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REVIVISCENCE DES MÉRITES


plus loin. Richard de Médiavilla, In IV am, dist. XIV, a. 8, q. ii, tout comme Alexandre de Halès, se rapproche de saint Thomas et envisage la double récompense, essentielle et accidentelle, comme explication dernière de la reviviscence des mérites.

Une mention spéciale doit être accordée à Duns Scot et à Durand de Saint-Pourçain.

a) Duns Scot. — Duns Scot semble bien avoir préparé les voies au thomisme moderne, postérieur au concile de Trente. D’une part, il affirme comme saint Thomas, que la récompense de la gloire sera proportionnée au degré de grâce et de charité possédé par l’âme juste. D’autre part, il tient que tout mérite aura sa récompense, non seulement accidentelle, mais essentielle. Les mérites revivifiés par la pénitence sont donc dans cette condition : omnia Ma opéra prioru reviviscunt. .. in ordinc ad vilam et gloriam œternam… ; nec tanium correspondet operibus meritoriis gloriæt prsemium occidentale, sed eliam essentiale. Report. Paris., t. IV, dist. XXII, n. 8. Le pénitent converti peut donc ressusciter à la vie surnaturelle avec une grâce moindre que celle qu’il avait au moment de sa chute. Sur ce point, la pensée de Scot est ferme, et il sépare nettement, pour l’instant de la justilication du pécheur, la condition de la reviviscence de la grâce et celle de la reviviscence des mérites : Cum quodeumque meritum mereatur (ut credo) augmentum gratiæ, quia aliquem determinatum gradum gloriæ, ad queni requiritur, ut disposilio prœvia, aliquis gradus gratiæ, et non semper Deus post quemeumque uclum merilorium au geai gratiam proporlionalam merito, videtur quod augmentum debilum meritis remissis reseroet usque ad inslans mortis. In IVum Sent., dist. XXI, q. i, a. 9. On le voit, c’est exactement la position de Jean de Saint-Thomas. Scot maintient le principe thomiste d’une grâce rendue proportionnellement aux dispositions, mais « comme au mérite est dû non seulement une récompense accidentelle mais encore la récompense essentielle…, il faut que tout mérite acquis postérieurement à d’autres déjà possédés obtienne un nouveau degré de gloire qui lui corresponde », et ici il rejoint les thomistes récents et les théologiens posttridentins. Et puisque « le mérite n’entraîne pas toujours immédiatement un degré supérieur de grâce — les mérites revivant alors que la grâce précédente ne revit pas toujours » — Dieu accordera au moins à l’heure de la mort au pénitent justifié de retrouver la grâce nécessaire pour que les mérites trouvent leur récompense. Dist. XXII, q. un., a. 9. Scot ajoute ici une réflexion assez personnelle : « Que les méritent revivent et pas nécessairement la grâce, cela paraît assez conforme à la justice : la grâce antérieure était uniquement don de Dieu, les mérites étaient en quelque façon œuvre de l’homme, et c’est pourquoi dans l’acceptation divine ils sont toujours saufs, mais non pas la grâce. » Id., ibid., édit. Vives, Paris, 1894, t. xviii, p. 715 b ; 782 ab ; 783. Voir l’exposé, peut-être-un peu adouci, de la pensée de Scot, ici même, t. iv, col. 1926.

Certains scotistes pensent que les mérites pourront revivre intégralement pour la gloire indépendamment de la grâce. Cf. Frassen, Scotus academicus, t. x, Rome, 1726, De pœnilentia, tract, i, disp. II, q. iii, iv.

b) Durand de Saint-Pourçain. — La position de Scot ne lui est certainement pas particulière. On la retrouve dans un texte assez bref de Durand, où Chr. Pesch croit trouver déjà la théorie qui aura si grande faveur chez les théologiens jésuites après le concile de Trente. En réalité, Durand n’a pas parlé différemment de Scot. Voici d’ailleurs son assertion : Dato quod pœnilentia vivificat priora mérita per peccatum morlificata, non oportet lamen quod restituai œqualem charilalem (voilà la tradition thomiste), quia valor merilorum præcedentium pensabitur secundum charilalem in qua (acta fue runl, et non secundum charitatem in qua pœnilens resurgit. In Illam Sent., dist. XXXI, q. ii, ad 3um, Lyon, 1586, p. 600 b.

2. L’école jésuite moderne et les théologiens qui s’y apparentent. — Les théologiens dont nous venons de parler, ainsi que les thomistes récents depuis Jean de Saint-Thomas, semblent avoir voulu faire une conciliation entre deux doctrines. Dans l’école jésuite (sans que cependant s’y rallient tous les théologiens de la Compagnie) et chez les théologiens qui s’y apparentent, c’est la doctrine de la reviviscence des mérites quant à leur pleine valeur pour la gloire essentielle qui l’emporte. La doctrine de la proportion de la grâce aux dispositions du sujet ne vaut plus et pour la grâce et les vertus récupérées et, à plus forte raison, pour la valeur des mérites revivifiés. En ce qui concerne la grâce et les vertus récupérées, voir ci-dessus, col. 2632. a) Exposé. - — Les auteurs sont ici les mêmes que dans le paragraphe précédent, pour la reviviscence de la grâce et des vertus. Le fondement du système, « c’est que la reviviscence des mérites n’est pas suffisamment assurée, si la récompense essentielle est mesurée au degré de perfection de la contrition du pénitent ou à celui de l’acte de charité qu’il fait au jour de sa conversion. Même au cas où cet acte de charité serait plus fervent que ceux d’avant le péché, ceux-ci seraient sans récompense, puisque l’acte plus fervent mériterait, à lui seul, la récompense essentielle qui lui convient. » Et. Hugueny, op. cit., p. 287.

Fidèles au principe de l’accroissement de la grâce par addition, ces théologiens déclarent qu’il n’y a plus lieu de distinguer entre actes méritoires intenses et actes méritoires moindres ou « rémittents », inlensi, remissi. Tout acte méritoire, quel qu’il soit, apporte quelque nouvelle richesse au trésor de l’âme, et ce sont ces richesses totalisées qui, à l’heure de la mort, représentent le degré de sainteté et, par conséquent, de gloire auquel est parvenu le chrétien fidèle. Dans cette opinion, le péché ne fait qu’interrompre la totalisation. Aussitôt l’âme rendue à la vie de la grâce, la thésaurisation reprend et s’accroît. Nous avons lu plus haut, col. 2033, le raisonnement de Suarez concernant l’accroissement de la grâce dans l’âme du pécheur qui tombe et qui se relève. Le raisonnement vaut pour le mérite. A chaque absolution, les mérites passés revivent comme la grâce et les vertus elles-mêmes et le pécheur converti y ajoute le nouveau mérite de sa conversion. Pour Suarez et son école, « le mérite est considéré comme une monnaie d’achat, sans autre relation de la récompense avec l’œuvre bonne que celle de la quantité de mérite fixée par la promesse de Dieu à chaque œuvre méritoire, en fonction de sa valeur absolue ou relative. Le mérite final est le résultat de l’addition matérielle de tous les mérites attachés à chaque acte particulier. Supposons un homme qui aurait posé une succession d’actes de charité représentable par le schéma suivant : 1, 1, 2, 2, 3, 3, 2, 1, 4, 5, 7, 1, puis interruption par le péché mortel et reprise, après conversion, d’une nouvelle série, 2, 3, 4, 2, 5, 3. Cet homme recevrait un degré de vision béatifîquc représentable par le total de tous ces chiffres, soit par 51, quel que soit le degré de sa vertu de charité au moment de sa mort. » Hugueny, op. cit., p. 295-296.

b) Les arguments. — P. Galtier les a présentés d’une manière remarquable, De pœnilentia, n. 569-573. Il distingue les arguments directs et les arguments indirects :

Arguments directs : 1. Le concile de Trente enseigne qu’aux œuvres méritoires est due en justice leur récompense. La seule condition posée est lu mort en état de grâce. Si les mérites n’étaient pas récompensés selon leur pleine valeur, le texte conciliaire serait difficilement intelligible. 2. L’idée même de la reviviscence