguent pas réellement (on pourra voir une étude très approfondie de ce point par J. Reuss, Die theologische Tugend der Liebe nach der Lehre des Richard von M., dans Franziskanische Sludien, t. xxii, 1935, p. 11-43, à compléter par une autre monographie de V. Heynck, O. F. M., Die aktuelle Gnade bei R. v. M., ibid., p. 297-325). Les vertus surnaturelles ont toutes leur siège dans la volonté. La nature angélique est composée de matière et de forme et se multiplie dans une même espèce. Il y a dans le Christ un double esse et une double filiation. Sa nature humaine intervenait dans les miracles seulement à titre de cause morale et occasionnelle. Les sacrements ne sont pas proprement causes de la grâce. (Il y a sur la question de l’enseignement sacramentel de Richard un travail considérable de J. Lechner, Die Sakramentlehre des R. v. M., dans les Miinchencr Sludicn zur hislorischen Théologie, fasc. 5, Munich, 1925.) La béatitude consiste formellement dans un acte d’intelligence et île volonté. L’intellect agent garde un rôle dans la vision béatifique, etc. » Hocedez, op. cit., p. 381-385.

Pour ce qui est de la doctrine sacramentelle, qui a été plus particulièrement étudiée, voici les conclusions auxquelles aboutit J. Lechner. Il voit comme facteur qui réalise l’unité dans la synthèse de Richard, l’accentuation du rôle de la volonté divine ; c’est elle qu’il faut considérer avant tout dans l’action sacramentelle. Écartant avec douceur l’activité physique instrumentale du sacrement — le terme d’efficacité ex opère operalo est soigneusement évité — Richard met au premier plan l’efficience divine l’A ceci explique la doctrine assez particulière qu’il a sur la matière et la forme des sacrements et dont Scot devait s’inspirer. La matière, c’est le signe lui-même, la forme c’est Vordinalio ad sanctificandum que le Christ a attachée à ce signe. Dans la doctrine du caractère, le primat de la causalité divine se manifeste encore dans le fait que ce caractère et ses effets ne sont qu’en relation morale avec le signe sacramentel. « Il est bien remarquable, dit Lechner, que notre Docteur ne tient à l’existence absolue du caractère que sur la foi des auctorilates et qu’il reste hésitant dans la question de la catégorie de la qualité dans laquelle il faut ranger le caractère sacramentel. » Pour ce qui est du baptême et de la confirmation, on ne remarque chez lui rien de très particulier. Mais sa théologie de l’eucharistie est digne d’attention. C’est lui qui fait passer dans l’école franciscaine la spéculation de saint Thomas et de Pierre de Tarentaise, tout spécialement pour ce qui concerne le concept de transsubstantiation et l’influence vivante de l’eucharistie sur la vie surnaturelle de l’âme. Et Lechner renvoie pour ce qui est du premier point aux subtiles analyses de Richard sur la signification du mot hoc dans la formule de la consécration, sur le moment précis de la transsubstantiation, sur la corruption aussi des espèces sacramentelles qui met un terme à la présence réelle.

De grande importance est l’enseignement de notre franciscain pour ce qui est de la pénitence. Avec plus de décision encore que Thomas d’Aquin ou Pierre de Tarentaise, il déclare que le pouvoir des clefs ne s’exerce pas seulement sur la peine, comme le pensaient encore Alexandre de Halès et saint Bonaventure, mais encore sur la coulpe. Cela l’oblige d’ailleurs à accentuer le caractère sacramentel des actes du pénitent qui, avant même la confession, ne procurent la rémission que par le vœu du sacrement à recevoir. Mieux que saint Thomas, il aurait accentué dans cet ordre d’idées la différence entre la contrition propre, ment dite et l’attrition et il a, sur la manière dont l’ab.