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REVIVISCENCE DES MERITES


(opéra viva), lesquelles, faites en état de grâce et sous l’influence de la charité, sont méritoires de la vie éternelle ; 2. œuvres mortifères (opéra morlifera), lesquelles ayant malice de péchés mortels, donnent la mort à l'âme et éteignent tout mérite ; 3. œuvres mortes (opéra morlua), œuvres bonnes et honnêtes en soi, mais qui, accomplies en état de péché mortel, sans l’influence de la grâce et de la charité, n’ont pas de mérite strict pour la vie éternelle ; 4. œuvres mortifiées (opéra morlificata), « qui ont été des œuvres vives, mais qui, le péché survenant, sont mortes pour le ciel. Le mérite de ces œuvres mortifiées ne compte donc plus actuellement ; cependant il n’est pas détruit tout à fait : il demeure en puissance, c’est-à-dire dans l’acceptation de Dieu, mais il est comme, un titre frappé d’opposition ou, si l’on veut, comme un organisme paralysé, capable pourtant de revivre ». A. Goupil, Les sacrements, t. iii, p. 65. Cf. S. Thomas, Sum. theol., III a, q. lxxxix, a. 4.

C’est de ces œuvres qui furent accomplies en état de grâce et, par conséquent, furent des œuvres vives qu’il est question ici. Le péché mortel les a mortifiées : tant <[iie leur auteur demeure dans l’inimitié de Dieu, leur valeur pour le ciel est rendue inopérante et comme morte. Si leur auteur rentre en grâce avec Dieu, ces œuvres peuvent-elles revivre ?

Ici, le mot est pris dans son sens propre et les anciens théologiens l’ont utilisé explicitement ; cf. S. Thomas, Suni. theol., III a, q. lxxxix, a. 5. A cette question de « la reviviscence des mérites », la théologie catholique répond affirmativement. Les mérites passés du pécheur, mortifiés par le péché, peuvent revivre et revivent de fait, quand la grâce est rendue : c’est une doctrine, non de foi, mais certaine ou communément enseignée, dont il n’est pas permis de s'écarter sans erreur théologique ou tout au moins sins grave témérité. Cf. Van NoortVerhaar, De sacramentis, t. ii, n. 114.

Démonstration.

A vrai dire, il est difficile de

trouver dans la sainte Écriture ou même chez les Pères des arguments explicites en faveur de cette doctrine. On invoque Ez., xviii, 21 sq. ; xxxiii, 12 sq. ; Joël., ir, IX sq. ; Cal., iii, 4 ; Heb., vi, 10. Il suffit de se reporter a ces textes pour constater qu’on n’y trouvepas en réalité d’argument véritable. Voir C.hr. Pesch, Prcelectiones dogmaticæ, t. vii, n. 317-320. Tout au plus la parabole de l’Enfant prodigue pourrait-elle présenter une indication lointaine en faveur de la reviviscence des mérites. Les interprétations patristiques de la parabole n’ont, jias plus que la parabole elle-même, de valeur démonstrative. Toutefois il est certain que les Pères ont enseigné la reviviscence des mérites. Leurs commentaires sur Heb., vi, 9-10 et Gal., ni, 4 en font foi. On cite habituellement, à propos de I Eeb., vi, 9-10, S. Épiphane, Hær., lix, n. 2, /'. < ;.. t. xi.i, col. lui'. :, auquel Suarez ajoute Primasius, Alcuin et saint Thomas, r.f. Suarez, Opusc, v. disp. 1, sect. r, n. 12-13. A propos de Gal., iii, 4, on cite S. Jean Chrysostome, In epist. ad (ici., c. iii, n. 2, P. (i.. t. LXI, col. 650 ; S. Jérôme, />L, P. L., t. xxvl, col. 350 et d’autres que rappel ! ' Suarez, lue. cil.

(/est donc la tradition, manifestée par ce sentiment des Pères, par l’enseignement unanime des théologiens et par une indication précise du concile de Trente, qui fournit ici l’argument péremptoire.

On s’appuie sur le concile de Trente, sess. VI, De jusliflcatione, c jcvi, et can. 32 : voir les textes a l’art. Mérite, t., col. 756 et 759. Denz.-Bannw., n. 809, 842. A vrai dire, ces textes conciliaires ne louchent pas directement la question de la reviviscence des mérites. .Mais, disent les théologiens, « les expressions du concile sont telles qu’on en peut conclure avec certitude la reviviscence des mérites mortifiés. Dans ce texte, en effet, le concile explique la doctrine catholique du mérite îles bonnes enivres an point de ne de l’acquisition

et de l’augmentation du bonheur éternel, il faut donc écarter absolument la pensée qu’il peut avoir omis un seul élément essentiel parmi les conditions requises pour mériter le ciel. Or, puisque « les œuvres faites en Dieu » (opéra in Deo facla) procurent une récompense éternelle, la persévérance ininterrompue dans le bien n’est donc pas requise par le concile : il suffit de mourir en état de grâce. Mais cette dernière condition peut exister alors même que l’homme pèche mortelbment, après avoir accompli des œuvres méritoires, pourvu qu’avant sa mort il rentre en grâce avec Dieu. Par conséquent, celui qui quitte cette vie en état de grâce reçoit au ciel la récompense de tous les mérites qu’il a acquis durant sa vie tout entière, qu’il ait persévéré dans li justice ou qu’il l’ait recouvrée après l’avoir perdue. » N. Gihr, Les sacrements de l'Église catholique, trad. française, t. iii, p. 2<>8-2(19. Cf. P. Galtier, De pœnitentia, n. 503.

Les théologiens invoquent aussi en faveur de la doctrine la nature même des choses : « Si les mérites ne revivaient point, le péché, bien que remis par Dieu, serait encore éternellement puni par la privation du mérite mortifié par lui, c’est-à-dire en réalité par la privation d’un bien auquel le pécheur, avant de tomber, avait acquis un droit réel par ses bonnes actions. Que Dieu ne punisse pas ainsi les péchés déjà pardonnés, cela ressort : 1. de l’oubli, tant de fois par lui manifesté, à l'égard des péchés passés, qui sont comme s’ils n’avaient jamais existé ; 2. de l’amitié qu’il rend pleinement au pécheur, laquelle exige la restitution des biens acquis par les mérites antérieurs, biens dont le pécheur avait été privé en raison de ses fautes… En bref, s’ils ne récupéraient tous leurs mérites, les saints du ciel seraient éternellement punis pour leurs péchés pardonnes. » P. Galtier, De psenilenlia, n. 564 ; cf. N. Gihr, op. cit., p. 269.

C’est bien la doctrine générale exposée par saint Thomas, Sum. theol., III a, q. lxxxix, a. 5. Dans l’ad l llm et l’ad 2 iiii, le Docteur angélique résout l’objection tirée de la comparaison avec les péchés effacés par la pénitence et qui ne reparaissent pas ensuite : « Les œuvres du péché, dit-il, sont détruites en ellesmêmes par la pénitence….Mais les œuvres faites en charité ne sont pas détruites par Dieu, dont elles restent agréées… ; leur efficacité est seulement empêchée par l’obstacle qui survient du côté de l’homme. »

II. PRÉCISIONS APPORTÉES l’Ml LEX THÉOLOOI ES S. — Il s’agit de savoir dans quelle mesure les mérites sont rendus ou, plus exactement, de déterminer la valeur de ces mérites récupérés, par rapport à la gloire qui doit les récompenser. Seront-ils récompensés par une gloire équivalente à celle qu’ils auraient obtenue avant le péché qui les a mort i liés ?

Telle est la question proprement théologique qui se greffe sur la doctrine catholique de la reviviscence des mérites.

Deux grands courants se partagent l’enseignement des écoles :

Le courant thomiste.

1. La doctrine de saint

Thomas. —Saint Thomas présente une explication complète, dont les contours, quoi qu’on en ait dit, sont fermement dessinés. Il dislingue, dans la vie éternelle promise comme récompense aux mérites, un double élément : I.a gloire essentielle et la gloire accidentelle. Voir ici GLOIRE, t. VI, col. 1393, 1 106. La gloire essentielle, récompense des mérites, est proportionnée au degré de charité rendu au pécheur par la pénitence ; mais, d’autre part, toute la récompense accidentelle, méritée par ses bonnes œuvres avant son péché, lui sera intégralement rendue : « Celui qui, par la pénitence, ne ressuscite qu'à un degré moindre de charité, obtient une récompense essenti Ile correspondant au degré de charité dans lequel il est trouvé (à la mort). Mais il