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RÉSURRECTION. PROBLÈME DE L’IDENTITÉ


car selon l’opinion plus vraie d’Avicenne, l’humanité n’est pas l'âme seule, mais la résultante de l'âme unie au corps. Il faut donc dire que l’identité numérique concerne non seulement l'âme, mais le corps. Suppl., q. lxxix, a. 2, ad 2um. Cela posé, saint Thomas cherche l’explication de cette identité numérique, considérée même dans la matière II reprend (rois explications, rejetant les deux premières qui supposent l’identité d’un principe physique, pour s’arrêter avec plus de complaisance à la troisième, d’une portée nettement métaphysique.

Le premier syslème, attribué à Pierre Lombard (mais on ne trouve dans le Maître, dist. XLIV, c. ii, que de vagues affirmations), requiert, comme base de l’explication, l’identité d’un principe physique, complètement immuable, dans l’homme. Une certaine quantité, très minime, de matière doit être considérée comme l’essence immuable du corps humain, persistant en lui à travers toutes les évolutions de sa vie terrestre. Cette minime quantité de matière demeure sans changement et se multiplie uniquement dans la génération par la multiplication des individus. Tout l’accroissement que lui apporte la nutrition et l’assimilation est accidentel et n’appartient pas à la vérité de l’humanité vivante. La permanence de cette quantité immuable de matière suffit, au moment de la résurrection, à reconstituer, en se multipliant et en se divisant, les corps de tous les hommes. — Explication qui minimise singulièrement le dogme de la résurrection et qui, d’ailleurs, repose sur une hypothèse invérifiable (et même inconcevable) : la persistance d’un élément matériel essentiel.

Un deuxième syslème admet que, pour constituer la vérité de l’humanité, s’ajoute à cette quantité de matière immuable ce qu’il faut de matière acquise par nutrition et assimilation dans un corps intégralement formé. Mais la matière essentielle et immuable sert de fondement, en tant qu'élément principal du corps, pour reconstituer celui-ci, au moment de la résurrection, en y adjoignant de nouveau la quantité de matière nécessaire à l’intégrité corporelle. La même difficulté subsiste ici quant à l’existence, dans les individus qui se succèdent sur terre, d’une quantité immuable de matière formant l'élément principal du corps.

Le troisième syslème, auquel saint Thomas s’arrête plus volontiers, ne permet pas de distinguer un élément principal immuable constitutif de l’humanité et un élément adventice et secondaire, requis seulement pour l’intégrité du corps. L’expérience montre qu’il n’y a pas, dans l’homme, d'élément corporel primordial, immuable, subsistant toujours identique à lui-même sous les diverses transformations que subit l'être humain. Tout ce qui existe en l’homme conformément à la nature humaine appartient à la vérité de cette nature. Mais ici saint Thomas fait intervenir une double considération, retenant la première, excluant la seconde. Les éléments qui constituent le corps humain dans son intégrité doivent être ici considérés du point de vue métaphysique de l’espèce et non du point de vue physique de la matière. C’est uniquement sous le premier aspect que ces éléments persistent ; sous leui aspect proprement matériel et physique, ces éléments fluent et refluent indifféremment : « Nous devons ainsi comprendre qu’il arrive, des différentes parties du même homme, ce qui arrive de toute la multitude d’une même cité. Les individus, séparément considérés, sont soustraits par la mort à la multitude et d’autres individus prennent leur place, et ainsi les éléments qui constituent la multitude fluent et refluent matériellement, mais persistent formellement…, et la communauté est dite demeurer numériquement identique… » Id., ibid., q. lxxx, a. 4.

c. Synthèse de cette docli ine dans la Somme contre les gentils, t. IV, c. xxxvi. — C’est dans ce chapitre,

semble-t-il, qu’on trouve la meilleure synthèse de l’explication. Il rappelle tout d’abord qu’aucun des principes essentiels de l’homme ne tombe tout à fait dans le néant par la mort. Car l'âme raisonnable, qui est la forme de l’homme, demeure après la mort. La matière, celle-là même qui avait été soumise à la forme de l'âme, subsiste dans son individualité, parce que toujours soumise à des dimensions. Ainsi, de la réunion de l'âme toujours identique à la matière, numériquement ou individuellement identique, s’obtiendra, à la résurrection, la reconstitution de l’homme identique numériquement à lui-même. Loc. cit., n. 2.

Avant d’aller plus loin, il convient de préciser comment saint Thomas entend la persistance de la matière individuée, après la séparation du corps et de l'âme. C’est la question des dimensions interntinées, théorie très particulière à la métaphysique thomiste, qui intervient ici. Saint Thomas en dit un mot en passant, dans le Suppl., q. lxxix, a. 1, ad 2um. Mais c’est dans son Commentaire sur le De Trinitate de Boëce qu’il faut chercher la clef de cette explication. « Les dimensions, dit saint Thomas, peuvent être considérées à un double point de vue : d’abord, dans leur détermination complète, et c’est alors qu’elles comportent la quantité et la figure parfaite et qu’on doit en faire des accidents parfaits dans le genre quantité ; les dimensions ainsi comprises ne sont pas le principe d’individuation. Ensuite, on peut les considérer sans cette détermination parfaite et simplement dans leur raison de dimension, quoique cependant dans la réalité elles ne puissent exister sans une certaine détermination… Ainsi, ce sont des accidents imparfaits du genre quantité, et elles individuent la matière. » Q. iv, a. 2. Les dimensions terminées sont donc celles qui existent actuellement dans le sujet constitué : elles manifestent l’individuation mais ne la causent pas. Les dimensions encore intenninées sont celles qui n’existent qu’en puissance, dans une matière préexistante, relativement au sujet qui devra résulter ultérieurement de l’union de cette matière à une forme nouvelle plus parfaite. Ainsi, dans la résurrection des corps, les éléments dissociés du corps humain gardent toujours, dans l’ordre de succession des formes diverses par lesquelles le flux et le reflux des transformations les fait passer, une certaine relation plus ou moins lointaine à l’individualité qu’ils possédaient sous la forme de l'âme humaine. C’est pourquoi, dans la Somme, Suppl., q. lxxix, a. 1, ad 3um, saint Thomas déclare que « la matière, existant sous de nouvelles dimensions, quelle que soit d’ailleurs la forme qu’elle reçoive, habet majorent identilalem ad illud quod ex eu generalum fueral quant aliqtta pars alia maleriæ sub qttacumque forma existens. » Les exigences métaphysiques de l'âme reconstituant son corps iront donc de préférence aux éléments qui en firent jadis partie.

Qu’on ne s’y trompe pas, ce sont des exigences métaphysiques qui président à cette reconstitution et non des affinités physiques. Dans son exposé synthétique de la Somme contre les gentils, saint Thomas insiste sur ce point fondamental de sa thèse, à savoir que la « corporéité » ne saurait exister que par l'âme elle-même, à la fois forme spirituelle et forme corporelle dans l’homme. On doit donc rejeter l’imagination d'éléments corporels déjà constitués se réunissant à l'âme pour reformer le corps humain : « La corporéité, en tant que forme substantielle dans l’homme, ne peut être que l'âme raisonnable qui, de sa propre nature, requiert que la matière qu’elle informe ait les trois dimensions, car elle est la forme du corps. » Ce dernier membre de phrase est une affirmation anticipée de la définition du concile de "Vienne. « Il n’y a qu’un seul être de la matière et de la forme, continue le saint Docteur, car la matière n’a son être actuel que par la forme. Mais l'âme raison-