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RÉSURRECTION. PROBLÈME DE L’IDENTITÉ


nable diffère en ceci des autres formes, qu’elle dépasse la matière et ses opérations… Aussi son être, qui était l'être du composé, demeure, même après la dissolution du corps ; et, lorsqu'à la résurrection le corps est reconstitué, il est ramené à l'être même qu’a conservé l'âme. » C’est donc purement et simplement la théorie aristotélicienne de la matière et de la forme appliquée au corps et à l'àme qui donne, selon saint Thomas, l’explication métaphysique de la résurrection. Voir ici Forme du corps humain, t. vi, col. 572. Si, pendant cette vie, l'écoulement continuel de tous les éléments matériels qui constituent le corps humain n’empêche pas l’unité et l’identité numérique de ce corps, aucune difficulté ne pourra être élevée, au nom de ces changements incessants de matière, pour contredire notre explication de la résurrection : in corpore hominis, quamdiu vivit, non scniper sunt eœdem parles secundum maleriam, sed solum secundum speciem ; secundum vero materiam, parles fluunt et refluunt ; nec propter hoc impeditur quin homo sil unus numéro a principio vilee usque in finem, cujus exemplum accipi potest ex igné, qui, quum continue ardet et unus numéro dicitur, propter hoc quod species ejus manet. Ainsi, au cours de toute sa vie terrestre, nonobstant les variations, résolutions, additions de matière, l’homme demeure identiquement le même à ses divers âges et dans toutes ses parties, en raison de la forme qui confère à tous ces éléments variables leur stabilité spécifique. C’est ainsi qu’il faut expliquer métaphysiquement la reconstitution du corps au moment de la résurrection. L'àme reprendra alors, à l'égard de la matière, son rôle et sa fonction de forme corporelle, restituant à l’homme son identité numérique. Tel est l’aspect essentiel du problème.

b) Aspect physique et subsidiaire du problème. — A cette considération métaphysique s’ajoute la considération physique qui en est l’immédiate conséquence. L'âme, forme spécifique, reconstituera donc la matière nécessaire au corps humain. Elle la reconstituera en réassumant non une quantité de matière égale à toute celle qu’au cours de la vie terrestre elle aura informée, mais une quantité suffisante à l’intégrité de l’individu. Toutefois en raison des affinités métaphysiques qu’on a signalées plus haut, l'âme reprendra sa matière principalement, prascipue, dans les éléments qui furent jadis informés par elle et appartinrent à son humanité. Si cet élément fait défaut, soit parce qu’une mort prématurée aura empêché le développement normal du corps, soit parce qu’il y a eu mutilation (et l’on pourrait ajouter ici toutes les autres hypothèses émises sur les transformations possibles d’un même corps humain), Dieu y suppléera en prenant ailleurs la matière nécessaire pour rendre au corps la perfection de quantité exigée par la nature : aliunde hoc divina supplebil potentia. Ce ne sera pas reconstituer un corps différent, tout comme la transformation de l’enfant en un adulte ne fait pas un homme différent.

Continuant l’application de ce principe, saint Thomas envisage le cas du corps dévoré par des anthropophages ou par des animaux, qui, eux-mêmes, seront mangés par d’autres hommes. Il estime que les éléments matériels du corps seront rendus d’aboid à qui le premier les a possédés ; chez les autres, Dieu y suppléeia comme on vient de le dire. Et même, dans l’hypothèse où l’homme se serait uniquement nourri de chairs humaines, Dieu se contenterait, dans la reconstitution de son corps, des éléments reçus des parents dans la général ion et suppléerait pour tout le reste. Et si les parents eux-mêmes s'étaient uniquement nourris de chairs humaines et si, par conséquent, les éléments du sperme humain lui-même devaient appartenir à d’autres, Dieu suppléerait totalement.

Quelle que soit la valeur de ces considérations, plus Imaginatives que philosophiques, il était nécessaire de

les rappelei, pour montrer que saint Thomas n’attache pas à la persistance d'éléments matériels du corps présentement vivant, une importance telle qu’on doive nécessairement et en toute hypothèse en tenir compte. En étudiant l’exposé de saint Thomas, Schwane n’hésite pas à conclure que son explication « amène logiquement à réduire l’identité numérique à une pure identité de la forme et des éléments chimiques en général et à faire disparaître ainsi l’identité numérique des éléments constitutifs matériels et individuels ». Histoire des dogmes, trad. fr., t. v, p. 240. Le P. Hugueny, O. P., est peut-être plus près encore de la pensée thomiste en la traduisant ainsi : « Si les éléments du cadavre ont encore gardé, sous la forme de squelette distinct, quelque signe de leur ancienne appartenance au corps vivant de celui qui doit ressusciter, nous pensons que cette relation de raison, qui suffit à justifier le culte rendu par l'Église aux reliques, motivera la réinformation de la matière première présente en ces vénérables restes, de préférence à toute autre matière. Mais il n’y a là qu’une raison de convenance et non pas une raison de nécessité absolue. » Critique et catholique, t. ii, n.380, p. 364.

3. Enseignements parallèles à celui de saint Thomas au XIIIe siècle. — « Jusqu'à l’aurore du xme siècle, date à laquelle les écrits d’Aristote et ceux de ses commentateurs arabes, Avicenneet Averroès, passèrent de Tolède en France et en Allemagne, les théories sur l’unité du composé humain, si fortement accusées plus tard par saint Thomas d’Aquin, étaient loin de rallier tous les esprits. Il y avait, au contraire, dans les écoles de philosophie un courant puissant et très répandu…, qui contenait sur plusieurs points de doctrine, en particulier sur la nature de l'âme spirituelle et sur ses relations avec le corps, des théories notablement différentes de celles que le génie et l’autorité de saint Thomas firent insensiblement prévaloir. » Card. Mercier, Cours de philosophie, t. ii, p. 301.

Tandis que saint Thomas enseigne, à l’instar d’un dogme philosophique, l’unicité de forme substantielle dans le composé vivant et notamment dans l’homme, toute une école professe que le principe vital, que l'âme spirituelle n’est qu’une forme supérieure à laquelle est ordonné l'être déjà constitué comme corps. L’existence d’une forme de corporéité paraît nécessaire aux philosophes et théologiens de cette école, dont Henri de Gand et les théologiens franciscains sont les représentants les plus illustres. Voir Henri de Gand, In IV ara Se/ ! L, dist. XI, q. iii, a. 2. Saint Bonaventure et Duns Scot acceptent aussi cette doctrine et l’utilisent pour expliquer la résurrection.

Saint Bonaventure développe son sentiment dans le commentaire de la dist. XLIII, a. 1, q. iv. Subordonnées à la forme proprement substantielle qu’est l'àme intellective, les formes inférieures, par exemple, la forme de chair, la forme des éléments premiers et mixtes, sont sujettes à corruption. Cependant elles ne disparaissent pas complètement. Ces formes inférieures se trouvent à l'état de puissance dans la matière et c’est avec une forme de corporéité particulière que l'àme humaine individuelle s’unit pour constituer la substance d’un corps humain. De même donc que cette substance, avant la génération, était on puissance dans la matière qui a été prise pour former le corps de l’individu, de même après la mort elle retombe par la corruption dans cette même matière, pour y rester cachée à l'état de puissance — de raisons séminales, dit plus expressément encore saint Bonaventure en reprenant le terme consacré par saint Augustin — jusqu'à ce qu’elle soit rappelée à l’existence par la voix du Dieu tout-puissant. Sur la théorie de la pluralité des formes inférieures chez saint Bonaventure, les éditeurs de Quaracchi (t. iv, p. 891) renvoient à In II am Sent.,