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REVIVISCENCE DES MERITES


aura plus de joie des œuvres faites dans son premier état de charité que de celles du second : ce qui appartient à la récompense accidentelle. » Sum. theol., IIl a, q. lxxxix, a. 5, ad 3um : cf. In Ill^m Sent., dist.XXXI, q. i, a. 4, qu. 3, ad 4um.

Ainsi, pour saint Thomas, « dans l’estimation du mérite, deux éléments sont à considérer. Il y a d’abord le principe radical de charité et de grâce, d’où procède l’acte méritoire. Au degré de mérite de cette charité répond la récompense essentielle, qui consiste dans la jouissance de Dieu… Une seconde estimation du mérite se fait d’après la valeur de l'œuvre (considérée indépendamment de la charité qui l’inspire)… et cette valeur de l'œuvre, absolue ou relative (à la personne qui la produit), n’appelle qu’une récompense accidentelle. » Id., 1 ', q. xcv, a. 4. C’est la lumière de gloire qui est la mesure de la gloire essentielle, et cette lumière de gloire est proportionnée à la grâce et â la charité de l’esprit bienheureux. Cf. [ a, q.xii, a. 6 ; Ia-IIæ, q. cxiv, a. 1 ; Suppl., q. xciii, a. 3, ad 3um ; voir ici Intuitive (Vision), t. vii, col. 2385. D’où il résulte que, dans l’opinion de saint Thomas, les mérites revivifiés, en quelque degré que ce soit, seront donc récompensés non seulement par la gloire accidentelle, mais par la gloire essentielle : « Que devient la reviviscence des mérites dans le cas du pénitent ? Ces mérites retrouvent exactement la même efficacité qu’ils avaient avant le péché. Tous méritent au pénitent la vie éternelle ; tous ont concouru à l’amener à son degré présent de grâce sanctifiante et tous concourent encore â lui valoir les grâces actuelles dont il a besoin pour continuer à développer sa vie surnaturelle et â la défendre contre de nouveaux périls. Mais, après la conversion, comme avant le péché, l’augmentation réelle de charité appelée par tous ces actes méritoires reste subordonnée à l’usage que fera le pénitent de la grâce actuelle, pour des actes plus fervents, qui le mettront en disposition de recevoir un degré supérieur de grâce sanctifiante et de charité.

A sa mort, il recevra un degré de gloire essentielle proportionné au degré final, non pas de son dernier acte, mais de sa charité habituelle. Ce degré final sera la récompense de tous ses mérites, comme son état final sera la résultante de tous ses actes. Si ce degré reste inférieur â certains actes plus fervents antérieurs à l'état de pe ché dans lequel le pénitent aura quelque temps vécu, il ne peut accuser de ce déficit que l’imperfection de sa pénitence, comme le damné ne peut accuser que son péché, s’il est frustré de la vie éternelle que lui méritaient ses premières bonnes actions.

Mais si le degré de récompense essentielle, de vision béatifique, se mesure exactement à l’essentiel de l'état d'âme de l'élu entrant au ciel, la récompense accidentelle, l’expansion de la vie essentielle de l'élu dans ses relations avec les saints du ciel, de la terre et du purgatoire n’est plus mesurée et modalisée par l’intensité de la charité, mais par la nature, le nombre et l’importance des actes de vertu qu’il aura faits sous le commandement de sa charité, selon les diverses circonstances de sa vie mortelle. E. Hugueny, (). 1*., La pénitence, t. i. Somme théologique, édition de la Revue des Jeunes, appendice ii, p. 297-298.

Les textes cités plus haut et le clair commentaire qu’en fait le P. Hugueny montrent qu’il est impossible de faire de saint Thomas l’initiateur d’une doctrine qui n’attribuerait aux mérites revivifiés qu’une récompense accidentelle. Panez s’est trompé en l’expliquant en ce sens. In ID m -II x, q. xxiv, a. C>, dub. vi, concl. 3, tout comme il semble bien se tromper en attribuant cette opinion à tous les thomistes antérieurs à François Vittoria. Le P. Galtier accueille trop facilement ces assertions. De pœnitenlia, Paris, 1923, n. 507. Suarez, plus attentif, déclare n’avoir jamais rencontré pareille opinion chez aucun théologien. Opusc, v, disp. II, sect. i, n. 1. Cf. Chr. Pesch, De sacramento pœnilentiæ, n. 332.

D’un mot on peut résumer la pensée de saint Thomas : le degré de charité est, pour l'âme adulte, la mesure de la récompense ; les mérites sont les litres à

cette récompense. S’il en est ainsi, la reviviscence des mérites s’explique facilement. Le mérite n’est pas totalement effacé par le péché mortel ; il est seulement mortifié. La justification de l'âme rend au mérite sa valeur pour le ciel ; mais le degré de la rétribution sera mesuré au degré de grâce rendue â l'âme. Toutefois les mérites revivent tous, parce épie tous demeurent des titres â cette rétribution. Nous trouverions facilement un terme de comparaison élans le monde matériel des affaires. Voici les actions d’une société industrielle. Au temps d’une première prospérité, ces actions, au nominal de 100 frs par exemple, se sont élevées en bourse jusqu’au cours de 1 000 frs : survient une crise, la faillite : les actions tombent à 0. La négociation en bourse devient impossible. Mais bientôt la société est renflouée ; les actions sont cotées de nouveau et reprennent de la valeur. Mais le nouvel état de la société étant bien moins florissant qu’avant la chute, les actions sont cotées seulement 50 frs. Pourtant ce sont les mêmes actions. Ainsi — toutes proportions et dissemblances respectées — en est-il dans le domaine des mérites. Le mérite est une « action », titre négociable pour le ciel. Le péché mortel réduit â la valeur ele cette action, laquelle cependant subsiste. Le renflouement survient, c’est-à-dire la justification ; mais la valeur d'échange de l’action ele meure proportionnée au nouveau crédit qu’offre la société renflouée, c’est-àdire au elegré ele grâce et ele charité que possède l'âme ressuscitée a la vie surnaturelle. Crédit bien moindre élans le cas présent. De même qu’avec son action — la même action — qui valut jadis 1 000 1rs, le capitaliste n’obtiendra plus que 50 frs, après le renflouement de la société en faillite, ainsi le juste, tombé en péché mortel et ressuscité a la grâce n’aura plus, avec les mêmes mérites précédents, qu’une récompense proportionnée à la vie surnaturelle diminuée en laquelle il ressuscite. Les titres demeurent identiques, leur valenr d'échange varie.

2. Les thomistes.

Il s’en faut que tous les théologiens thomistes aient exposé la pensée de saint Thomas d’une façon uniforme.

a) Les anciens commentateurs. — Les anciens commentateurs — et les plus illustres - ele saint Thomas l’ont interprété dans le sens qu’on a pu lire ci-dessus. Capréolus, In 1 Y"" Sent., dist.XIV, q.n, a. 1, concl. 2 ; Panez, loc. cit. : Cajétan, In 7/7um part. Sum. S. Tlwmæ, q. lxxxiv, a. 1, distinguent, dans la vie éternelle promise comme récompense aux mérites, un double élément : 1. la récompense essentielle, le degré plus ou moins élevé ele vision béatiflque dont jouira l'élu, et 2. la récompense accidentelle, les autres biens qui accompagneront cette vision. Le pénitent n’obtiendra que la récompense essentielle correspondant au degré de charité auquel sa pénitence l’aura ramené, au moment de la mort. Ce degré peut être inférieur à ce lui qu’il avait avant son péché ; auquel cas il jouira néanmoins de toute la récompense accidentelle méritée par ses bonnes œuvres d’avant son péché. » E. Hugueny, op. cit., p. 280-287. A ces grands commentateurs, on peut ajouter Sylvius, Contenson, Cano (?), Pierre de LaPallu, Gotti, dans leurs commentaires ele la Somme ou sur les Sentences, et, parmi les thomistes récents, Pillot, De sacramentis, t. ii, th. x ; A. d’Alès, De sacramento pœnilentiæ, th.xii, p. 101 ; Jannssens, Summa théologien, t. ix (De gralia), p. 497-498 ; Lépicier, De pœnitenlia, p. 238, et De gralia, p. 424 sq. ; J. Van eler Meersch, De divina gralia, n. 213. Inclinent vers cette opinion Tanquerey, Synopsis theologiæ dogmalicæ, t. iii, n. 276 ; Van Xoort-Verhaar, De pœnitenlia, n. 115. Récemment Hervé s’y est rallié, Manuale, t. iv, Paris, 1937, n. 326, ainsi qu’implicitement, à propos de la récompense due aux mérites des actes « rémittents », le P. Noble, O. P., La charité, t. i, Somme théologique, édition de la Re-